
TRAITÉ DE LA GÉNÉRATION DES ANIMAUX, ARISTOTE 
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Il est vrai que si, dans le monde ancien, elle n'exerça point d'influence décisive sur la marche 
et la fécondité des esprits, ce fut elle qui, dans le monde héritier et vainqueur de l'antiquité, 
entretint une apparence de vie. Sauvée, seule à peu près du grand naufrage, ce fut elle qui 
conserva les traditions de l'intelligence, et qui, plusieurs siècles durant, suffit à satisfaire 
presque tous ses besoins. Elle soumit l'esprit nouveau à une longue et rude discipline, par les 
discussions les plus délicates et les plus subtiles. Elle lui donna des qualités puissantes qu'il ne 
perdra plus, qui font, en partie, sa grandeur, et dont il a peut-être oublié, dans son ingratitude, 
l'origine reculée. Mais si la logique a fait la Scholastique, berceau de l'intelligence moderne, si 
longtemps elle fut exclusivement cultivée par le moyen âge, mahométan ou chrétien, il n'en 
faut pas conclure que la logique toute seule ait donné aux esprits cette impulsion que les 
quatre derniers siècles ont vue grandir, et qui s'accroît tous les jours sous nos yeux. A côté de 
la logique, au-dessus d'elle, il y avait, d'abord, cette énergie naturelle de l'esprit humain qui ne 
s'arrête jamais; puis, une grande religion qui n'était pas faite pour ralentir sa marche; et enfin, 
cette antiquité tout entière, dont la logique n'était qu'une faible portion, et qui, par ses chefs-
d'œuvre mieux connus, vint après quatorze cents ans rendre à la pensée son véritable essor, 
comme elle lui apportait aussi le véritable goût. Qu'on ne se méprenne point sur les services 
que la logique, par les mains de la Scholastique, toute française et toute parisienne, a rendus à 
l'Europe. Qu'on ne dénature point ces services en les exagérant. Elle imprima certainement à 
la science moderne, et à toutes les langues dont elle se sert, une sévérité d'exposition, une 
précision, une justesse qu'elles n'auraient point eues sans elle au même degré. Elle avait 
habitué les esprits aux plus durs labeurs, et les avait fortifiés par les pénibles exercices de 
l'école. Mais ce ne fut pas elle qui les inspira; ce ne fut pas même elle qui donna le signal de 
leur véritable réveil. Après les avoir jadis soutenus, quand ils étaient languissants et faibles, 
elle devint bientôt un embarras et un obstacle, quand ils furent plus robustes; et elle fut 
répudiée par le peuple même qui jadis en avait fait la première et la plus grande des études. 
Chose remarquable! les progrès de l'intelligence parurent en proportion de l'abandon où la 
logique était tombée : et le discrédit que des génies comme Descartes et Pascal avaient jeté 
sur elle, et que le siècle suivant avait sanctionné par le ridicule, n'est pas même aujourd'hui 
passé. L'esprit contemporain n'a point encore hautement appelé de cet injuste arrêt, qu'il ne 
regarde pas cependant comme définitif. 
La logique qui n'a point provoqué les progrès de l'esprit grec, et qui ne l'a point sauvé de sa 
ruine, qui entravait l'esprit moderne après l'avoir aidé, est maintenant une science presque 
morte ; et les tentatives faites pour la relever ne sont encore ni générales ni très puissantes. 
L'esprit de notre temps, tout aussi bien que celui des deux siècles antérieurs, ne s'en est pas 
ému : il a continué ses heureux travaux, sans demander à la logique des secours dont il ne 
sentait pas le besoin; et nous ne voyons pas que les sciences en aient moins rapidement 
avancé. Le désordre, plein de vie d'ailleurs, que leur vaste domaine présente à l'observation 
attentive du philosophe, tient à bien des causes, parmi lesquelles l'abandon des études 
logiques peut compter, mais n'occupe pas certainement une place très considérable. 
L'histoire, interrogée jusque dans ses témoignages les plus récents, nous prouve donc que la 
logique n'a point, sur les destinées de l'intelligence, cette influence souveraine qu'on s'est plu 
quelquefois à lui attribuer, et qu'une philosophie circonspecte ne peut pas, en effet, lui 
reconnaître Pour nous, et par l'oubli même où notre temps a laissé les études logiques, il nous 
serait difficile de dire, d'après un examen direct, ce qu'elles pourraient avoir d'utile pour 
l'éducation et le gouvernement des esprits. De logiciens, il n'y en a plus, bien que ce titre ait 
pu être usurpé par quelques écrivains éloquents, raisonnant fort bien sans doute, mais 
profondément ignorants de toutes les règles qu'ils employaient avec tant de succès. A défaut 
d'exemples contemporains, nous pouvons le demander à Montaigne, nous pouvons le 
demander à Descartes, à Port-Royal, à Malebranche, au dix-septième siècle tout entier, à 
Leibnitz, témoin le plus impartial et le plus éclairé de tous. N'en appelons point à Bacon, dont