www.bourguiba.com Pour une relecture critique de la relation de Bourguiba à l'Islam Le Cheikh Abdelaziz Ben Baz, Président de l'Université islamique de Médine et plus tard Mufti de l'Arabie Saoudite, avait accusé Bourguiba d'apostasie, appelant même à la rupture des relations diplomatiques avec la Tunisie, si Bourguiba n'annonçait pas publiquement sa repentance. Le Cheikh considérait que Bourguiba avait, dans son fameux discours de 1974 sciemment perverti le Coran et décrit le prophète Mohamed comme un être démuni de moyens intellectuels. Conscient de la gravité de cette réaction, Bourguiba a répondu au Cheikh El Baz, reprenant dans sa réponse un argumentaire religieux : lutte (jihad) contre la France, volonté de faire triompher l'Islam et la langue arabe, respect du Coran, du Prophète… De son côté, l'imam Youssef El Kardhaoui, dans un livre qui vient de paraître cette même année a en quelque sorte " excommunié " Bourguiba, en l'associant aux opposants à l'Islam tel que Kamal Attaturk. En réaction toujours à ce discours, Youssef El Kardhaoui a accusé Bourguiba d'apostasie. Selon Youssef El Kardhaoui ; les paroles de Bourguiba l'excluent " de la communauté de l'Islam parce qu'ils constituent, selon lui, un mise en cause manifeste du Coran… " Je ne comprends pas comment le peuple tunisien, s'est- il indigné, peut accepter une apostasie aussi flagrante. Et comment peuvent- ils l'entendre sans se soulever contre leur auteur ? Et comment un dirigeant peut oser de tels propos dans une société musulmane". Dans les deux cas, Cheikh El Baz et El Khradaoui mettent en cause ses interprétations, lui dénient le droit et le pouvoir d'interpréter le texte religieux. Nous avons la conviction que la position de Bourguiba sur la religion est foncièrement différente des conceptions qui ont été diffusées dans les milieux et populaires et islamistes. Bourguiba était en effet devenu un ennemi de la religion, un apostat. Or il nous semble que son projet avait pour ambition de renouveler l'Islam. La vision bourguibienne de l'Islam Bourguiba a, depuis l' indépendance, porté une attention particulière aux finalités pratiques de la religion musulmane. En effet, pour Bourguiba, l'Islam est une religion qui libère l'homme et les peuples, une force dirigée vers l'avenir et le progrès. Il n'est pas étrange alors que Bourguiba ait considéré l'Islam comme une des bases de la culture tunisienne qu'il faut défendre et préserver, parce qu'il était convaincu que l'Islam ne pouvait en aucun cas constituer un obstacle au progrès. 1/6 www.bourguiba.com En fait, l'intérêt de Bourguiba pour la religion n'a pas commencé lors la construction de l'Etat tunisien. En se basant sur son expérience personnelle, Bourguiba a toujours considéré que le rôle de l'Islam dans la lutte contre la colonisation est fondamental. Dans ce sens, Bourguiba a mobilisé de ux éléments fondamentaux de la culture religieuse : la ferveur religieuse et l'esprit de sacrifice. " Chaque fois que les résistances ont marqué le pas, dit Bourguiba, s'est imposé le rappel de la capacité du croyant à mourir pour la cause, et de ce que Dieu a promis comme récompense aux combattants et aux martyrs ". D'un autre côté, Bourguiba a tenté de concilier deux conceptions dominantes à l'époque de la Renaissance arabe : la critique radicale de la religion considérée comme obstacle patent à cette renaissance arabe et le salafisme, convaincu que la Nation existe par son élément fondateur : l'Islam. Dans sa thèse de ces deux visions, Bourguiba est parti d'une lecture empirique qui lui a permis de percevoir l'Islam comme la religion de l'équité et de la modération, ennemie de l'extrémisme et du fanatisme. La voie médiane était ainsi un concept fondamental de la pensée bourguibienne. Les conceptions publiques de Bourguiba sur l'Etat s'opposent d'autre part à l'image qu'on a voulu donner de la Tunisie : une nation laïque, étrangère à la communauté musulmane. Or, en choisissant l'Islam comme facteur essentiel de la lutte et la base sur laquelle était édifié le jeune Etat musulman, Bourguiba n'était pas dans une démarche de démagogie ou bien de manœuvre politique. Il était au contraire convaincu que l'Islam constitue un lien puissant qui unit les membres de la nation, allant jusqu'à comparer son propre combat contre la colonisation à la conquête de l'Ifriquia par les troupes de Okba Ibn Nefaâ en lutte contre les troupes byzantines. Et comme ceux des combattants qui l'ont précédé, il estimait avoir lutté sous la bannière de l'Islam, afin de rehausser son message. Bourguiba a développé une vision particulière de la religion qui n'était pas contradictoire avec les valeurs fondamentales de la religion. Cette vision s'est concrétisée à travers une démarche qui mélange le propos pédagogique et la provocation, cherchant ainsi ce qu'il appelait le choc psychologique. Une méthode qui lui semblait susceptible de véhiculer une vision particulière autour de trois idées majeures : une approche rénovée de la perception du musulman de sa vie icibas et la valeur de l'action concrète au service de ses nécessités, l'affirmation de la place sacrée de la raison en Islam et enfin l'importance de l'étude et de l'interprétation des textes religieux de tradition islamique : l'idée de l'Ijtihad et celle de l'évolution. Mais Bourguiba n'a pas voulu que son ljtihad soit la conséquence d'un effort isolé et individuel, sans support préalable et sans qu'il soit enraciné dans une tradition intelligente. C'est pour cette raison qu'il a toujours affirmé que son ljtihad n'est que le prolongement de l'effort des Ulamas et des Imams illustres. Une relecture critique 2/6 www.bourguiba.com Pour finir, il nous semble que trois éléments sont nécessaires pour comprendre la vision bourguibienne de l'Islam. D'abord il faut inscrire cette vision dans son contexte historique et national. Dès lors, Bourguiba apparaît comme un homme habité par le souci du changement. Son projet vise à faire passer la nation de l'état de colonisation à celui de l'indépendance, et du sous développement au développement. Pour réaliser cet objectif, il a mobilisé tous les facteurs positifs, y compris l'Islam. Mais l'Islam des réformateurs, en y intégrant des éléments de la réflexion universelle humaine. Ensuite il nous faut aussi éviter une lecture politique des idées religieuses réformatrices. L'attitude de Bourguiba vis-à-vis de l'Islam n'a pas été bien comprise parce qu'on a voulu privilégier précisément cette lecture politique. Cette lecture a marqué le conflit entre Bourguiba et les youssefistes, puis avec le mouvement islamiste. Enfin, il nous faut éviter les procès d'intention. Certains ont, en effet, délaissé les discours de Bourguiba pour produire une vision biaisée de l'attitude de Bourguiba vis-à-vis de l'Islam. Une vision faite principalement d'accusations : Bourguiba était devenu un franc maçon et un ennemi de l'Islam. Si on évite ces trois écueils, on peut aboutir aux conclusions suivantes : -on ne peut pas juger de la vision de l'Islam chez Bourguiba à travers une seule prise de position comme celle concernant le jeûne, -de même, on ne peut prétendre comprendre cette vision bourguibienne de l'Islam à travers certaines affirmations partielles, formulées dans des discours où précisément il a fait l'éloge de l'Islam. En fait, la relation de Bourguiba à l'Islam est complexe. Bourguiba célèbre l'Islam, tout en déployant une approche rationnelle et singulière. De même, il refuse de s'enfermer dans les visions des traditionalistes (salaf) mais illustre pourtant ses discours par leurs affirmations et reconnaît leur génie. Parfois, Bourguiba apparaît comme un laïc extrémiste, tout en n'hésitant pas à prêcher dans les mosquées, en utilisant le style traditionnel des oulémas, dont il ne cesse de critiquer les limites et la rigidité de leur pensée. Bourguiba s'interroge aussi sur certains comportements du Prophète. Mais cela ne l'empêche pas de faire appel à ses hadith comme le font les traditionalistes. Bourguiba a toujours voulu sortir des limites de l'Islam stétéotypé. L'Islam de la Sunna et de ahl jamaâ qui s'est mélangé aux traditions, est resté figé pendant des siècles. Quand il propose ses nouvelles idées, Bourguiba exprime une vision de l'Islam, fruit de sa double culture arabe et occidentale. Des idées qu'on retrouve chez les grands réformateurs de l'Islam (Mohamed Abduh, Khereddine Pacha, Jameleddine Al Afghâni, Rachid Ridha…) et en Occident. 3/6 www.bourguiba.com Il nous semble que Bourguiba ne cherchait à "occidentaliser" ni l'Islam ni la société. Il déployait une lecture spécifique de l'Islam, en tant que Guide des croyants, qui détient légitimement le pouvoir d'interprétation des textes. En fait, Bourguiba n'est jamais sorti du champ religieux. Il utilisait dans ses discours une terminologie et une rhétorique religieuses, celle-là même qui est exploitée aujourd'hui par tous ceux qui appellent à la réforme de l'Islam. Bourguiba était sans doute le seul homme politique dans le Monde arabe à avoir pratiqué la réforme religieuse. Le seul à avoir traduit les idées des grands penseurs réformateurs en réalité concrète vécue par les musulmans. Parce que ces idées sont restées prisonnières des livres ou victimes des injustices des pouvoirs qui ont fait de ses réformateurs des renégats et des apostats. L'autre facteur qui explique la spécificité du cas Bourguiba est à chercher dans les comportements des hommes politiques réformateurs qui, dès leur arrivée au pouvoir, ne résistent pas à la tentation de la coalition avec l'institution religieuse, qui était restée insensible au changement, ces hommes politiques qui deviennent rapidement prisonniers de cette institution, incapables de la transformer de l'intérieur ou à proposer une lecture alternative de l'Islam, allant jusqu'à épouser de manière encore plus virulente ses idées dans une sorte d'hypocrisie flagrante. Une coalition qui n'a jamais servi l'évolution de la conscience religieuse, ni son rayonnement. Lotfi Hajji A la mémoire du Père de la Nation Tunisienne Par Ali Faouzi Gahbiche Deux ans déjà ont passé, et le temps tourne inexorablement sa roue comme si c'était pour prouver à l'être humain qu'il ne représente rien dans le développement linéaire de son destin. Deux ans déjà que Bourguiba, le fondateur de l'Indépendance Tuni- sienne et de son Etat, a disparu, laissant l'empreinte indélébile de son pas- sage à la tête de notre pays, signant, par l'orientation et les décisions qu'il a prises, la justesse de sa vision, et nous citerons cette année deux grandes orientations qui ont donné une place prépondérante à la Tunisie dans le concert des Nations. Sur le plan intérieur, nous citerons le principe de limitation des naissances avec tout ce que cela comporte comme corollaires. Sur le plan extérieur, nous évoquerons quelques lignes directrices de la politique étrangère de la Tunisie sous l'égide du Combattant Suprême. Sur le plan intérieur 4/6 www.bourguiba.com Au moment où, de par le monde, la femme cherchait à acquérir ses droits égalitaires avec l'homme, au moment ou de par le monde la santé physique de la femme en tant qu'épouse et mère n'était pas assurée d'une manière légale (voir l'interdiction de l'avortement des pays européens et anglo -saxons, dont les conséquences néfastes sur la santé de l'élément féminin n'était plus à démontrer). Sous l'égid e de Bourguiba, l'institutionnalisation d'une manière objective, légale et réglementaire de la limitation des naissances a eu pour but deux conséquences fondamentales. Tout d'abord, sur le plan de la limitation démographique de la nation, elle préservait les équilibres naturels du pays entre la population en pleine croissance démo- graphique et ses capacités économiques à pouvoir assurer une vie meilleure à toute la population. Cette mesure avant-gardiste de la Tunisie, face aux contraintes politiques, religieuses ou éthiques, plaça notre pays à l'avant- garde des nations arabes, imprimant, sous l'autorité incontestable et incontestée de Bourguiba, l'assurance d'un avenir meilleur pour toutes les générations confondues. Le deuxième effet de cette mesure sur le plan personnel de la femme, c'était de lui octroyer le libre arbitre et le libre choix dans la composition numérique du foyer sans qu'elle n'encoure les risques physiques et physiologiques pour sa santé de l'avortement clandestin. Après lui avoir octroyé des droits par le Code du Statut Personnel, Bourguiba lui préservait sa santé à titre personnel et préservait les équilibres économico socio démographiques de la Nation. La politique étrangère Le domaine réservé au Chef d'Etat a illustré, si besoin était, la vision lointaine de Bourguiba, non seulement par rapport à la politique étrangère de la Tunisie mais aussi par rapport à certaines questions brûlantes de ce monde sur le plan de la politique étrangère de la Tunisie. Jamais son rayonnement n'a été aussi grand puisque, ayant acquis notre indépendance avant celle de l'Algérie, Bourguiba n'hésita pas à soutenir la Révolution algérienne, partant du principe que le Maghreb ne serait jamais indépendant si l'une de ses trois composantes était encore sous domination étrangère. La Tunisie assuma son rôle historique par rapport à nos frères Algériens (tout comme d'ailleurs par rapport à certains mouvements d'indépendance africains) ce qui nous a valu par deux fois les foudres de l'autorité coloniale française : -la première avec la bataille de Bizerte où l'on vit les Nations Unies, représentées par le Secrétaire Général du Conseil de Sécurité, M. Dag Hamarshold, venir au secours de la Tunisie et le second incident : le bombardement de Sakiet Sidi Youssef où le sang des martyrs Tunisiens se confondit avec celui de nos frères Algériens. Le prix du sang devait inévitablement aboutir à l'indépendance de l'Algérie d'une part et à l'évacuation totale de la base militaire de Bizerte et de notre territoire. 5/6 www.bourguiba.com Le deuxième point de la vision lointaine de Bourguiba en matière de politique étrangère, était relatif à cette douloureuse et pénible injustice qu'ont subi et que continuent à subir tous les peuples arabo-musulmans, je veux parler de la question palestinienne. Son discours de Jéricho, qui n'a pas été compris par le Monde arabe et les Palestiniens en premier lieu, et où il traçait déjà l'avenir géo-politique du peuple et de l'Etat Palestinien, n'a pas été perçu à sa juste valeur et 55 ans après, les Palestiniens, les peuples du Moyen-Orient et le Monde arabo- musulman payent aujourd'hui le prix des multiples erreurs qu'ils ont commises : -en maintenant leurs dissensions politiques, -en maintenant les calculs politiques à courte vue, -en maintenant les trahisons par rapport à une cause historique commune et qui nous vaut actuellement non pas une lutte pour l'indépendance de Palestine et de son Etat, mais une lutte essentielle et fondamentale pour la reconnaissance de notre droit à la paix, de notre droit à notre souveraineté, de notre droit à exercer librement notre culte dans le troisième Lieu Saint dans le Monde musulman, de notre droit fondamental à l'existence, puisque nous sommes tous devenus des terroristes réels ou potentiels aux yeux de ceux qui possèdent la force et la puissance militaire aveugle. Alors, Bourguiba, l'artisan de l'Indépendance et de la Tunisie moderne, ne tombera jamais dans l'oubli, étant entré par la grande porte de l'histoire universelle des peuples et des nations et étant incrusté dans nos pensées et dans nos cœurs. Paix à son âme. 6/6