le subjectivisme et ne rejetait pas le monde de l'irrationnel. Il était
porté par des esprits forts, comme Tuan (5), considé
rant que la
géographie formait un royaume assez vaste pour embrasser la route de
la science et le jardin de l'art, ou comme Olsson (6
), un autre humaniste
poursuivant toujours ses recherches sur la littérature et la philosophie,
et maniant avec toute la de
xtérité nécessaire les lances du paradoxe. Sa
position, évoluant entre l
es certitudes conservatrices de la science et
les ambiguïtés créatrices de l'art, permettait au mouvement de ne pas
se figer dans un académisme conformiste et monocorde.
Il en est d'autres, comme Seamon et Buttimer (7
d'incorporer avec labeur la dimension phénoménolo
existentielle à
la géographie humaine. Si leurs sources de référence
demeuraient profuses et riches d'une utilité pratique pour celu
i qui
voulait comprendre les phénoménologues sans devoir les lire, on ne
peut que s'interroger sur la capacité d'un langage délibérément
impersonnel pour rendre compte de philosophies très personnalistes au
langage débordant volontiers sur le mode poétiqu
auxquels on peut adjoindre Pickles (8), ont commenté l
es
phénoménologies existentielles, mais n'en ont point créées. Si on
cherche du
côté
des créateurs de langage, il faut aller lorgner vers un
géographe et historien français, Dardel, qui
s'est exprimé en 1952 avec
une sensibilité toute bachelardienne, mais après Bachelard, sur le
nœud insistant qui relie l'homme
à
la terre. Cet ouvrage, paru dans une
collection philosophique en 1952, avait le premier pressenti la richesse
du rattachement de la philosophie existentielle
à
Jaspers notamment. Malheureu
sement, l'opuscule qui a fait récemment
l'objet d'une redécouverte (9), après que j'eus signalé son existence
Raffestin, moi-même l'ayant découvert cité dans la thèse
(10) ce livre à
la si belle écriture donc, resta lettre morte pendant trente
ans. " Pourquoi n'avons-nous pas lu Dardel ? " s'est interrogé à
titre Raffestin (11), car cette (re)-
lecture aurait certainement élargi le
champ théorique de la géographie francophone de l'après-
permis l'éclosion d'une école humaniste sur le Vieux-
moins que l'œuvre de Dardel n'ait été
conçue comme un bloc erratique
barrant l'accès de la vallée de la science, obstacle vite contourné par les
tenants de la géographie du chiffre.
magnifique article contant la douloureuse migration des " Okies " (habitants de
l'Oklahoma) ruinés par la désertifica
tion et la grande Crise, vers la Californie
qui leur dévoilerait un pan de ciel bleu (2) ?
Frappant à
l'une et l'autre porte de ces deux géographes, j'appris que le
premier ne considérait plus l'humanisme comme une chose sérieuse
- lui-mêm
recherches vers un " réalisme " philosophique énigmatique -
et
que le second était devenu un spécialiste de la Chine, domaine qui suscitait une
forte demande sur cette lisière du Pacifique. M
ême Samuels (3
), qui avait
introduit le fameux " Huma
nistic Geography " et qui avait conclu en 1971
déjà,
sa thèse fracassant le mur de la raison sur l'existentialisme en géographie (4)
avait
abandonné ses recherches dans cette voie. Je
considérais " Humanistic
Geography "
comme un monument d'espoir pour la géographie
humaine, car
d'une part, cette géographie rétablissait le
rôle du monde sensible et de l'affecti
-
vité, et d'autre part, elle avait su tisser des liens très fins avec des philosophies
qui avaient mobilisé des forces intellectuelles con
sidérables depuis le
(pensons
à
Husserl, Jaspers, Sartre, Heidegger, en passant). Il est
à
noter
que l'époque des années 1970, quand Samuels rendit sa copie de thèse,
coïncidait
avec l'apogée, donc le début du déclin, du renouveau existentiel en
Amérique du Nord. Les " Loups des Steppes " et autres " Siddhartha "
fleurissaient alors sur les campus, beaux restes de la culture hessienne qui
s'était préoccupé
- mais plus de quarante ans auparavant -
de questions
existentielles. Par un mystérieux "effet boomerang ", les sciences sociales
euro
péennes allaient redécouvrir dix ans plus tard cette probléma
tique jetant le
trouble dans le néo
-positivisme ambiant, un signe que cette même
Europe des
sciences sociales s'était débarrassée à trop bon compte de l'héritage
phi
losophique de la phénomé
nologie et de ce qu'on a appelé plus tard "
l'existentialisme " (dénomination n'ayant plus cours
à
l'époque de sa
fertilisation). C'est par le truchement de la géographie de la perception et de
l'espace
vécu -
dont Bailly était le dépositaire dans notre département
à
l'époque
-
que je découvris l'humanisme géo
graphique anglo-
saxon et que j'eus l'occasion
de remonter
à
quelques-unes de ses sources. Ce courant de pensée rétablissait
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