vosaffaires BLOC D’AFFAIRES : D es courtiers en assurance ou en valeurs mobilières se questionnent souvent sur les conséquences du transfert éventuel de leur entreprise à leur enfant intéressé à prendre la relève. Le présent texte traite de quelques dispositions auxquelles ils devraient porter une attention particulière dans ce contexte. L’article 69 L.I.R. & 422 L.I. 1)Contrepartie inférieure à la juste valeur marchande Lorsqu’un contribuable transfère un bien (ex. : des actions de société ou sa clientèle) à une personne avec qui il a un lien de dépendance (ex. : un enfant), il est important que ce transfert s’effectue à la juste valeur marchande (JVM). En effet, les articles 69 L.I.R. et 422 L.I. prévoient que, si la contrepartie reçue par le parent est inférieure à la JVM du bien, celui-ci sera quand même imposé sur la différence entre la JVM du bien et son prix de base rajusté (PBR), tandis que le nouveau coût du bien pour l’enfant sera la contrepartie payée. Il en résultera donc une sorte de « double imposition » puisque la différence entre la JVM et la contrepartie payée lors de ce transfert sera imposée entre les mains du parent ET de l’enfant. Le transfert entraînera donc, dans la plupart des cas, la réalisation d’un gain en capital (sur des actions de société) ou d’un revenu d’entreprise (sur de la clientèle) pour le parent. Dans l’éventualité où des actions qui font l’objet du transfert se qualifient d’actions admissibles de petite entreprise (AAPE), le parent pourra bénéficier de sa déduction pour gains en capital (DGC) et réduire l’impact fiscal résultant de sa disposition. Cependant, le parent devra s’imposer sur une partie ou la totalité du gain en capital résultant du transfert des actions, dans l’éventualité où ses actions ne se qualifieraient pas d’AAPE ou s’il a déjà utilisé une partie ou la totalité de sa DGC. 2)Aucune contrepartie : donation Le contribuable qui acquiert un bien par donation, legs e ou succession sera réputé M Odile St-Hilaire Michel Lessard avoir acquis le bien à sa JVM, qui deviendra le nouveau PBR l’arrangement, par une méthode pour l’acquéreur. Ainsi, il s’imposera juste et raisonnable; éventuellement sur la plus-value en -L’excédent ou le déficit du prix excédent du nouveau PBR du bien. est vraiment remboursé ou Pour le donateur, le fisc considérera payé, ou la responsabilité légale qu’il a disposé des biens à sa JVM et il est rajustée. s’imposera comme discuté précédemment. Ces dispositions font en sorte Par le biais d’une lettre jointe à sa d’éviter cette « double imposition » en déclaration pour l’année du transfert matière de dons ou de succession. Il est du bien, chaque partie en cause dans donc possible pour le courtier d’effec- cet arrangement avertit le Ministère : tuer un don en faveur d’un enfant i. qu’elle est prête à ce que le prix (majeur), pourvu que le donateur soit indiqué dans l’accord soit revu par imposé au moment du transfert. lui conformément à la clause du rajustement du prix; 3) La clause de rajustement de prix ii. qu’elle prendra les mesures Dans le cadre d’une transmission d’ennécessaires pour régler tout excétreprise ou d’un gel successoral, il est dent ou déficit du prix; crucial de faire l’évaluation des biens qui iii. et qu’une copie de l’accord font l’objet du gel ou du transfert afin de sera adressée au Ministère si ce déterminer la JVM des biens transférés. dernier l’exige. L’évaluation n’étant pas une science exacte, les lois fiscales prévoient qu’on Revenu Québec reprend la position de pourra réajuster un prix de vente adve- l’ARC, à la différence qu’il consinant que la JVM réelle soit différente de dère comme un avis suffisant la l’évaluation, si une clause de rajustement réponse « oui » à la question relative de prix a été prévue1. En l’absence d’une à l’existence d’une clause de rajustetelle évaluation, cette clause revêtira une ment du prix dans un formulaire de importance capitale si les autorités fisca- transfert, lorsqu’un tel transfert doit les contestaient la JVM fixée arbitraire- être effectué3. Dans ce cas, un avis ment par les parties lors du transfert. ne sera pas nécessaire. Une telle clause doit réajuster le prix du bien transféré et non leur quantité. En 4) La notion de personne liée l’absence d’une telle clause ou d’une Des personnes ayant un lien de dépenmention dans les formulaires prescrits, le dance sont des personnes liées entre prix de vente ne pourra être rajusté. elles. Aux termes de l’alinéa 251(2)a), les L’Agence du revenu du Canada particuliers ayant des liens par le sang, le (ARC)2 prendra en considération la mariage, l’union de fait ou l’adoption, clause de rajustement de prix, pourvu sont des personnes liées. De façon généque toutes les conditions suivantes rale, il s’agit du conjoint (marié, uni civisoient remplies : lement ou de fait), d’un enfant ou d’une -L’accord révèle que les parties personne à charge d’un particulier. Sont ont réellement l’intention de également des personnes liées, l’enfant transférer le bien à sa JVM et ont du conjoint du contribuable, soit le beauétabli cette valeur, aux fins de fils ou la belle-fille du contribuable, ainsi Photo : Sonia jam Quelques dispositions quant à des transferts entre personnes liées janvier 2007 25 www.conseiller.ca vosaffaires que leurs conjoints. Le conjoint d’un enfant d’un contribuable, tel que la bru ou le gendre, les parents, frères et sœurs du contribuable, ainsi que les parents, frères et sœurs du conjoint du contribuable, sont tous des personnes ayant un lien de dépendance entre elles. Un particulier n’a pas de lien par le sang, le mariage, l’union de fait ou l’adoption avec une nièce, un neveu, une tante, un oncle ou des cousins, à moins que l’une ou l’autre de ces personnes ne soit liée en raison de la définition élargie du terme « enfant ». Toutefois, dans certains cas, les cousins peuvent être unis par les liens de mariage, d’union de fait ou d’adoption.4 5)Concept de juste valeur marchande Mais qu’en est-il du concept de JVM ? Il s’agit certainement de l’une des notions les plus difficiles à déterminer et que les clients ont souvent tendance à négliger. La définition la plus précise de la JVM serait : « le prix le plus élevé que le propriétaire d’un bien peut raisonnablement s’attendre à en tirer s’il le vend de la façon normale pour le bien en question et dans le cours ordinaire des affaires, le marché n’étant pas soumis à des pressions inhabituelles et étant constitué d’acheteurs disposés à acheter et de vendeurs disposés à vendre, qui n’ont entre eux aucun lien de dépendance et qui ne sont en aucune façon obligés d’acheter ou de vendre.5 » Dans un contexte de transactions entre personnes liées, le courtier serait bien avisé de fixer la JVM en tenant compte de ces critères. Articles 84.1 L.I.R. & 517.1 L.I. Et si, par exemple, le courtier vendait ses actions à son enfant, par le biais d’une société de gestion dont l’enfant serait l’unique actionnaire, de façon à ce qu’il profite de sa DGC et que l’enfant acquière ces actions à meilleur coût fiscal? En effet, l’enfant pourrait désirer bénéficier de dividendes intercorporatifs libres d’impôt via la société de gestion dont il est l’actionnaire unique afin de financer l’acquisition des actions de son père à bon coût. Mauvaise nouvelle en ce cas : les règles anti-évitement spécifiques prévues aux articles 84.1 L.I.R. et 517.1 L.I. s’appliqueraient alors. En effet, même si la vente d’actions est effectuée à la JVM, la règle anti-évitement peut faire en sorte que le gain en capital du père soit réputé être un dividende présumé. Par exemple, le père de Marc Généreux, M. André Généreux, possède 100 % des actions de la société Assurance Généreux inc. Ces actions ont un PBR et capital versé de 100 $, alors que leur JVM est d’environ 200 000 $. André Généreux désire éponger le gain en capital résultant de la vente des actions à son fils à l’aide de sa DGC. Marc Généreux désire, quant à lui, faire l’achat des actions de son père via une société de gestion. La société de gestion de Marc, ayant acquis les actions de son père, pourra bénéficier d’un dividende intercorporatif 6 en franchise d’impôt afin de financer l’achat. Le taux marginal d’imposition d’Assurance Généreux inc. sur les premiers 300 000 $ de revenus imposables sera de seulement 21,12 %. En procédant ainsi, 253 550 $ du bénéfice imposable d’Assurance Généreux inc. seront nécessaires pour financer l’acquisition. Si Marc devait acquérir la société personnellement et financer l’acquisition à l’aide d’un dividende issu d’Assurance Généreux inc., il en coûterait plutôt 398 349 $ de bénéfices imposables à la société afin qu’elle puisse à son tour verser un dividende de 314 218 $ à Marc. Une fois l’impôt acquitté, cela représenterait le capital nécessaire à l’achat de 200 000 $. Les bénéfices bruts de la société nécessaires à ce financement sont conséquemment beaucoup moins considérables en utilisant une société de gestion. Dans pareille situation, les articles 84.1 L.I.R. et 517.1 L.I. convertiront le gain en capital en dividende imposable et, par le fait même, rendront inapplicable l’utilisation de la DGC par le père. En conséquence, l’utilisation d’une gestion par Marc pour l’achat des actions d’Assurance Généreux inc. détenues par André n’est pas compatible avec les objectifs de ces derniers. janvier 2007 27 Disposition présumée au décès Un contribuable est généralement réputé avoir disposé immédiatement avant son décès de toute immobilisation à la JVM. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’immobilisations admissibles, comme un bloc d’affaires (achalandage) et de biens incorporels, le contribuable est présumé en avoir reçu un produit égal aux quatre tiers du montant cumulatif de ses immobilisations admissibles (MCIA) à cette date.7 Il en résulte qu’aucun montant ne sera inclus dans le revenu du défunt à la suite de cette disposition réputée. Ceci répond particulièrement à la situation des courtiers en valeurs mobilières (ceux-ci ne pouvant généralement pas incorporer leur entreprise de courtage). Le courtier pourrait attendre au décès afin de transférer son bloc d’affaires à un enfant pour ne pas être imposé lors du transfert intergénérationnel. Du vivant, une donation aurait entraîné une disposition de sa clientèle (ou entreprise) à sa JVM, tel que discuté au point 1. Pour sa part, l’enfant qui acquiert les immobilisations admissibles de ses parents au décès est réputé avoir acquis ces biens à leur MCIA : les attributs fiscaux des biens transférés seront donc les mêmes que ceux du parent pour l’enfant qui continue à exploiter l’entreprise. Pour éviter de tomber sous le coup des articles 69 et 84.1 L.I.R, un courtier pourrait donc attendre à son décès pour transférer sa clientèle à son enfant. Me Odile St-Hilaire est notaire et fiscaliste pour le Groupe Conscia. Michel Lessard est fiscaliste, assureur vie agréé et planificateur financier pour le Groupe Conscia. 1 Ou si une mention a été faite dans les formulaires prescrits, le cas échéant, tel que ci-après discuté dans la section Position de Revenu Québec. 2 Tiré de : CCH Fiscalité, Collection APFF, Impôt et taxes 2006, colloques, Colloque 160 – Planification et transfert d’activités à différentes structures corporatives, sociétés de personnes ou fiducies - clauses de rajustement de prix et autres clauses relatives aux transferts d’activités. Voir également le Bulletin d’interprétation : IT-169. 3 Par exemple dans le formulaire de roulement TP-518. 4 Pour une définition plus explicite sur ces termes, voir le Bulletin d’interprétation IT-419R2. 5 Tiré de : Henderson Estate and Bank of New York c. MRN , 73 D.T.C. 5471, (C.F. 1re inst.), page 5476. 6 Société rattachée selon le paragr. 186(2) L.I.R. 7 Selon les paragr. 70(5) et 70 (5.1) L.I.R et les articles 436, 437, 439 et 439.1 L.I. www.conseiller.ca