Lettre sur l’humanisme 69
seulement apprendre à expérimenter purement cette
essence de la pensée dont nous parlons,, ce qui revient à
T accomplir, il faut nous libérer de l’interprétation tech
nique de la pensée dont les origines remontent jusqu’ à
Platon et Aristote. A cette époque, la pensée elle-même a
valeur de xé}(Vi], elle est processus de la réflexion au
service du faire et du produire. Mais, alors, la réflexion est
déjà envisagée du point de vue de la npccÇiç et de la
n o ü ]C H Ç . C’est pourquoi la pensée, si on la prend en
elle-même, n’est pas « pratique ». Cette manière de carac
tériser la pensée comme Gecopia et la détermination du
connaître comme attitude « théorétique », se produit déjà à
l’intérieur d’une interprétation « technique » de la pensée.
Elle est une tentative de réaction pour garder encore à la
pensée une autonomie en face de l’agir et du faire. Depuis,
la « philosophie » est dans la nécessité constante de justi
fier son existence devant les « sciences ». Elle pense y
arriver plus sûrement en s’élevant elle-même au rang d’une
science. Mais cet effort est l’ abandon de l’essence de la
pensée. La philosophie est poursuivie par la crainte de
perdre en considération et en validité, si elle n’est science.
On voit là comme un manque qui est assimilé à une
non-scientificité. L’Etre en tant que l’élément de la pensée
est abandonné dans l’interprétation technique de la pensée.
La « logique » est la sanction de .cette interprétation, en
vigueur dès l’époque des sophistes et de Platon. On juge la
pensée selon une mesure qui lui est inappropriée. Cette
façon de juger équivaut au procédé qui tenterait d’apprécier
l’essence et les ressources du poisson sur la capacité qu’il a
de vivre en terrain sec. Depuis longtemps, trop longtemps
déjà, la pensée est échouée en terrain sec. Peut-on mainte
nant appeler « irrationalisme » l’effort qui consiste à
remettre la pensée dans son élément?
. Les questions de votre lettre s’éclairciraient plus aisé
ment dans un entretien direct. Dans un écrit, la pensée perd