la domination l’est du programmebourdieusien. Il estdonc vain dechercherà
vérifieroufalsifierempiriquementcesnotions.Cettelimiteàl’interrogationouvre
uneheuristiquepositivederechercheparcequ’ellegénèreunefouled’hypothèses
quiappellentdesenquêtessurdesobjetsempiriquesmultiples.Lapuissanced’un
programmederecherches’évalueàlaféconditédesrecherchesqu’ilrendpossible.
Malgré leurs noyaux durs très différents et même inconciliables, les
programmes marxiste, bourdieusien, adornien, habermassien, foucaldien,
tourainien,constituentautantd’exemplairesdelagrandefamillecritique.Cette
conceptionpermetdetraiterlasociologiecritiquecommeunetraditionplusque
comme une doctrine et de la mettre, du coup, à l’école d’ellemême : dans ses
différentes postureshistoriques,elle expérimentedespossibilitéset deslimites,
découvreousefourvoie,régresseouprogresse.Toutesociologiecritiquesuppose
donc, comme un de ses moments constitutifs, une critique rétrospective de la
critique sociologique antérieure autant qu’une critique des théoriessociales non
critiquesdontellesedémarque.Detelsdébatsfontlarichessedecettetradition:
quel’onsongeàl’efforteffectuéparMaxHorkheimerpourpenserlareligion(ou
l’individualisme)audelàdumarxisme,àceluideJürgenHabermaspourdiscuter
les positions de Theodor W. Adorno et Max Horkheimer sur la rationalité, de
mêmeque,plusrécemment,àceluieffectuéparLucBoltanskipourpenseravecet
contrePierreBourdieu2.
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Maisalorscomment définir lasociologie critique en intension ?Laréponseà
cette question ne réside pas dans des concepts substantiels participant du
contenud’unprogramme.Enparticulier,onnepeuttoutsimplementidentifier
unesociologiecritiqueaurôlesupposétotalquejouerait,danssonexplicationdu
monde social, la domination. Il y a des théories critiques – celle de Jürgen
Habermasparexemple–quinedonnentpasàladominationunrôleàcepoint
important(puisqu’aucontraireils’agitpourluidemontrerlaplacequ’occupede
faitl’activitécommunicationnelle dans lesprocessusd’intégrationsocialeet de
modernisation). Il y a des théories critiques qui ne font pas de la critique des
idéologiesleparadigmedetoutecritiquequivoudraitseprésentercommescience.
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La spécificité d’une sociologie critique doit être cherchée à un niveau plus
formel. Une sociologie est critique lorsqu’elle cherche consciemment et
explicitementàsesitueràlajonctiondestroisdimensionsconstitutivesquej’ai
énumérées.C’estduresteladéfinitionqueMaxHorkheimerdonnaitluimêmede
lathéoriecritiquequidevaitêtre–disaitil–explicative,normativeetpratique,
commelerappelleJamesBohmann(Bohmann,1996,p.190).L’intégrationdes
trois tâches dans une pratique scientifique cohérente constitue la visée de la
sociologiecritique.
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Celleci est donc faite d’un alliage conceptuel très exigeant. Deux axes
épistémologiques doivent être déployés. D’abord, un programme de sociologie
critiquedoitchercheràarticulerexplicationd’unepart,normativitédel’autre.Un
tel souci appelle plus que des simples précautions épistémologiques. C’est le
noyaudurduprogrammequiestconcerné.Ilfautcompléterlabasecognitivede
lathéorieparunebasenormative;etilconvientd’élaborerunlangagescientifique
«évaluatif»,explicitéetassumécommetel.Ensecondlieu,unprogrammede
sociologiecritiqueposelaquestiondel’interventionefficacedusociologuedansle
réeletdonccelledesacoordinationavecles acteurssociaux.Celasupposeune
théoriedelacommunicationsociologique.Etcelaentraineuneconséquence:la
sociologiecritiquenepeutfairel’économied’unethéoriedeladémocratieetdeses
conditionsactuellesderéalisation.
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Je voudrais suggérer au lecteur qu’on peut comparer et juger les différents
programmesdesociologiecritiquesurcesdeuxaxesfondamentaux.Onpeutaussi
constaterdesrétrécissementsduprojetselonquecesarticulationssonttraitéesde
manièreinsatisfaisante.
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