
Klesis – 2016 : 34 – Dire « nous » 
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quel sens y a-t-il, sous certaines circonstances, à dire « nous » ? Ou encore, pour le dire 
différemment : quelles sont les conditions qui doivent être satisfaites pour que le 
« nous » ait véritablement valeur de « nous » ? Comme on le voit, il ne s’agit pas 
simplement d’établir les conditions sous lesquelles un « je » peut reconnaître son 
appartenance à un « nous », mais bien plutôt de rendre compte de la constitution de ce 
« nous » comme tel. Dire « nous », ce n’est pas effectuer la sommation de multiples « je », 
c’est adopter une perspective à la première personne du pluriel. 
Ce faisant, et en dépit de quelques  prétentions  excessives à l’inédit élevées par 
certains de ses promoteurs, le débat sur l’intentionnalité collective semble se situer dans 
la continuité de réflexions déjà conduites sur ce thème en sociologie ou en philosophie. Il 
est en particulier manifeste que la phénoménologie sociale abonde de considérations 
relatives au « nous ».  Ainsi  Husserl, dans le cadre des analyses consacrés à 
l’intersubjectivité et à la socialité, a décrit l’expérience de la constitution du « nous » à 
partir et en dépassement de l’égologie transcendantale4. Scheler a pensé la « personne 
commune » (Gesamtperson)  comme une dimension complémentaire de la « personne 
singulière » (Einzelperson), où se jouent notre expérience vécue du social et notre 
inscription dans des formes de communauté5. Heidegger, dans Être et Temps, voit dans 
ce qu’il nomme l’« être-avec » (Mitsein) une dimension existentiale qui relève du 
« nous », une dimension antérieure à toute définition du « moi » et d’autrui et analogue à 
la coexistence des étants dans le monde6.  Dans la perspective d’une refondation 
phénoménologique de la sociologie wébérienne, puis d’une exploration des structures 
du monde de la vie, Schütz a situé la « relation sur le mode du Nous » (Wir-Beziehung) au 
fondement de toute relation sociale7.  Dans  L’Être et le Néant, Sartre a consacré des 
développements conséquents à la distinction entre le « nous-objet » (dans le cas d’une 
communauté constituée par le regard d’un tiers) et le « nous-sujet » (où nous sommes 
les sujets de l’expérience du « nous »). Dans L’Homme et les gens,  Ortega y Gasset 
                                                        
4 E. Husserl, Méditations Cartésiennes et les Conférences de Paris, tr. fr. par M. B. de Launay, Paris, PUF, 
1994 et Sur l’intersubjectivité. I et II, tr. fr. par N. Depraz, Paris, PUF, 2001. 
5 M. Scheler, Le Formalisme en éthique et l’éthique matériale des valeurs. Essai nouveau pour fonder un 
personnalisme éthique, « Personne singulière et personne commune », appendice 4, Paris, Gallimard, 1955, 
p. 519-560. 
6 M. Heidegger, Être et Temps, tr. fr. par E. Martineau, Paris, Authentica, 1980, § 26 sq. Pour une relecture 
contemporaine, en prise avec le débat sur l’intentionnalité collective : H. B. Schmid, Wir-intentionalität : 
Kritik des ontologischen Individualismus und Rekonstruktion der Gemeinschaft, Freiburg, K. Alber, 2005. 
7 A. Schütz, Der sinnhafte Aufbau der sozialen Welt. Eine Einleitung in die verstehende Soziologie [1932], 
Konstanz, UKV, 2004, p. 313 et A. Schütz et T. Luckmann, Strukturen der Lebenswelt, Konstanz, UKV, 2003, 
p. 101 sq.