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Book Chapter
L'apport de la philosophie existentielle à la géographie humaniste
LÉVY, Bertrand
Abstract
Le chapitre examine les liens entre la philosophie existentielle européenne des années 1950
et la géographie humaniste anglo-saxonne des années 1970-1980.
Reference
LÉVY, Bertrand. L'apport de la philosophie existentielle à la géographie humaniste. In: Bailly, A.
& Scariati, R. L'Humanisme en Géographie. Paris : Economica/Anthropos, 1990. p. 77-86
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:19450
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
In : Antoine Bailly, Renato Scariati, L’Humanisme en Géographie,
Anthropos/Economica, Paris, 1990, 77-86.
L'APPORT DE LA PHILOSOPHIE
EXISTENTIELLE A LA GÉOGRAPHIE
HUMANISTE
Bertrand LÉVY
Université de Genève
Contexte et anecdoctes
Lorsque j'eus à élire, au début des années 1980, un lieu d'étude en géographie
humaniste sur le continent nord-américain - ayant obtenu une bourse à cet effet - le
choix se restreignait à quelques institutions, où professait, le plus souvent en
solitaire, une poignée de géographes humanistes. Quelle ne fut ma surprise, en
débarquant dans le patio, agrémenté d'un palmier, du département de géographie
de l'Université de Californie à Los Angeles, lieu que j'avais choisi pour des raisons
autant extra-universitaires qu'académiques, quel ne fut pas mon étonnement,
dis-je, quand je me vis répondre qu'ici, on ne pratiquait plus la géographie
humaniste. Et pourtant, Entrikin y enseignant, n'avait-il pas laissé une thèse
cruciale intitulée " Science and Humanism in Geography " (1) ? C.L. Salter
n'avait-il pas tiré des " Raisins de la Colère " de Steinbeck ce
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magnifique article contant la douloureuse migration des " Okies " (habitants de
l'Oklahoma) ruinés par la désertification et la grande Crise, vers la Californie
qui leur dévoilerait un pan de ciel bleu (2) ?
Frappant à l'une et l'autre porte de ces deux géographes, j'appris que le
premier ne considérait plus l'humanisme comme une chose sérieuse - lui-même
orientant ses recherches vers un " réalisme " philosophique énigmatique - et
que le second était devenu un spécialiste de la Chine, domaine qui suscitait une
forte demande sur cette lisière du Pacifique. Même Samuels (3), qui avait
introduit le fameux " Humanistic Geography " et qui avait conclu en 1971 déjà,
sa thèse fracassant le mur de la raison sur l'existentialisme en géographie (4)
avait abandonné ses recherches dans cette voie. Je considérais " Humanistic
Geography " comme un monument d'espoir pour la géographie humaine, car
d'une part, cette géographie rétablissait le rôle du monde sensible et de l'affectivité, et d'autre part, elle avait su tisser des liens très fins avec des philosophies
qui avaient mobilisé des forces intellectuelles considérables depuis le début du
siècle (pensons Husserl, Jaspers, Sartre, Heidegger, en passant). Il est noter
que l'époque des années 1970, quand Samuels rendit sa copie de thèse,
coïncidait avec l'apogée, donc le début du déclin, du renouveau existentiel en
Amérique du Nord. Les " Loups des Steppes " et autres " Siddhartha "
fleurissaient alors sur les campus, beaux restes de la culture hessienne qui
s'était préoccupé - mais plus de quarante ans auparavant - de questions
existentielles. Par un mystérieux "effet boomerang ", les sciences sociales
européennes allaient redécouvrir dix ans plus tard cette problématique jetant le
trouble dans le néo-positivisme ambiant, un signe que cette même Europe des
sciences sociales s'était débarrassée à trop bon compte de l'héritage
philosophique de la phénoménologie et de ce qu'on a appelé plus tard "
l'existentialisme " (dénomination n'ayant plus cours à l'époque de sa
fertilisation). C'est par le truchement de la géographie de la perception et de
l'espace vécu - dont Bailly était le dépositaire dans notre département l'époque que je découvris l'humanisme géographique anglo-saxon et que j'eus l'occasion
de remonter quelques-unes de ses sources. Ce courant de pensée rétablissait
à
à
à
à
le subjectivisme et ne rejetait pas le monde de l'irrationnel. Il était
porté par des esprits forts, comme Tuan (5), considérant que la
géographie formait un royaume assez vaste pour embrasser la route de
la science et le jardin de l'art, ou comme Olsson (6), un autre humaniste
poursuivant toujours ses recherches sur la littérature et la philosophie,
et maniant avec toute la dextérité nécessaire les lances du paradoxe. Sa
position, évoluant entre les certitudes conservatrices de la science et
les ambiguïtés créatrices de l'art, permettait au mouvement de ne pas
se figer dans un académisme conformiste et monocorde.
Il en est d'autres, comme Seamon et Buttimer (7), qui tentèrent
d'incorporer avec labeur la dimension phénoménologique et
existentielle à la géographie humaine. Si leurs sources de référence
demeuraient profuses et riches d'une utilité pratique pour celui qui
voulait comprendre les phénoménologues sans devoir les lire, on ne
peut que s'interroger sur la capacité d'un langage délibérément
impersonnel pour rendre compte de philosophies très personnalistes au
langage débordant volontiers sur le mode poétique. Ces auteurs,
auxquels on peut adjoindre Pickles (8), ont commenté les
phénoménologies existentielles, mais n'en ont point créées. Si on
cherche du côté des créateurs de langage, il faut aller lorgner vers un
géographe et historien français, Dardel, qui s'est exprimé en 1952 avec
une sensibilité toute bachelardienne, mais après Bachelard, sur le
nœud insistant qui relie l'homme la terre. Cet ouvrage, paru dans une
collection philosophique en 1952, avait le premier pressenti la richesse
du rattachement de la philosophie existentielle la géographie, celle de
Jaspers notamment. Malheureusement, l'opuscule qui a fait récemment
l'objet d'une redécouverte (9), après que j'eus signalé son existence à
Raffestin, moi-même l'ayant découvert cité dans la thèse d'Entrikin
(10) ce livre à la si belle écriture donc, resta lettre morte pendant trente
ans. " Pourquoi n'avons-nous pas lu Dardel ? " s'est interrogé à juste
titre Raffestin (11), car cette (re)-lecture aurait certainement élargi le
champ théorique de la géographie francophone de l'après-guerre, et
permis l'éclosion d'une école humaniste sur le Vieux-Continent. A
moins que l'œuvre de Dardel n'ait été conçue comme un bloc erratique
barrant l'accès de la vallée de la science, obstacle vite contourné par les
tenants de la géographie du chiffre.
à
à
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Philosophie existentielle et géographie
La phénoménologie du XXème siècle a fait l'objet de plusieurs thèses,
ouvrages et articles en géographie humaniste (12). Il s'agit d'un courant
philosophique différencié - il existe une phénoménologie pure ou
transcendantale, celle de Husserl, une phénoménologie existentielle,
parfois dérivée du matérialisme dialectique, celle de Sartre, et surtout de
grands existentiels que je ne préfère pas classer comme Heidegger,
Jaspers, Buber, Camus. Tous sont porteurs dans leurs écrits d'une vision
globale et humaniste de l'homme, ce sont des penseurs parfois mystiques
voisinant avec la philosophie religieuse, chrétienne pour Jaspers ou
Maritain, juive pour Buber. J'omets ici bien d'autres noms, comme Kierkegaard, Chestov Schutz, etc. Il ne m'appartient pas de retracer ici toute
l'évolution et les courants quelquefois contradictoires qui ont parcouru tant
la phénoménologie que "l'existentialisme ", ou encore la "phénoménologie
existentielle". J.N. Entrikin a remarquablement résumé ces tendances
d'écoles dans sa thèse (13). La question " qu'est-ce que la phénoménologie"
s'apparente à celles du genre "qu'est-ce que la littérature", ou "qu'est -ce
que la philosophie"; y répondre en trois lignes n'apporte que peu
d'éclaircissement. Discipline philosophique à la méthodologie parfois
obscure - Husserl ne donne jamais d'exemple d'expérience
phénoménologique dans les cinq cents pages et plus de ses " Idées
directrices pour une phénoménologie " (14) - elle prône le retour à
l'immédiateté des choses, elle est une quête du sens, elle tente de jeter un
regard transparent sur un monde opaque. Elle est aussi une éthique portée
vers la relation avec les êtres et les choses, d'où l'importance suggérée à
l'espace, ce liant entre moi et le monde, entre "Je" et "Tu" , entre "Je" et
"Cela", pour reprendre la terminologie de Buber (15). La phénoménologie
replace les essences (l'essence de la conscience, de la raison, etc.) dans
l'existence, c'est une philosophie transcendantale (pour Husserl et
Merleau-Ponty notamment) qui met en suspens pour les comprendre les
"affirmations de l'attitude naturelle ". C'est une philosophie pour laquelle
le monde est déjà là avant la
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réflexion, "comme une présence inaliénable, et dont tout l'effort est de retrouver
ce contact naïf avec le monde ( ... )" (16). La phénoménologie ne cherche ni à
expliquer ni à analyser notre rapport au monde, mais simplement à le décrire, ce
qui en ferait une science purement descriptive, si une telle science a jamais
existé. En fait, il s'agirait plutôt d'une" pré-science " visant à décrire le
fondement vécu de la science :
" Tout l'univers de la science est construit sur le monde vécu et si nous
voulons penser la science pour elle-même avec rigueur, en apprécier exactement
le sens et la portée, il nous faut réveiller d'abord cette expérience du monde dont
elle est l'expression seconde" (17).
Rendant compte de l'espace, du temps et du monde vécu, il n'est pas étonnant
que la phénoménologie ait trouvé écho dans la géographie, puisque toute
expérience individuelle engage l'âme et le corps dans l'espace et le temps.
Pourtant la géographicité de cet es pace est différemment perçue, d'un acteur à
l'autre, et une question essentielle demeure : est-ce bien l'espace géographique
qui est visé par la phénoménologie, ou est-ce un es pace abstrait, en partie
indescriptible, qui enveloppe les trajectoires existentielles et secrètes des êtres,
un espace ontologique dont le sens ne serait en aucun cas réductible à la
« physis » des paysages ? Ceci est une question importante, car elle pose le
problème de la viabilité de l'espace phénoménologique et existentiel dans la
géographie. Nous pouvons certes multiplier les essais de définition de l'espace
empruntés à des philosophes existentiels, toujours retombons-nous, soit sur une
division classique entre un es pace abstrait et absolu, domaine de la géométrie,
et un espace concret, fruit des expériences humaines productrices de sens, ou
des définitions globales mais vagues, parfois rehaussées par une touche
poétique. Celle de Dardel (18) est heureuse, qui considère la Terre comme le
lieu d'accomplissement du destin humain, celle de Merleau-Ponty, qui distingue
entre es pace " spatialisé " (géométrique) et es pace " spatialisant " (chargé de
sens et symbolique), l'est moins. Si la définition de l'espace pose tant problème
et demeure irrésolue d'une manière satisfaisante, c'est que nous avons oublié de
poser une question préalable : comment les opérations mentales sont-elles
-81-
rigées vers l'espace? En somme, comment l'espace est-il représenté par
l'esprit humain, quel genre de notions et de concepts sont-ils utilisés pour
dé-couvrir l’espace, qu’il soit géométrique ou existentiel, cette distinction
n'ayant à mon sens que peu de valeur, tant ces deux configurations sont
imbriquées ? Or, personne mieux que Kant n'a posé ce problème à la base.
Le public s'étonnera que j'évoque les idées du philosophe de Königsberg,
combattues par certains phénoménologues anti-idéalistes (comme Sartre
ou Merleau-Ponty), mais, survivant, en définitive dans le fait d'être
contredites. Kant est à tort considéré comme le théoricien exclusif de
l'espace géométrique; sa largesse de perspective embrassait également
l'espace existentiel ; c'est ce que je vais m'efforcer de démontrer, en
m'identifiant à sa terminologie.
Kant : espace, temps et sujet
Kant (19) aborde le problème de l'espace sous l'angle conceptuel.
L'espace est-il un concept, s'interroge-t-il en premier ? Oui, mais l'espace
n'est ni un concept empirique, ni un concept discursif ou général. L'espace
est un concept a priori (que l'expérience seule ou la convention langagière
ne sauraient légitimer). Pour Kant, l'espace et le temps sont les formes
pures de l'intuition et de la sensibilité. L'espace se distingue du temps : le
premier est perçu par un sens extérieur, le second est représenté par des
déterminations internes. Le temps est beaucoup plus lié au moi que
l'espace. Pour que l'espace prenne une connotation existentielle, il faut
qu'il passe par le prisme du temps. Le temps pensé et réfléchi à la lumière
de la conscience de soi, de nos expériences, est seul capable de procurer
une dimension existentielle à l'espace. Hegel reprendra cette formulation
en parlant du temps comme la condition subjective de nos représentations,
spatiale y compris. Dans la formidable synthèse kantienne de l'espace,
comprenant le sujet, l’expérience sensible et le temps, le philosophe
affirme que l'homme et sa condition subjective sont au centre de la
représentation de l'espace :
condition subjective sans laquelle nous ne saurions recevoir d'intuitions
extérieures, c'est-à-dire sans être affectés par les objets, la représentation de
l'espace ne signifie plus rien " (20).
Nous aurions tâche facile de nous contenter de ce postulat humaniste; il faut
ajouter que Kant, tout en considérant l'espace et le temps comme des
représentations a priori, c'est-à-dire précédant l'empirie, accorde une place
déterminante à l'expérience sensible. C'est elle qui permet la liaison entre
l'espace et le temps. En effet, l'espace sans l'expérience n'est pas pensable dans
sa représentation empirique, et les expériences de la sensibilité faites dans
l'espace s'inscrivent toutes dans la durée. De surcroît, le temps sans l'espace
peut très difficilement faire l'objet d'une représentation. Kant nous dévoile une
excellente abstraction à ce propos : le temps comme intuition intérieure ne nous
fournit aucune figure; alors, nous cherchons à réparer ce défaut par l'analogie:
nous nous représentons la suite du temps par une ligne qui s'étend à l'infini (ou
qui s'arrête à notre propre mort), donc par une figure spatiale, fruit de notre
intuition externe.
Si Kant s'est penché avec rigueur sur les abstractions de l'espace et du
temps, il n'a guère insufflé de contenu humain aux représentations spatiales.
Tel n'était pas son dessein. Il a placé la question de l'espace dans celle plus
vaste d'une architecture du fonctionnement de la pensée humaine. J'ai longtemps cherché, parmi les penseurs existentiels, un philosophe qui prolongeât la
construction kantienne de l'espace, mais dans un registre plus intersubjectif et
relationnel. J'ai trouvé la personne en Buber, un penseur existentiel qui, après
avoir quitté Berlin, devint un philosophe de " terrain " en quelque sorte (il
enseigna la pédagogie dans des kibboutz d'Israël). Son intérêt pour l'autre était
d'essence religieuse, mais il se manifestait dans la pratique : le personnage
possédait un sens charismatique évident. l'ai découvert l'œuvre de Buber par
deux chemins : d'abord, il était un ami estimé de Hesse, mon auteur de thèse
(21), et aussi l'avais-je vu cité par Samuels (22) dans " Humanistic Geography".
"Nous ne pouvons donc parler d'espace, d'êtres étendus, etc. qu'au point
de vue de l'homme. Que si nous sortons de la
-82-
-83-
Martin Buber : une éthique de la relation
Son article intitulé "Distance et Relation" (23) jette une lumière vive sur ce
que j'appellerais un archétype de comportement psycho-géographique.
L'auteur explique que la vie n'est pas simple, mais construite sur un double
mouvement qui est tel que le premier mouvement est la présupposition du
second. Le premier mouvement, c'est la prise de distance, la mise à distance
de soi, et le second, c'est l'entrée en relation, L'on ne peut entrer en relation
qu'après avoir été placé à distance. Ce principe s'applique au grand
phénomène de la connexion de l'homme avec l'altérité. L'espace vécu dans
cette perspective l'est dans un contexte relationnel :
" Que m'importent les fleurs et les arbres, et le feu et la pierre, si je suis
sans amour et sans foyer ? Il faut être deux - ou, du moins, hélas! il faut avoir
été deux - pour comprendre un ciel bleu, pour nommer une aurore " (Gaston
Bachelard( (24).
L'entrée en relation avec qui, peut-on se demander. Avec le Tu, répond en
toute simplicité Buber. Le Tu, c'est la femme, c'est Dieu, c'est un être
générique appartenant au monde du Cosmos, de l'Eros ou du Logos; la
dimension existentielle de la relation dépasse ainsi celle de l'intersubjectivité
entre deux personnes. Toutefois, il est un postulat, déjà exprimé par Fichte,
auquel tient Buber : l'homme n'est un homme que parmi les hommes. Buber
dira que le moi s'éveille par la grâce du toi; alors, la personne est en mesure
de "tutoyer l'univers ", alors, l'espace peut acquérir son statut existentiel.
Il y a une éthique très précise dans le mouvement " d'entrée en relation "
avec le monde. Si la phase première de mise à distance permet
l'objectification par le détachement et l'étrangeté, la phase seconde et
relationnelle est soumise à une conscience éthique. Distinguer dans l'espace
l'altérité à laquelle on s'offre marque le début et la fin de la conscience
humaine. C'est pourquoi on peut qualifier de phénoménologique et d'éthique
cette spatialité relationnelle. Dans ma thèse (25) j'ai défendu que cette
conscience plus creusée de nos actes et de nos réflexions prolongeait la
construction kantienne et platonicienne de
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l'espace et du temps (26). C'est un point épistémique complexe que je n'ai
pas le loisir de développer ici. L'idée est qu'en agrégeant l'axe de
l'intersubjectivité aux axes spatiaux et temporels dessinés par Kant, Buber
remplit de substance humaine cette immense boite vide " intuitionnée " par
le philosophe du Grand Sièc1e. La dimension intersubjective, qui accueille
les phénomènes " internes " à l'homme énoncés par Kant (le symbolique, le
mystique, les croyances, etc.), s'ajoute aux formes pures de l'intuition que
sont l'espace et le temps. Dans la relation à l'autre, l'espace et le temps sont
mus par le vecteur de la volonté humaine. Or, comme disait Dostoïevski,
qu'y-a-t-il de plus spécifiquement humain que la volonté, qui stimule le
savoir et l'expérience, la raison et le caprice, le désir et l'imagination ? La
contradiction essentielle logée au cœur de l'homme demeure toutefois : la
volonté humaine peut s'opposer à la raison et à la conscience morale, et
transformer l'espace existentiel en enfer, quand sur la relation pèse le poids
de la contrainte. Qui a dit que les humanistes étaient des idéalistes ?
Conclusion
La phénoménologie te Ile que je l'ai comprise, n'est pas un discours sans
faille vis-à-vis de la réalité de la vie. Non plus n’est-elle une méthodologie
sûre et scientifique (Sartre la considérait du reste comme une
« anti-méthode »). La phénoménologie est avant tout à saisir dans son
prétexte et son contexte : elle est une critique de la science, mène si elle
n'offre pas d'alternative véritable à celle-ci. Elle est une philosophie qui
tempère l'élan et la croyance en la version positiviste de la science; en cela,
elle demeure salutaire en ces temps où le (néo)-positivisme continue à
décapiter la philosophie et la pensée réflexive, dit en paraphrasant Husserl.
L'apport de la phénoménologie dans la géographie (et dans les autres sciences
humaines) ne dépasse pourtant guère le stade prescriptif. Par là, j'entends que
la qualité d'une phénoménologie, d'une étude des phénomènes mondains dans
leur essence - quelle jolie définition - est liée à la qualité de son discours, et au
regard étonné qu'elle pose sur le monde. A choquer certains, j'ajouterais que
les littérateurs sont les phénoménologues les plus inté-
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ressants, parce qu'ils parlent de choses qui existent dans leur réalité ou
leur transcendance. Les seules études sérieuses émanant de géographes
phénoménologues passés ou à venir sont celles qui empruntent les
sentiers parfois difficiles d'accès de cette discipline, non pour passer au
crible d'une phénoménologie mal comprise la prétendue "réalité du
monde vécu", mais pour mieux approfondir notre relation au langage
de la vie, de l'art, et de la science.
-86-
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1\"
.
1) J.N. Entrikin, Science and Humanism in Geography, Ph. D. diss., University of Wisconsin,
Madison, 1975, University Microfilms, Ann Arbor, Michigan, 1976
2) C.L. Salter, "John Steinbeck's The Grapes of Wrath as a Primer for Cultural Geography,
in D.C.D. Pocock (ed.), Humanistic Geography and Literature. Essays
on the Experience of Place, Croom Helm,
London, 1981, pp. 142-158
3) D. Ley, M.S. Samue1s, "Introduction : Contexts of Modem Humanism in Geography", in D.
Ley, M.S. Samuels (eds.), Humanistic Geography, Prospects and
Prob1ems, Croom He1m, London, 1978, pp. 1-17
4) M.S. Samue1s, Science and Geography : an existential appraisal, University of
Washington, Ph.D. diss. 1971, University Microfilms, Ann Arbor,
Michigan, 1972,286 p.
5) Yi-Fu Tuan, "Literature and Geography : Implication for Geographica1 Research", in D. Ley,
M.S. Samue1s, Humanistic Geography, op. cit. pp. 194- 206
6) Gunnar 01sson, "The Eye and the Index Finger: Bodily Means to Cultural Meaning", Géotopiques,
Actes du Colloque sur l'Imagination géographique, Universités de
Lausanne-Genève, 1985, pp. 61-69
7} Anne Buttimer, David Seamon (eds.), The Human Experience of Space and P1ace,
Croom Helm, London, 1980.
8) John Pickles, Phenomenology, Science and Geography : Towards a Hermeneutic Ontology of
Spatiality for the Human Sciences, Ph.D. diss. The Pennsylvania State
University, University Microfilms, Ann Arbor, 1983,301 p.
9) Cf. Eric Dardel, L'Uomo e la Terra. Natura della realtà geografica, con saggi
di : .A. Buttimer, C. Copeta, F. Farinelli, J.-P. Ferrier, B. Lévy, J.-B.
Racine, C. Raffestin, G. Semerari, ed. Unicopo1i, Studi e Ricerche sul
Territorio, Milano, 1986, 223 p.
Ed. orig. : Eric Dardel, L'Homme et la Terre, Nature de la réalité
géographique. Nouvelle Encyclopédie Philosophique, P.U.F., Paris, 1952
10) J.N. Entrikin, Science and Humanism in Geography, op. cit. p. 104
11)
Claude Raffestin, "Perché "Noi" abbiamo letto Eric Darde1", in Eric
Dardel, L'Uomo e la Terra, op. cito pp. 129-143
12) Cf. J.N. Entrikin, "Contemporary Humanism in Geography", A.A.A.G., 66 (1976), pp. 615-632
- M.S. Samue1s "An Existentia1 Geography", in M.E. Harvey, B.P. Ho11y (eds.), Themes in
Geographic Thought, Croom He1m, London, 1981, pp.115- 132
- Edward C. Relph, "Phenomeno1ogy", id. supra, pp. 99-114
- David Seamon, "The phenomenological Investigation of Imaginative literature", in G.T. Moore,
R.G. Golledge (eds.), 1976, Environmental Knowing :
Theories, Research and Methods
-87-
13)
14)
15)
16)
- John Pickles, Phenomeno1ogy, Science and Geography, op. cit
J.N. Entrikin, Science and Humanism·in Geography, op. cito pp. 37-63
Edmund Husserl, Idées directrices pour une phénoméno1ogie, trad.
de l'allemand par P. Ricoeur, 1950, Gallimard, Paris (Ideen zu
einer reinen Phaenomenolo ie und Phaenomenoloischen Philosophie",
1913
Terminologie reprise de M. Buber, Je et Tu, trad. de l'allemand par G. Bianquis, Aubier
Montaigne, Paris, 1969. (Ich und Du, 1923)
M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, nrf Gallimard, Paris, 1945, p. I.
17) Ibid. p. III
18) E. Dardel, L'homme et la Terre, op. cito p. 124
19) E. Kant, Critique de la raison pure, trad. de l'allemand par J. Borni, Flammarion,
_
Paris, 1976, p. 145 ("Kritik der reinen Vernunft", 2ème éd , Vorländer,
Hamburg, 1968 - Ed. de référence : Kants Gesammelte Schriften, de
Gruyter, 1900 - ••• ,24 vol.)
20) Ibid., p. 87
21) B. Lévy, Géographie humaniste et littérature :l'espace existentiel dans la vie et l'oeuvre
de Hermann Hesse (1877-1962), thèse, Université de Genève, Faculté des Sciences Economiques
et Sociales, 1988, pp. 119-125 (A paraîre au Concept Moderne, Genève, 1989)
22) Martin Buber, "Distance and Relation", Psychiatry, 20", 1957, pp. 97-104, trad. de
l'allemand, 2ème éd, (1ère éd, in The Hibbert Journal
Quarterly Journal of Religion, Theology and Philosophy (1951),
49, pp. 105-130). Cité in D. Ley, M.S. Samuels (eds.), Humanistic
Geography, op. cit. cf. note 4
23) Id. supra
24)
Gaston Bache1ard, Préface de Je et Tu, par Martin Buber, trad. de
l'allemand par G. Bianquis, Aubier Montaigne, Paris, 1969, p. 11,
172 p.
("Ich und Du", 1923)
25) B. Lévy, Géographie humaniste et littérature : l'espace existentie1 dans la vie et
"oeuvre de Hermann Hesse (1877-1962), op. cit.
26) Ibid. pp. 293-296
-88-
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