La passion de Jésus, accomplissement du Serviteur souffrant d`Isaïe

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La passion de Jésus, accomplissement du Serviteur
souffrant d'Isaïe
essuscité et les disciples dâ
Emmaüs. Chapelle du séminaire, Reggio Emilia â
Italie, 2003.
Jésus ressuscité et les disciples d’Emmaüs. Il est difficile de
comprendre que la Croix ne soit pas une absurdité mais
l'expression du maximum de l'amour et la source de la vie.
C'est pourquoi Jésus chemine avec les disciples jusqu'à ce
que leur cœur devienne tout brûlant.
Chapelle du séminaire, Reggio Emilia – Italie, 2003. ©
Aimable concession du père P. Marko Rupnik, Centro Aletti,
Rome.
Le Serviteur souffrant (Isaïe 42-53) est non seulement lumière des nations (il est un témoin, un martyr),
mais aussi il offre sa vie en expiation, il accomplit le rôle du prêtre et de la victime, en sacrifice rédempteur.
De même, le martyre de Jésus est à la fois un témoignage rendu à la vérité et un sacrifice rédempteur.
En Matthieu, Marc et Luc, et dans les Actes
Lorsque Jésus annonce sa Passion (Marc 10, 33-34), il le fait avec les détails que l’on trouve dans la
présentation du serviteur persécuté (Isaïe 50, 6) : les coups, les outrages, les crachats :
« "Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l'homme sera livré (livré aux grands prêtres et aux
scribes; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, ils le bafoueront, cracheront sur lui, le
flagelleront et le tueront, et après trois jours il ressuscitera." »
(Marc 10, 33-34)
« J'ai tendu le dos à ceux qui me frappaient, et les joues à ceux qui m'arrachaient la barbe; je n'ai pas
soustrait ma face aux outrages et aux crachats. »
(Isaïe 50, 6)
Dans la controverse sur le jeûne rapportée par Marc 12, 18-20 (et parallèles), Jésus annonce que l’Epoux
sera « enlevé » (verbe grec : «’airô ’apo» ou «’apairô ’apo»), c’est à dire enlevé par une mort violente.
Le Christ accomplit les prophéties du serviteur souffrant qui est lui aussi enlevé :
« Par contrainte et jugement il a été saisi (verbe ’airô). Parmi ses contemporains, qui s'est inquiété qu'il ait
été retranché (verbe ’airô 'apo) de la terre des vivants, qu'il ait été frappé pour le crime de son peuple? »
(Isaïe 50, 8)
Lors de la dernière Cène, Jésus dit :
« Ceci est mon sang, (celui) de l'alliance, qui est répandu pour beaucoup. »
(Mc 14,24)
- L'expression «pour beaucoup » peut renvoyer à Isaïe 53,12 (hébreu ou grec).
- « Le sang de l'alliance » est une allusion à Ex 24,8 : Moïse avait scellé l’alliance en aspergeant la nation
choisie avec le sang des agneaux (Ex 24, 6-8).
- « Le sang de l'alliance » peut aussi renvoyer à Isaïe 52, 14-15 dans l’original hébreu et traduit littéralement
: «Son aspect n’était plus celui des humains, ainsi il aspergera des peuples nombreux». Ce qui veut dire : "le
Serviteur aspergera les nations avec le sang de son martyr qui les purifiera." C’est un sacrifice plus grand
que celui de Moïse. Le Serviteur est à la fois prêtre et victime.
« Buvez-en tous, car ceci est mon sang, (celui) de l'alliance, qui est répandu pour beaucoup en rémission des
péchés. »
(Mt 26,27-28)
Bien que l'expression « ... en rémission des péchés » ne figure pas telle quelle dans à Isaïe 53, l'idée est
sous-jacente à plusieurs passages, qu'elle résume en quelque sorte (cf. Isaïe 4-5 et 11-12).
Pour préparer les disciples au drame qui va suivre, Jésus cite l’Ecriture, et il cite Isaïe 53, 12, une expression
qui s’inscrit dans le contexte de la mort du serviteur:
« Il a été compté parmi les scélérats. »
(Lc 23, 37 = Isaïe 53, 12)
Dans le concert de l'attente messianique, il est probable que sous l'influence de la Septante (qui ajoute une
interprétation collective) et du Targum grec (qui met l’accent sur la gloire du serviteur), les esprits n’aient
pas beaucoup eu l’idée d’un messie Serviteur souffrant, de sorte que saint Pierre dise : « Non, cela ne t
’arrivera pas ! » (Mt 16, 22). Pour la même raison, les évangélistes ont probablement eu du mal à voir en
Jésus celui qui accomplit ces textes. C’est pourquoi malgré les ressemblances bouleversantes, aucun récit de
la passion ne fait un parallèle précis avec le texte d’Isaïe.
Ceci dit, même dans le texte de la Septante, le Serviteur (tantôt collectif, tantôt individuel) est un
personnage suffisamment flou pour permettre un questionnement sur son identité, une ouverture : après la
résurrection de Jésus, un homme assis dans son char lisait Isaïe 53, 7-8 (Septante), et demanda à Philippe : «
"Je t'en prie, de qui le prophète dit-il cela? De lui-même ou de quelqu'un d'autre?" » (Ac 8, 30-35). Et
Philippe lui explique ce qui concerne Jésus. L'eunuque accepterait que le prophète parle de lui-même car il
sait que la prophétie biblique parle d'abord pour les contemporains. L'eunuque accepterait aussi que le
prophète parle d'un autre, car il est familiarisé avec l'ouverture messianique des textes de l'Ecriture.
Dans l’évangile de saint Jean
« L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. »
(Jn 1, 29)
Dans Jn 1,29, le Baptiste appelle Jésus « L’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » Le mot
Agneau (grec : amnos) renvoie au texte grec d’Isaïe 53,7. Le verbe enlever ne correspond pas au texte grec.
Mais l’expression « enlever le péché », au singulier, correspond au texte hébreu d’Isaïe 53,12.
« Le bon berger donne sa vie »
(Jn 10, 18)
Le texte hébreu dit du serviteur souffrant qu’il « pose son âme » (Is 53, 4.7), c’est une expression hébraïque
qui n’existe pas en grec, mais que saint Jean a reprise, dans son texte grec (Jn 10, 18), on le traduit « donne
sa vie ».
« Bien qu’il eût fait tant de signes devant eux, ils ne croyaient pas en lui, afin que s’accomplît la parole dite
par Isaïe le prophète : Seigneur qui a cru à ce qu’il a entendu de nous, et à qui le bras du Seigneur a-t-il été
révélé ? »
(Jn 12,38)
Jean cite Is 53,1: cette citation suppose l’interprétation de la mort de Jésus à l’aide du dernier Poème du
Serviteur.
(Notons que l'évangéliste cite le texte d'Isaie sans référence à sa portée primitive -le retour des exilés- mais
(Notons que l'évangéliste cite le texte d'Isaie sans référence à sa portée primitive -le retour des exilés- mais
non sans égard pour son contexte littéraire -la mort du serviteur-, selon un procédé bien connu dans la
littérature rabbinique.) [1]
L’hymne de la première lettre de saint Pierre (1 P 2,21-25)
L’hymne de la première lettre de saint Pierre (1 P 2,21-25) résume et paraphrase le dernier chant du
serviteur d'Isaïe. Mais le titre du Serviteur n’apparaît pas, le titre de Christ (= messie) a pris sa place (1P
2,21).
Cela ne présuppose pas qu’il y ait eu une interprétation messianique d’Isaïe dans le judaïsme de ce temps :
la personne de Jésus entraîne elle-même la superposition de l’image du Messie royal et de celle du
Serviteur.
L’interprétation tantôt collective tantôt individuelle du Serviteur dans la Septante permet de percevoir le
sens chrétien de la souffrance, la participation du peuple aux souffrances rédemptrices de son Sauveur : le
Christ est le serviteur souffrant « pour que vous marchiez sur ses traces » (1 P 2, 21). [2]
Après ces explications, voici l'hymne de saint Pierre :
« Christ a souffert pour vous, vous laissant un exemple pour que vous marchiez sur ses traces :
lui, il n'a pas fait de péché, et il ne s'est pas trouvé de fraude dans sa bouche (Is 53 ,9) ;
lui, insulté, ne rendait pas l'insulte, souffrant, il ne menaçait pas (réminiscence d'Is 50,6?),
mais se livrait à celui qui juge avec justice (cf. Is 50,8 ?) ;
il a pris sur lui nos fautes (Is 53,12) dans son corps sur le bois,
afin qu'ayant trépassé aux péchés, nous vivions pour la justice (Is 53,11d, hébreu ?) ;
Par sa meurtrissure vous avez été guéris (Is 53,5d).
Vous étiez en effet errants comme des brebis (Is 53,6a),
mais vous vous êtes tournés maintenant vers le berger et gardien de vos âmes. »
(1 P 2, 21-25)
Chez saint Paul
Le Christ est « mort pour nos péchés »
(1 Co 15, 3-4)
Il s’agit d’une reprise de l’idée générale de Isaïe 53, 1-12.
Le Christ est « livré à cause de nos fautes et ressuscité pour notre justification. »
(Rm 4, 24-25)
On y reconnaît « livré à cause de leurs péchés » (Is 53,12 dans la Septante) et: « Juste, mon serviteur
justifiera les multitudes » (Is 52,11 dans l’hébreu).
« Le Christ s’est offert une seule fois pour prendre sur lui les péchés de beaucoup »
(He 9,26)
L’expression est emprunté à Is 53,12 dans la version grecque de la Septante.
« Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice
de Dieu »
(2 Co 5, 21)
Trois explications complémentaires éclairent l’expression "Dieu l’a fait péché pour nous":
L’explication juridique : pour les Juifs, Jésus a blasphémé en se présentant comme l’égal de
Dieu. Il est donc pécheur, il est péché. Jugé comme tel, il est mis à mort, mais cette mort, Dieu
en a fait l’instrument de notre justification.
L’explication mystique : Jésus, depuis son baptême au Jourdain s’est rendu solidaire de l
’humanité pécheresse, c’est pourquoi il subit les tentations au désert juste après ce baptême, il
en sort vainqueur et commence son ministère public marqué par de très nombreux exorcismes
partout où il va. Mais son baptême véritable c’est sa passion. Jésus est fait péché, c’est à dire qu
’il est mystiquement immergé dans le péché, afin de vaincre le péché et d’exorciser le monde.
L’explication par la référence au texte hébreu de Isaïe. 2 Co 5, 21 est écrit en grec mais pourrait
se référer au mot hébreu « asham » (Is 53, 10) qui désigne à la fois le péché et le sacrifice pour
le péché. Si l’on pense au sacrifice pour le péché, 2 Co 5, 21 est alors un texte qui parle du
sacerdoce du Christ dans le contexte de la liturgie du Yom Kippour.
L’Apocalypse
Les très nombreuses références au Christ « Agneau » font songer à l’agneau pascal de l’Exode, mais c’est
surtout la référence à Isaïe 53,7 qui permet de comprendre le relief donné à l’immolation volontaire du
Christ agneau, et à sa mort violente comme chemin de vie, de victoire et de royauté. [3]
Les Ecritures sont accomplies
D’une part, la venue du Christ est une lumière qui unifie les révélations dans l’histoire qui l’a précédé.
D’autre part, Jésus a transmis une tradition orale qui introduit par la lecture du prophète Isaïe la
D’autre part, Jésus a transmis une tradition orale qui introduit par la lecture du prophète Isaïe la
compréhension de sa Passion. Les auteurs du Nouveau Testament y font référence en citant tel ou tel verset,
mais c’est à tout l’ensemble qu’ils se réfèrent. [4]
[1] Cf. Pierre GRELOT, Les poèmes du serviteur, de la lecture critique à l’herméneutique, Ed. du Cerf, 29
bd Latour-Maubourg, Paris, 1981, p.180-182
[2] Cf. Pierre GRELOT, ibid., p. 156
[3] Cf. André FEUILLET, L’accomplissement des prophéties, Desclée 1991, p. 168
[4] C.-H. DODD, Conformément aux Ecritures. Seuil, Paris, 1968 (original anglais 1952)
Synthèse F. Breynaert
Lire aussi :
Rm 3, 25. Mc 10, 45. Jésus propitiatoire de l’arche d’Alliance, l’expiation
De la fête juive des Expiations (Kippour) à la prière sacerdotale de Jésus (Jn 17)
Chapitre : Un messie souffrant ? (Ecriture)
Les chants du Serviteur, une révélation pour le temps du retour d’exil
Dans le contexte spirituel perse
La foi d’Isaïe en un Dieu d’amour
La foi d’Isaïe en Dieu Sauveur parce que Créateur...
La dimension universelle de la perspective d’Isaïe
Le Serviteur (Isaïe 42-53)
Le Serviteur va plus loin que ceux qui l'ont précédé
La Septante et l'ajout d'un sens collectif
Les oracles du serviteur (Isaïe)
Lc 2, 30-32 : Syméon voit en Jésus le Serviteur
Mt 8, 17 : Jésus a pris nos infirmités (cf. Isaïe 53)
Mt 12 : Jésus, un Nom pour les nations (cf. Is 42)
La passion de Jésus, accomplissement du Serviteur souffrant
Jésus dépasse le Serviteur d'Isaïe
La critique de Nietzsche n'a pas de prise
Un éclairage puissant sur le sens de la souffrance
Zacharie 12, 10 : un messie transpercé
Prophète Daniel : la résurrection du martyr
Le Psaume 22, le cri de Jésus et son exaucement (Benoît XVI)
De l'oral à l'écrit, et de l'Ancien Testament au Nouveau
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