Napoléon et les arts
>PAR STÉPHANIE MORILLON, PROFESSEURE D’HISTOIRE-GÉOGRAPHIE, CHARGÉE DE MISSION MÉMOIRE ET PATRIMOINE
AU RECTORAT DE PARIS
HISTOIRE-HISTOIRE DES ARTS CYCLE 3
Place dans les programmes
HISTOIRE
La Révolution française et le Premier Empire l
L’aspiration
àla liberté et à l’égalité, réussites et échecs.
HISTOIRE DES ARTS
Arts visuels l
Découvrir deux domaines artistiques, arts de
l’espace et arts du visuel. Les associer à une période histo-
rique. Comprendre que l’art peut être au service d’un homme
(Napoléon) et d’un régime (Premier Empire).
Objectifs et démarche
Pour Napoléon Ier, « la royauté est un rôle » et les souve-
rains doivent « toujours être en scène ». Avant même d’être
empereur, il a une conscience aiguë de la portée politique
de l’image qu’il diffuse. Dès sa campagne en Italie, il s’intéresse
vivement aux arts mais les considèrecomme des instruments
àson service et se montre aussi actif et directif dans ce
domaine que dans les autres. Entouré d’hommes compétents
et fiables, comme Vivant Denon, « l’œil de Napoléon », il orga-
nise des concours, programme des salons, projette de trans-
former le Muséum central des arts (devenu musée Napoléon)
en musée universel, fonde quinze musées en province, collec-
tionne, commande des œuvres et fait ériger des monuments
dans Paris. Aucun domaine artistique ne reste hors de son
influence.Portraits impériaux, scènes de bataille, récits d’ex-
ploits véhiculent son image d’homme intrépide mais clément,
charismatique et proche de ses soldats, majestueux et simple.
Napoléon considère Jacques-Louis David, le chef de file
incontesté de l’école néoclassique, comme le plus grand
peintrede son temps. Pour autant, il ne le laisse pas libre de ses
sujets et refuse ses Sabines. Anne-Louis Girodet, François
Gérard, Antoine-Jean Gros figurent la geste impériale au goût
de l’Empereur, « sans allégorie, sans faste vain ». Antoine-Denis
Chaudet, Jean-Antoine Houdon privilégient le marbrepour fixer
le regard du magistrat suprême de la République.
Mais Napoléon s’intéresse également aux arts décoratifs. Son
goût pour les formes simples et sobres inspirées des styles égyp-
tien et romain se répand : meubles, porcelaines, tapisseries,
bijoux n’y échappent guère, deme que les décorations du
Trianon, des châteaux de Compiègne, Rambouillet, Fontainebleau
La légende napoléonienne s’inscrit sur les murs de Paris :
les architectes Percier et Fontaine chantent sa gloire dans la
pierre, édifient des colonnes en l’honneur des armées, cons-
truisent des monuments célébrant ses victoires. « Les arcs
de triomphe seraient un ouvrage futile et qui n’aurait aucune
espèce de résultat, que je n’aurais pas fait faire, si je n’avais
pensé que c’était un moyen d’encourager l’architecture. Je
vais […] nourrir pendant dix ans la sculpture de la France. »
Les commandes connaissent une véritable explosion sous
l’Empire : Biennais, Jacob-Desmalter, les manufactures de
Sèvres, de Lyon, des Gobelins bénéficient largement du mécé-
nat impérial jusqu’en 1812, date à laquelle les finances
manquent et nombre de projets, comme le palais du roi de
Rome sur la colline de Chaillot, sont finalement arrêtés.
Dans le domaine des arts musicaux, l’opéra doit être le
miroir de la politique napoléonienne. La scène, fleuron de la
vie parisienne, est un lieu idéal pour faire valoir son action
auprès de l’opinion. En revanche, son succès est moindre en
littérature. La censure sévère exercée sur les écrivains n’eut
point les effets escomptés et si Napoléon n’aimait ni
Chateaubriand, ni Mme de Staël, ni Benjamin Constant, eux-
mêmes se tinrent à l’écart du pouvoir.
En un sens, nul souverain ne fut plus attentif aux arts que
Napoléon, à l’exception de Louis XIV. Il n’a de cesse de légiti-
mer son pouvoir en multipliant les signes du prestige, du luxe
ainsi que ceux de l’exploit guerrier et de la victoire. Les symboles
du pouvoir renouvellent le répertoire mais continuent d’évo-
quer ceux des Bourbons.Le choix des emblèmes est débattu
en Conseil d’État : l’aigle, les abeilles, le laurier s’inspirent de
l’Empire romain ou des dynasties mérovingienne et carolin-
gienne.
Sacramentels, les arts « influent puissamment sur la gloire
des nations et l’opinion des contemporains ». Cependant,
plus les signes de légitimité s’accumulent, comme dans le
portrait d’Ingres, plus Napoléon semble porter des habits trop
grands… L’ostentation de la représentation qui confine au
culte de la personnalité fait pencher le bilan artistique de
Napoléon vers un despotisme monarchique. En mettant l’art
àson service, il a sans doute réussi à construire sa légende,
mais celle-ci lui a en partie échappé.
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE 2
LES ARTS SOUS L’EMPIRE
TDC ÉCOLE N°58
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l
JOURDAN Annie. Napoléon, héros, imperator, mécène. Paris :
Aubier,1998 (coll. Historique).
SAVOIR
DOCUMENTS
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LES ARTS SOUS L’EMPIRE
Des ordres de propagande
lNapoléon, texte d’arrêté du 3 mars 1806.
A
Article 1 Les sujets ci-après désignés seront exécutés en peinture pour les sommes affectées à chacun desdits
sujets, à savoir :
1° – L’Empereur haranguant le 2ecorps d’armée sur le pont du Lech, à Augsbourg ;
2° – L’armée autrichienne prisonnière de guerre, sortant d’Ulm, défilant devant Sa Majesté et à l’instant où Elle parle
aux généraux vaincus ; […]
4° – Rapp présentant à l’Empereur les drapeaux, les canons, le prince Repnine et plus de 800 prisonniers nobles de
la garde russe ; […]
7° – L’Empereur pardonnant aux révoltés du Caire sur la place d’Ezbéckiék ; […]
Les huit tableaux seront exécutés dans la proportion de 3,3 mètres de haut sur 4 ou 5 mètres de large ; le prix
affecté à chacun des dits sujets sera de 12 000 francs ; ci, pour les huit, de 96 000 francs. […]
Article 3 Tous ces tableaux seront placés dans le palais impérial des Tuileries, après exposition publique au Salon
du Musée napoléonien, fixée au 15 août 1808.
Article 4 Tous les artistes qui, à cette époque, et sans motifs plausibles, n’auraient pas terminé leur ouvrage,
seront considérés comme inhabiles aux travaux que le Gouvernement pourrait ordonner dans la suite.
Une œuvre de commande
lPierre-Claude Gautherot (1769-1821), Napoléon harangue le 2ecorps de la Grande Armée sur le pont de Lech à
Augsbourg, 1805. Huile sur toile, 385 x 620 cm. Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon.
B
© (CHÂTEAU DE VERSAILLES) DANIEL ARNAUDET/RMN
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE 2
Le général guérisseur
lAntoine-Jean Gros (1771-1835), Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, 1804. Huile sur toile, 532 x 720 cm.
Paris, musée du Louvre.
C
©THIERRY LE MAGE/RMN
LES ARTS SOUS L’EMPIRE
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Napoléon en majesté
lJean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867),
Napoléon sur le trône impérial, 1806. Huile sur toile,
259 x 162 cm. Paris, musée de l’Armée.
D
Trône impérial
lFrançois-Honoré-Georges Jacob-Desmalter (1770-
1841), salle du Trône, 1808. Bois, bronze doré, velours,
620 x 445 cm. Fontainebleau, château de Fontainebleau.
E
© MUSÉE DE L’ARMÉE/PARIS,DIT.RMN/PASCAL SEGRETTE
© GÉRARD BLOT/RMN
Fontaine éléphant
lJean-Antoine Alavoine (1777-1834), projet de fontaine, 1808-1813. Encre noire, plume, rehauts d’or, 41 x 51,8 cm.
Paris, musée du Louvre.
G
Parade militaire
lJoseph-Louis-Hippolyte Bellangé (1800-1866), Un jour de revue dans la cour du Carrousel en 1810, 1862. Huile sur
toile, 101 x 161 cm. Paris, musée du Louvre.
F
© FRANK RAUX/RMN
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LES ARTS SOUS L’EMPIRE
© MICHÈLE BELLOT/RMN
ANALYSES ET PISTES D’EXPLOITATION
>>
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE 2
àUne légende peinte
L’arrêté du 3 mars 1806 (
DOC
)témoigne de la poli-
tique artistique de Napoléon Ier et révèle la place que
l’Empereur dédie à la peinture, instrument idéal pour accé-
der à l’immortalité et servir sa légende. Elle illustre l’épo-
pée héroïque, montre le général « haranguant les troupes »
et triomphant sans arrogance des armées ennemies,
qu’elles soient autrichiennes ou russes.
Napoléon détermine avec précision les sujets, les
dimensions (en pieds dans le texte original), le prix des
œuvres commandées ainsi que leurs lieux d’exposition.
Il n’est toléré aucun retard de livraison, au risque de n’être
plus jamais sollicité. C’est au Salon du Musée napoléo-
nien ou musée central des Arts (le futur Louvre) que le
public parisien peut venir les admirer avant qu’elles ornent
le palais impérial des Tuileries, lieu central du pouvoir.
Sur l’immense toile Napoléon harangue le 2ecorps de
la Grande Armée sur le pont de Lech à Augsbourg
(
DOC
), réalisée par Pierre-Claude Gautherot, élève de
Jacques-Louis David, le père des soldats et maître de
l’Europe protège, soutient, encourage, rallie, exalte, montre
la voie et indique l’avenir. Tous obéissent à ce chef charis-
matique dont la redingote grise contraste par sa simpli-
cité avec les plumes rouges de ses généraux. La scène
se situe pendant la campagne d’Allemagne de 1805,
lorsque la Grande Armée prend les troupes autrichiennes
àrevers à Ulm. S’apprêtant à investir Augsbourg, le corps
d’armée du maréchal Soult traverse le Lech sur le pont
de Sechausen. Napoléon, suivi de son état-major (Bessières
et le mamelouk Roustam), fait prêter serment aux grena-
diers du 2ecorps (gauche du tableau). S’avançant entre
les soldats, il salue ses troupes en tendant le bras d’un
côté, les embrassant du regard de l’autre. Ce geste fait
clairement référence au salut romain : baignés de culture
classique,les hommes de la Révolution et de l’Empire
s’approprient la gestuelle antique.
Se considérant comme un nouveau Médicis, connais-
seur éclairé et protecteur des arts, Napoléon fait cepen-
dant appel à Dominique Vivant Denon dont l’expérience et
le talent étaient connus de Louis XV et de Louis XVI. Denon
participe à l’expédition d’Égypte et aux guerres d’Italie où
il inventorie les monuments et les œuvres à rapporter en
France. Chargé d’un rapport sur la politique artistique des
rois de France, il est nommé directeur général des musées.
Ministre de la Culture en quelque sorte, il contribua à la
rédaction de l’arrêté de 1806.
La France n’étant pas prête à attaquer la Grande-
Bretagne de front, le Directoire décide une intervention
indirecte en Égypte, étape importante sur la route des
Indes orientales et province de l’Empire ottoman soumise
aux dissensions des mamelouks. Bonaparte se voit
marcher sur les traces d’Alexandre le Grand. L’expédition
quitte Toulon avec 36 000 hommes en mai 1798 et atteint
Alexandrie en juillet. Deux jours après la bataille des
B
A
CA
Pyramides, Bonaparte entre triomphant au Caire, peu avant
la destruction de la flotte française par l’amiral Nelson
près d’Aboukir. La population du Caire se révolte, ce qui
l’oblige à reprendre les armes. C’est en se dirigeant vers
la Syrie pour stopper l’invasion turque qu’il prend Jaffa
(mars 1799), où les troupes françaises sont frappées par
la peste. Bonaparte quitte l’Orient, et laisse la direction
des opérations à Kléber, qui est assassiné peu après.
Pour magnifier la campagne d’Égypte, Bonaparte
commande Les Pestiférés de Jaffa (
DOC
) à Antoine-Jean
Gros sur une suggestion de Denon. Sous les arcades d’une
mosquée reconvertie en hôpital, Bonaparte touche un
soldat malade en présence du médecin en chef de
l’armée, Desgenettes, tandis qu’un autre soldat tente
d’écarter sa main de peur qu’il ne soit contaminé. À droite,
un soldat dévêtu soutenu par un jeune Arabe est pansé par
un médecin turc. Un officier, frappé d’ophtalmie, s’appuie
sur une colonne. Au premier plan, un pestiféré agonise
sur les genoux de Masclet, jeune chirurgien militaire atteint
lui aussi. Derrière eux, deux officiers français effrayés :
l’un se protège la bouche avec son mouchoir tandis que
l’autre s’éloigne. Sur la gauche de la composition, au milieu
des hommes gisant sur le sol, un groupe d’Arabes distribue
des vivres. Au loin, le drapeau français domine le minaret.
Les Pestiférés de Jaffa témoigne des aspirations impé-
riales : le geste renvoie, dans la conscience des contem-
porains, au rituel du sacre où le roi de France exerçait son
pouvoir thaumaturgique en guérissant les écrouelles.
Gros est entré dans l’atelier de David en 1785. Il quitte
Paris en 1793 pour l’Italie, où il s’attire l’estime de Bonaparte
grâce à sa représentation de la bataille d’Arcole. Ce néo-
classique inspirera les romantiques tels que Géricault et
Delacroix. Le tableau des Pestiférés est destiné au Salon
de 1804.
l
Proposer les
Activités
à, p. 44.
àQuand l’art légitime
le pouvoir
Dès son couronnement, Napoléon désire diffuser son
image d’empereur comme il l’avait fait avec ses portraits
en Premier Consul. Il fait appel en 1805 à Jean-Auguste-
Dominique Ingres, brillant élève de David, qui a reçu le
prix de Rome en 1801.
Le Portrait de Napoléon Ier sur le trône impérial
(
DOC
), acheté par le Corps législatif et présenté au
Salon de 1806, est une commande de l’administration
impériale destinée à l’Empereur.Assis sur un trône somp-
tueux devant un tapis orné des signes du zodiaque et de
l’aigle impériale aux ailes ouvertes, Napoléon porte un
ample manteau pourpre doublé d’hermine, attribut des
monarques de l’Ancien Régime, sur lequel les abeilles
ont remplacé les fleurs de lys. Il tient les regalia (conser-
vées au musée du Louvre) : la main de justice, le sceptre
de Charles V, ainsi que l’épée dite de Charlemagne.
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