révélés, est devenue très simple, était restée jusqu’ici hérissée de difficultés. Ne
pouvant répéter ici ce que j’ai déjà dit dans le cours du mémoire, je me bornerai
à de simples indications, me contentant d’accompagner ces indications des
conclusions qui me paraissent en découler naturellement.
Horace, Virgile, Properce et Tibulle, en encourageant de toutes leurs forces les
Romains de leur temps à entreprendre la conquête du monde entier, se sont-ils
livrés à un pur jeu d’esprit, en un mot ont-ils joué la comédie ? Je [p. 5] ne le
pense pas ; d’abord parce que ces poètes, du moins les deux premiers, dont le
caractère est bien connu, n’étaient pas hommes à écrire le contraire de ce qu’ils
pensaient ; de plus, parce que, l’eussent-ils voulu, ils ne l’auraient pas pu.
A l’époque dont nous parlons, on sortait à peine des guerres civiles. L’autorité
s’affermissait, l’ordre renaissait, le calme était complet à Rome et dans les
provinces. D’une part, avec les théories géographiques qui dominaient alors, on
croyait le monde beaucoup plus petit qu’il n’est réellement ; de l’autre, l’activité
des esprits avait besoin d’aliment : d’ailleurs on avait à venger les insultes faites
par les Parthes à la majesté du nom romain ; on était impatient de montrer que
le nouvel empire était destiné à effacer tous les empires qui avaient précédé.
L’honneur national paraissait engagé. Ajoutez à cela qu’Auguste n’avait aucune
raison de contrarier sur ce point l’esprit public. L’exaltation des têtes serait pour
lui une force de plus, dans le cas où il aurait un appel à faire au patriotisme des
populations. Dans le cas contraire, son autorité n’en était pas atteinte. Le public
s’étant prononcé, [p. 6] Horace, Virgile, Properce et Tibulle ne crurent pas pouvoir
se dispenser de descendre dans l’arène. A la vérité, les quatre poètes n’avaient
en aucun cas, rien à perdre ; mais aussi ils n’avaient rien à gagner. Pourquoi
jouer ainsi la comédie devant l’empire tout entier ? Notez que ces quatre poètes
tenaient alors le sceptre de la poésie à Rome. Comment expliquer ce concert
pour une thèse qui n’aurait pas eu d’objet ?
En ce qui concerne Virgile en particulier, ce n’est pas seulement dans les
Géorgiques qu’il a sacrifié à l’opinion du moment ; c’est aussi dans l’Énéide. On
sait quelle peine se donna Virgile pour recueillir les vieilles traditions qui avaient
encore cours de son temps, et quel soin il apporta à n’admettre que des détails
sinon vrais, du moins transmis comme tels par les ancêtres, oit placés sous la
garantie de la sibylle de Cumes, ou même sortis de la bouche des dieux. Dès
l’origine, l’Énéide fut regardée par les Romains comme leur poème national. La
plaisanterie qu’on attribue à Virgile n’eût-elle pas été de nature à ôter au poème
entier son caractère sérieux ?
Sous Auguste et ses premiers successeurs, [p. 7] les esprits conservèrent
quelques restes de l’ancien caractère républicain1. Le changement qui s’opéra
dans les idées ne devint tout à fait sensible qu’à partir de Trajan, et il faut
l’attribuer ait système de centralisation qui allait toujours croissant. Au bout de
quelque temps, les corps constitués comme les individus perdirent tout esprit
d’initiative ; on eût dit qu’ils étaient devenus étrangers aux affaires publiques. Ce
n’est pas alors que des poètes auraient pu essayer de passionner la multitude.
Aussi, à partir de cette époque, les poètes restent impassibles devant les
événements de leur temps, et les écrivains en prose, qui avaient pris en main le
pinceau de l’histoire, se bornent en général à enregistrer des faits, sans prendre
parti ni dans un sens ni dans un autre. Plus tard, quand l’empire marcha vers sa
1 En ce qui concerne Auguste, voyez l’Examen critique des historiens anciens de la vie et du règne
d’Auguste, par M. Egger, p. 61 et suiv.