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L’action publique,
ou analyser la complexité
Bernard Delvaux
Revue de la littérature
(partie 4)
Revue de la
littérature
Juin 2007
L’action publique, ou l’analyse de la complexité Delvaux
Table des matières
1. Le concept d’action publique ...........................................62
1.1 Caractéristiques de l’action publique ...................................... 62
1.2 Généalogie de l’approche en termes d’action publique .............. 64
1.3 Evolution du réel ou du regard ? ............................................ 66
2. Modèles théoriques .........................................................67
2.1 Réseaux de politiques publiques (policy network) .................... 68
2.2 Gouvernance....................................................................... 70
2.3 Régulation (regularization).................................................... 77
2.4 Sociologie de la mise en œuvre (implementation) .................... 82
3. Conclusion.......................................................................88
L’action publique, ou l’analyse de la complexité Delvaux
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Ce volet de la revue de la littérature est consacré aux approches soucieuses de rendre
compte de la complexité des politiques publiques. Elles ont en commun le souci de ne
pas limiter les politiques publiques au moment de la décision et à l’acteur étatique, et
d’éviter la conception séquentielle. Pour rendre compte de cette complexité, un courant
de la littérature francophone a forgé le terme d’action publique, de manière à marquer
une rupture avec les approches traditionnelles des politiques publiques.
« Face à une vision inspirée par la primauté accordée à l’impulsion gouvernementale, à
l’action de l’État, et aux interventions des autorités publiques, on indique par ce
renversement, le choix d’une approche sont prises en compte à la fois les actions des
institutions publiques et celles d’une pluralité d’acteurs, publics et privés, issus de la
société civile comme de la sphère étatique, agissant conjointement, dans des
interdépendances multiples, au niveau national mais aussi local et éventuellement
supranational, pour produire des formes de régulation des activités collectives »
(Commaille, 2004, p.413). Une telle prise en compte des multiples acteurs agissant à
plusieurs niveaux aux diverses phases de d’action publique invite le chercheur à prendre
en compte la complexité du réel. Avec le terme d’action publique, est proposée en effet
l’analyse d’une réalité « qui se joue plutôt dans les sinuosités du bricolage, dans les allers
et retours entre les multiples arènes qui cherchent à s’y faire une place, dans les
hésitations inhérentes à un pluralisme qui n’est pas relativiste, dans des rapports de
forces les intérêts des uns ont à affronter les engagements normatifs des autres,
etc. » (Cantelli et al., p.11).
Commaille (2004) souligne que la sociologie de l’action publique se distingue de l’analyse
des politiques publiques du fait qu’elle :
- implique une relativisation du le de l’Etat et une plus grande attention
aux acteurs locaux ;
- ne s’intéresse pas seulement aux actions des institutions mais aussi aux
actions d’une variété d’acteurs publics et privés, pris dans un réseau
complexe d’interdépendances impliquant simultanément à différents
niveaux ;
- s’écarte d’une conception linéaire et hiérarchique des politiques publique et
privilégie une vue plus horizontale et circulaire;
- s’écarte d’une logique d’expertise et procure aux chercheurs plus
d’autonomie par rapport à la définition de l’agenda politique.
Le concept d’action publique invite donc à encastrer un objet d’étude autrefois trop
souvent réduit à la décision politique de l’Etat. Son rôle premier est d’inciter le chercheur
à élargir son champ d’investigation. Mais ce concept ne s’accompagne pas d’une théorie
unifiée permettant d’appréhender ce champ élargi et complexifié. Ses promoteurs
appellent à ne plus se limiter aux outils traditionnels des sciences politiques et à
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mobiliser des concepts et théories empruntés notamment à la sociologie, mais, dans
leurs travaux, ils mobilisent des concepts et théories variés. Bref, s’ils partagent le même
souci de sortir d’une conception simplificatrice, ils n’ont pu ou voulu élaborer un
appareillage conceptuel unifié.
L’objet de cette revue de la littérature n’est donc pas de présenter un courant bien défini.
Je proposerai d’abord une définition plus précise du concept d’action publique,
accompagné d’une courte histoire du processus menant à sa naissance. J’examinerai
ensuite les principaux courants théoriques pouvant être mobilisés pour comprendre
l’action publique.
Précisons que cette partie de la revue de la littérature ne s’intéresse pas aux relations
entre connaissance et politique, si ce n’est de manière incidente. Elle ne s’intéresse pas
non plus prioritairement aux processus de transformation des politiques publiques et de
changement de paradigme. Son objet est une politique publique déterminée, dont il s’agit
de comprendre la dynamique complexe en tenant compte de la multiplicité des acteurs et
des niveaux impliqués, et du fait que les différents moments de l’action publique
s’inscrivent moins dans une séquence bien ordonnée allant de la mise à l’agenda (agenda
setting) à la mise en œuvre (implementation) que dans des processus d’allers-retours et
d’interdépendance.
1.
Le concept d’action publique
Pour rendre compte du concept d’action publique, je présenterai d’abord ses différentes
dimensions. Je replacerai ensuite ce concept dans l’histoire récente de la littérature
consacrée aux politiques publiques. Enfin, puisque la création et la diffusion du concept
d’action publique est le fruit d’un processus qui, comme souvent, mêle intimement
changement du réel et changement du regard sur ce réel, je m’interrogerai sur la
question de savoir dans quelle mesure le concept d’action publique désigne des réalités
nouvelles.
1.1 Caractéristiques de l’action publique
Lorsqu’on tente d’énumérer les principales caractéristiques de l’action publique, six
dimensions principales, mais étroitement liées, paraissent devoir être dégagées : (1) la
multiplicité et la diversité des acteurs participant à l’action publique ; (2) le caractère
composite de l’acteur public ; (3) l’atténuation des rapports hiérarchiques entre ces
acteurs ; (4) la relativisation de l’impact du moment de la prise de décision politique ; (5)
la non linéarité des processus à l’œuvre ; (6) le caractère fragmenté et flexible de
l’action publique.
Multiplicité et diversité des acteurs. L’action publique n’est pas menée de bout en
bout par le seul Etat unifié. Interviennent en effet une multiplicité d’acteurs qui se
différencient par le niveau de pouvoir ils interviennent et par leur nature (publique ou
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privée). L’action publique est qualifiée de multi-niveaux, la décentralisation, l’intégration
européenne et la globalisation ayant contribué « à imposer le poids du local et du
supranational dans des représentations qui ne connaissaient que le national »
(Commaille, 2004, p. 415). L’action publique associe des aussi des acteurs non publics.
« L’Etat n’est plus qu’un des partenaires participant à (la) co-construction (…), une des
composantes parmi d’autres » (Commaille, 2004, p.416).
Caractère composite de l’acteur public. Non seulement l’Etat n’est pas le seul acteur
des politiques publiques mais, de surcroît, il n’est pas monolithique. Chaque acteur
public, et particulièrement l’Etat, « est lui-même agi par la complexité et la
différenciation de ses organisations, la diversité de ses dispositifs et de ses institutions
susceptibles de produire des contradictions internes au champ étatique » (Commaille,
2004, p.416).
Atténuation des rapports hiérarchiques entre acteurs. L’approche en termes
d’action publique remet en cause la position dominante de l’Etat, abandonne une
perspective étato-centrique, l’Etat est vu dans une position surplombante. Une vision
multipolaire et polyarchique remplace une approche hiérarchisée et descendante. Tout ne
se passe plus « comme si les autorités politiques et administratives légitimes occupaient
une position hégémonique, quand ce n’est pas un monopole, dans le traitement des
problèmes publics au sein d’une société ». On n’est plus dans une situation « la
sphère instituée du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire maîtrise à elle seule le destin
collectif, (où) tout part de l’agenda que structure l’attention des autorités publiques et
tout aboutit à l’évaluation que la société civile porte sur leurs actes et non-actes, (où)
l’Etat est au centre et (…) y siège à lui tout seul, ou presque » (Thoenig, 1998, p.44).
Poussant plus loin l’idée, certains vont jusqu’à mettre en question la claire distinction
entre la nature des acteurs. « L’idée d’interrelations complexes se substitue à celle de
dichotomies entre gouvernement et administration, public et privé, local et national »
(Commaille, 2004, p.418).
Relativisation de l’impact du moment de la prise de décision politique. A policy is
never limited to the statement of a law or a rule, and cannot be seen purely as the action
of an authority. « La politique fiscale, par exemple, ne se réduit pas à la seule législation
votée par le parlement : elle est aussi composée de la somme des impositions singulières
auxquelles procèdent les services fiscaux ; en particulier lorsqu’ils ont à interpréter les
situations des contribuables et qu’ils disposent d’une faculté discrétionnaire
d’appréciation, sinon de dérogation » (Thoenig 2004, p.327). « Si l’autorité est présumée
jouer un rôle central, elle est loin d’agir seule. Elle voit intervenir des tiers (…) qui ont
leurs propres logiques ou priorités, qui se comportent comme des acteurs disposant
d’autonomie et dont l’intervention perturbe ou infléchit le cours des choses » (Thoenig,
2004, p.332).
Non linéarité des processus. Entre les multiples acteurs impliqués, existent des
interdépendances complexes, favorables à des processus de co-construction. L’action
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