Copyright 2014 © Implications philosophiques – ISSN 2105-0864
Cet élargissement ne risque-t-il pas de nous conduire à la rupture du champ de la philosophie
morale ? Gare en effet à ne pas prendre pour éthique au sens philosophique ce que d’aucuns
font de l’éthique : ne confondons pas greenwashing et philosophie environnementale ;
moralisation de la politique et de la finance et slogans politiques de campagne ; bonnes
pratiques professionnelles, codifiées et réflexion critique sur la moralité d’une profession et de
ses conditions d’exercice.
La philosophie morale explore d’autres matériaux, s’ouvrant à la littérature comme aux
neurosciences. Mais ne risque-t-on pas alors de faire basculer la pratique philosophique dans
un cas dans le registre de l’expression, dans l’autre, de dissoudre la philosophie dans
l’enquête scientifique ?
Ces différentes questions peuvent sans doute être réunies en une seule : qu’est-ce qui
caractérise encore en propre la philosophie morale ?
En effet, les caractéristiques nouvelles de l’éthique qui se dessinent en creux sont : sa prise de
distance avec la philosophie traditionnelle, son ouverture à d’autres disciplines, son refus de
faire de l’éthique le domaine réservé de spécialistes. Ces traits, partagés par d’autres sections
de la philosophie contemporaines, nous amènent à poser cette redoutable méta question : en
quoi est-ce encore de la philosophie ?
Cette question ne saurait être ici posée de manière frontale et brutale mais accompagnera
peut-être le lecteur à l’examen des différentes contributions. Il l’articulera à chaque article
autour de son domaine d’expertise propre et elle parcourra l’ensemble du dossier.
Dans ce constat d’une extension qui touche aux limites de la philosophie, il ne faudrait pas
voir de notre part une tentative de tirer des conclusions normatives. Il ne s’agit pas pour nous
de plaider pour une façon plutôt qu’une autre de faire de l’éthique, que ce soit pour une sortie
de l’éthique hors de la philosophie ou pour le maintien de son indifférence aux sciences ou à
tout ce qui l’entoure. Nous voulons seulement observer, comprendre et prendre la mesure des
changements importants qui s’opèrent aujourd’hui.
C’est de cette manière que ce dossier a été coordonné et que les contributions retenues ont été
organisées : un panorama, non exhaustif. Nous avons organisé les publications en deux grands
chemins, représentatifs de ces orientations. Nous avons regroupé au sein d’une première série
intitulée « Intersections » les contributions qui nous paraissaient, chacune à leur manière,
mettre en regard différentes traditions ou disciplines. La seconde série, intitulée, « Éthique
pratique » regroupe les contributions relevant de l’éthique appliquée, de la bioéthique, ou de
l’éthique sociale, sur des thèmes très divers. Ces différents chemins sont autant de moyens de
s’éloigner de la philosophie au sens traditionnel du terme.
Comment, quand il faut pour répondre à des questions – d’éthique médicale par exemple –
faire appel au droit, à la médecine, voire à la littérature, et à l’expérience des praticiens, des
familles, des patients – continuer à délimiter pour l’éthique un domaine propre ? Peut-être ce
dossier n’y répond-il pas, au contraire. Il nous a en effet paru plus intéressant de dresser des
enjeux, des défis et des perspectives que de tirer un bilan. Mais en même temps, on peut