étant sous l’emprise du droit de propriété. Une conception ultralibérale du droit de
propriété insiste sur le caractère exclusif et absolu de ce droit4. Il est souvent fait référence
à l’aphorisme de René Descartes, auquel les juristes accordent un sens qui va au-delà de la
pensée de son auteur : la science a permis au propriétaire de se considérer « comme maître et
possesseur de la nature »5. Cet esprit figure au sein même de l’article 544 du Code civil qui
dispose que le droit de propriété est le droit qui s’exerce de la manière la plus absolue. Il
est le symbole de l’individualisme et du rationalisme exacerbés d’une époque, celle du
19ème siècle. Le droit de propriété, qui comprend cet attribut fondamental qu’est l’abusus,
permettrait ainsi à son propriétaire de détruire et d’aller contre la nature de la chose. En
outre, les caractères du droit des biens en général et du droit de propriété en particulier
semblent incompatibles avec la nature. Le droit de propriété et ses démembrements n’ont
d’intérêt que pour les choses utiles et appropriables. Parce qu’elles sont rares, on
s’approprie les choses et on exerce sur elles un pouvoir exclusif. Or, pendant longtemps,
il a été soutenu sous l’influence de la pensée de Jean-Baptiste Say, que les ressources
naturelles sont inépuisables6.
4. L’environnement irréductible à la propriété – Einstein disait que « l’environnement, c’est
tout ce qui n’est pas moi ». Formule explicité mais erronée car l’homme appartient à
l’environnement qui l’entoure. Défini largement, l’environnement se présente comme
« l’ensemble des éléments physiques, chimiques ou biologiques, naturels et artificiels, qui entourent un être
humain, un animal ou un végétal ou une espèce »7. Cette incompatibilité repose sur des raisons
multiples. La nature n’aurait pas de prix. Elle a une valeur intrinsèque et ne peut pas et ne
doit pas être économiquement évaluée8. Les choses naturelles, pour beaucoup d’entre
elles, ne sont pas appropriables. Cet obstacle est d’ordre juridique lorsque la loi le prévoit
expressément. Tel est le cas de certains aspects de l’eau, de l’air ou de la biodiversité (art.
714 C. civ.). Les obstacles sont aussi d’ordre matériel. Il est matériellement impossible de
s’approprier un écosystème, des fonds marins, des espèces migratrices, des processus
écologiques tels que la pollinisation.
5. Les liens nécessaires entre droit de propriété et enjeux environnementaux – Qu’on
le conçoit comme un bien ou un mal nécessaire, les liens entre propriété et questions
environnementales sont devenus une réalité, en raison d’une double évolution. C’est
l’image de l’environnement qui a d’abord évolué. Relève aujourd’hui de l’évidence que les
ressources ne sont pas inépuisables et que l’homme est une menace pour la nature qui lui
rend des services dont il ne peut se passer. La domination du marché y est pour beaucoup
dans ce rapprochement car la nature entre dans le giron du marché. Il est désormais
question de développement durable, amenant à concilier développement économique,
progrès social et protection de l’environnement. Emerge de nos jours la notion de
capitalisme vert. On passe ainsi d’une philosophie de la conservation avec la notion
d’environnement à une philosophie de la gestion avec le développement durable9. C’est
ensuite l’image de la propriété qui a évolué. Le droit de propriété n’est pas nécessairement
un droit égoïste et individualiste. L’idée n’est pas nouvelle. On se rappelle les théories de
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
4!Sur cette idée, Fr. Ost, La nature hors la loi. L’écologie à l’épreuve du droit, édition La découverte, 2003, p. 47.!
5 R. Descartes, Discours de la méthode (1637), Flammarion, 2000 rééd. : « l’homme comme maître et possesseur de la nature »,
Chap. VI.
6 En ce sens, J.-B. Say, Cours complet d'économie politique pratique, T. 1, Paris, Guillaumin, 1840, p. 68.
7 Dictionnaire Larousse, V° environnement.
8!ATTAC, La nature n’a pas de prix. Les méprises de l’économie verte, édition Les liens qui libèrent, 2012, spéc. p.
127 et s.!
9!Y. Jégouzo, L’évolution des instruments du droit de l’environnement, Pouvoirs,
2008, vol. 4, n° 127, p. 23.!