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Projet pour l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon
La stratégie appliquée à tout établissement d’enseignement supérieur est enserrée entre une
double contrainte qui détermine à la fois sa formulation et sa mise en œuvre, selon la
dichotomie fondamentale introduite par cette discipline. La première finalité de tout système
éducatif demeure la transmission des connaissances validées historiquement, techniquement
ou scientifiquement. En ce sens, s’il ne s’agissait uniquement que de perpétuer des processus
de diffusion des savoirs, la notion de stratégie en elle-même ne serait guère pertinente,
puisque toute institution n’admettrait d’autre finalique de « persévérer dans son être ». Si
l’approche scholastique la transmission des contenus constituait l’unique finalité
poursuivie par les institutions d’enseignement, alors elles n’admettraient d’autre finalité que
de se perpétuer elles-mêmes : la notion de « stratégie » serait dès lors inopérante, puisqu’elle
n’est pertinente que si les décideurs sont amenés à effectuer des arbitrages, et donc à orienter
leur développement en fonction de certains axes qu’ils privilégient par rapport à d’autres axes.
Il existerait dès lors une forme de « conatus », pour reprendre le concept spinoziste, qui
constituerait le fondement de leur être. Mais cette vision d’un statisme figé dans la
reproduction de structures immuables entre en contradiction avec l’insertion de ces mêmes
institutions dans des environnements soumis à des mutations qui en transforment de manière
permanentes les configurations. En ce sens, c’est bien la prise en compte des transformations
des environnements qui légitime la notion même de stratégie appliquée aux établissements
d’enseignement supérieur : leur dynamique transformationnelle est dictée autant par
l’impératif d’adaptation aux environnements dans lesquels ils sont insérés, que par le simple
processus d’accumulation et d’actualisation des connaissances. Dans le cas contraire, les
institutions perduraient jusqu’à ce que les lois de l’entropie ne trouvent un champ
d’application et qu’elles ne provoquent en fin de compte leur progressive déliquescence : des
institutions qui s’avèrent incapables de s’adapter à leurs environnements finissent par
s’étioler, se désagréger, puis disparaître. Mais les organisations peuvent également souffrir
d’« hypertélie », pour user cette fois-ci d’une métaphore biologique, savoir la tendance à
l'augmentation continue de la capacité d’adaptation jusqu'au point la « suradaptation »
s'inverse en inadaptation). Les établissements d’enseignement supérieur peuvent tout autant
pâtir d’un immobilisme mortifère que d’un activisme désordonné. La qualité des
enseignements qu’ils dispensent se mesure, entre autres, en fonction de la fréquence à laquelle
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ils sont actualisés, révisés et approfondis en intégrant les résultats des recherches les plus
récentes. Tel devrait être le principal critère d’évaluation de leurs performances.
1- L’impératif contingent de l’employabilité
Longtemps il a été postulé que la possession d’un diplôme de l’enseignement supérieur
constituait la meilleure protection contre le risque de chômage. En réalité, cela n’a jamais été
le cas dans les pays en voie de développement et émergents : dans bien des cas, le taux de
sous-emploi des diplômés excède celui des non-diplômés, surtout dans les économies dans
lesquelles les structures informelles prédominent largement sur les structures formelles. La
situation des pays européens est plus diverse : ceux-ci connaissent un sous-emploi plus ou
moins marqué des jeunes diplômés, y compris ceux originaires des pays dont les structures
économiques sont les mieux adaptées aux contraintes imposées par la mondialisation (Suède
malgré la crise frappant son secteur des biotechnologies) ou l’ont été (Finlande avant que la
crise frappant le secteur des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication
ne la plonge dans une crise inextricable). Si la situation de la France demeure nettement plus
favorable que celle des pays frappés par une crise structurelle (Sud et Est de l’Europe), il a été
constaté par l’INSEE qu’environ dix pour cent d’une génération (soit environ 80 000
individus) quitte actuellement ce pays chaque année et émigre vers des pays dont les
structures économiques sont de nature à leur proposer des emplois qui correspondent mieux à
leurs formations et à leurs attentes : en ce sens, le cas de la France ne diffère guère de celui de
l’Italie. Ce constat admet une double explication contradictoire.
- La France connaît une croissance démographique significative la différence de l’Italie),
mais une croissance économique trop faible qui ne permet pas de créer un nombre suffisant
d’emplois pour absorber les nouveaux entrants diplômés sur son marché du travail.
- Le système français d’enseignement supérieur est considéré comme compétitif. Autrement
dit, il forme des diplômés qui sont en mesure de s’insérer avec succès même sur les marchés
du travail des pays qui sont plus avancés dans les révolutions technologiques qui sont en train
de transformer les systèmes productifs. En conséquence, tout comme pour les pays anglo-
saxons (Australie, Etats-Unis, Royaume-Uni), l’enseignement supérieur français demeure un
secteur attractif pour les jeunes originaires des pays moins développés et qui sont à la
recherche d’une formation exigeante de grande qualité : l’Anglais, certes, demeure la seule
langue commune au plan mondial, mais le Français ne constitue pas un obstacle dirimant à la
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différence de l’Allemand, du Japonais ou du Coréen (les pays scandinaves utilisant leurs
langues peu répandues comme une barrière à l’entrée difficilement surmontable). La
francophonie demeure un atout pour la France parce que la maîtrise de cette langue, certes
difficile, permet d’accéder à un système d’enseignement supérieur qui demeure à la pointe des
avancées scientifiques (ce qui n’est pas le cas de l’hispanophonie ou de la lusophonie).
Néanmoins, ce constat oblige les établissements d’enseignement supérieur à concevoir des
cursus de formation qui remplissent au moins deux conditions :
- supprimer les enseignements qui sont frappés d’une irrémédiable obsolescence et les adapter
aux nouvelles conditions technologiques, ce qui légitime une actualisation périodique, mais
pas trop fréquente néanmoins, des programmes. Un exemple permet d’illustrer cette sage
application du principe de précaution. Il est toujours intéressant de relire rétrospectivement
certaines analyses relatives à la trajectoire de croissance des pays émergents ou de l’évolution
future des prix du pétrole et qui ont été rédigées il y a seulement quelques années. Elles
méconnaissaient, le plus souvent, leur caractère intrinsèquement cyclique. Toute extrapolation
repose souvent sur une ignorance des processus passés, ce qui suffit en soi à légitimer
l’importance de la connaissance des faits historiques pour comprendre le présent. Toute
actualisation des programmes doit être menée, en conséquence, avec circonspection, car un tel
exercice est confronté au paradoxe de la flèche de Zénon d’Elée, un processus
perpétuellement répété qu’il est impossible d’achever ;
- prévoir une ouverture internationale sachant que les marchés pertinents de l’emploi
admettent une extension géographique différente selon les filières. Un analyste financier peut
exercer théoriquement son métier sur l’ensemble des places financières du monde, alors qu’un
juriste ne peut véritablement valoriser ses compétences que dans le (les) pays dans lequel le
(les) droit(s) qu’il connaît est (sont) en vigueur. L’internationalisation ne constitue pas une
finalité en elle-même : son application est subordonnée au principe de contingence.
C’est en prenant en considération les spécificités des formations dispensées dans les Instituts
d’Etudes Politiques, ainsi que les opportunités nées de la mondialisation économique, que
l’envoi à l’étranger des élèves pendant une partie de leur scolarité revêt tout son sens. Il s’agit
fondamentalement d’un rite initiatique, qui permet normalement une prise de conscience de
l’altérité (et non, dans la très grande majorité des cas, l’acquisition de connaissances
spécialisées qui sont ignorées dans les pays d’origine des étudiants). Mais cette prise de
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conscience tourne parfois au simple « tourisme éducatif », en conséquence de quoi l’apport
dans le cursus de formation est relativement limité. Il va de soi que l’internationalisation du
corps professoral ne constitue qu’un pseudo-substitut voire qu’un pis-aller à une
immersion de longue durée dans un pays étranger, tout comme l’enseignement dans une
langue étrangère. A cet égard, le parcours de formation des étudiants originaires de la plupart
des pays de l’O.C.D.E. est nécessairement d’une nature autre que celui des étudiants
originaires des pays émergents ou en voie de développement. Mais ces derniers savent que
leurs systèmes nationaux d’enseignement supérieur pâtissent des mêmes maux que leurs
systèmes économiques : la hiérarchie de la puissance économique reproduit de manière quasi-
homothétique la hiérarchie de la puissance, et donc le potentiel d’attractivité, des systèmes
d’enseignement supérieur.
Les Instituts d’Etudes Politiques peuvent toujours, certes, parier sur l’augmentation
tendancielle de leur attractivité au plan mondial, mais les formations qu’ils dispensent ne
portent pas sur la transmission des connaissances scientifiques et technologiques les plus
avancées : les enseignements spécialisés dans les filières scientifiques sont partiellement
assimilables à des transferts de technologie ou, plus exactement, ils préparent ceux qui les
reçoivent à en faire le meilleur usage possible. Telle n’est pas la situation des Instituts
d’Etudes Politiques compte tenu de leur spécialisation disciplinaire. Dès lors,
l’internationalisation des cursus de formation revêt une incontestable dimension culturelle, qui
est nettement moins marquée pour les formations scientifiques et technologiques. La place
que les Instituts d’Etudes Politiques français sont en mesure de tenir dans un monde dans
lequel les écarts de développement entre les pays qui sont parties prenantes à la
mondialisation tendent à se réduire est potentiellement prometteuse, pour autant qu’ils ne
forment pas uniquement des spécialistes pouvant exclusivement exercer leurs fonctions
professionnelles dans des cadres nationaux spécifiques.
En réalité, le contenu des formations qu’ils dispensent ne peut intéresser des étudiants
étrangers que s’ils recherchent une ouverture internationale, une immersion culturelle en
France, ou bien une double formation acquise dans un pays qui incarne encore une certaine
idée du prestige. Tout compte fait, parmi le concert des nations, la France symbolise toujours
un art de vivre incomparable, en réalité hors normes, voire exceptionnel, y compris en
Europe. Par construction, la mondialisation économique exacerbe la contrainte extérieure :
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l’enseignement supérieur est avec l’agriculture haut de gamme, l’industrie aéronautique et de
défense, l’industrie du luxe et le tourisme, un secteur dans lequel la France bénéficie d’un
indéniable avantage comparatif, tout comme les pays anglo-saxons avec lesquels, au
demeurant, elle se trouve souvent en situation de concurrence. Mais les établissements
d’enseignement supérieur sont également victimes des effets de mode et des engouements
aussi soudains que passagers. L’internationalisation représentait une forme d’impératif
catégorique il y a une décennie. Tandis que certaines tendances à la « démondialisation » se
profilent, le mot d’ordre aurait changé et l’on retrouverait des vertus cachées au repli sur le
« pré carré ». Les conceptions exclusives et excessives nuisent à une compréhension en
profondeur des processus en œuvre : à la phase de mondialisation intensive des économies a
succédé une phase de mondialisation qui se poursuit à un rythme plus modéré, du moins sur le
plan économique, mais moins sur le plan culturel. La crise actuelle de l’Union Européenne
fait prendre la mesure des ambitions – probablement par trop ambitieuses – en matière
d’harmonisation des diplômes ou, à défaut, de reconnaissance réciproque. Néanmoins, malgré
les progrès réalisés par les systèmes d’enseignement supérieur de certains pays émergents
(surtout la Chine et la Russie), ce sont les modèles anglo-saxons qui demeurent la férence
mondiale, tandis que ceux de certaines grandes puissances industrielles (Allemagne, Corée du
Sud, Japon, Suède) restent relativement autarciques et peu attractifs pour les étudiants
originaires des pays émergents et en voie de développement (sauf à consentir de gros efforts
pour apprendre des langues qui n’ont aucunement vocation à devenir des véhicules de
communication au plan mondial).
2- L’invention de la compétitivité absolue grâce à la dématérialisation
Dans un système concurrentiel, il est indispensable de soumettre une offre de formation à une
analyse économique. Le choix pour un établissement dans une filière donnée, quelle qu’elle
soit, dépend d’une combinaison de paramètres, les facteurs économiques et les facteurs non
économiques. Dans un système dans lequel le paramètre « prix » n’est pas déterminant (tout
simplement parce qu’il fait l’objet d’une fixation par voie glementaire), ce sont les
paramètres hors coût qui devraient en théorie l’emporter.
- Une des raisons pour lesquelles le système français d’enseignement supérieur est compétitif
réside dans son caractère largement public, autrement dit parce que la majeure partie des coûts
qu’il entraîne est socialisée. Ce secteur bénéficie d’importants transferts publics, mais ce
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