INÉGALITÉ ET PROSPÉRITÉ Jean-Michel Cousineau , Professeur

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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
INÉGALITÉ ET PROSPÉRITÉ
Jean-Michel Cousineau1, Professeur titulaire, École de relations industrielles,
Université de Montréal.
Montréal, le 16 avril 2012.
Introduction
Cette conférence s’adresse au thème combiné de l’inégalité des revenus
et de la croissance économique. Il s’agit de savoir s’il est possible de trouver un
sous-ensemble de mesures qui, tout à la fois, réduiraient les inégalités de
revenus et stimuleraient la croissance économique.
Heureusement, il y a eu ces derniers temps, beaucoup de réflexions sur le
thème des inégalités et de la croissance. L’OCDE notamment a récemment
publié un extrait de son rapport de 2012 à ce sujet et les principaux chapitres de
même que les études qui ont servi à la production de ce rapport paraissent
régulièrement depuis le mois de janvier. Les propos que nous tiendrons
s’inspireront en partie de ce rapport et en partie de nos propres constats et
réflexions.
Afin d’y voir clair dans ce type de problématique, nous nous intéresserons
à cinq questions : 1° Pourquoi se préoccuper des inégalités de revenus et de
croissance? 2° Y a-t-il des liens entre les inégalités de revenus et la croissance
économique? 3° De quelles options parlons-nous? 4° Quels critères devons-
1
Nous remercions Jean-Claude Cloutier pour ses commentaires très appréciés.
2
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
nous retenir pour évaluer les options qui se présentent? Et 5° Comment ces
options se comparent-elles les unes avec autres?
Pourquoi se préoccuper des inégalités de revenus?
La réponse à cette question est bien simple. Il convient de se préoccuper des
inégalités de revenus en combinaison avec la croissance économique parce
qu’autrement, la croissance économique n’a pas de sens. En effet, si la
croissance économique ne bénéficie qu’à un tout petit nombre, elle ne revêt alors
aucun intérêt. Pour avoir de l’intérêt, pour faire du sens, il faut que la croissance
économique appartienne à tous. La croissance économique est un bien public.
Or, ce n’est pas comme cela que les choses se sont passées au cours des 30
dernières années. En effet, comme l’indique le graphique 1, il y eut bel et bien
croissance du PIB par habitant au Québec entre 1976 et 2008 alors que le
revenu médian des familles québécoises n’a pas bougé d’un cran. En fait, en fin
de période (2008) il était inférieur en dollars constants à ce qu’il était en début de
période.
Si nous ajustons ce revenu pour tenir compte de la diminution de la taille
des familles, l’augmentation du revenu réel est de 7,9 % en ne tenant pas
compte des économies d’échelle ou de 18,5 % en en tenant compte2.
Dans tous les cas, l’augmentation de 60 % en 30 ans du PIB par habitant
dépasse largement l’augmentation du revenu médian par famille québécoise,
2
Ne pas tenir compte des économies d’échelle signifie diviser le revenu médian par le nombre de
personnes. En tenir compte signifie le diviser par la racine carrée du nombre moyen de personnes par
famille.
3
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
ajusté ou non. Pour la plupart d’entre nous, une prospérité qui ne profite pas au
plus grand nombre fait peu de sens. Elle ne peut être qualifiée de prospérité
puisqu’elle ne vise personne ou à peu près.
Par ailleurs et comme le montre le graphique 2 qui décrit la situation
américaine, puis le graphique 3 qui s’applique au Canada plus particulièrement,
c’est le 1% des mieux nantis qui a absorbé la partie significative des écarts entre
le PIB par habitant et le revenu moyen des familles aux États-Unis et au Canada
(Saetz, Veall 2005).
Au Québec, pour les francophones en particulier, ce phénomène existe
mais il est moindre qu’ailleurs en Amérique du Nord. En 2007, suivant les
estimations de Veall (2010), la part du revenu total dévolue au 1 % les plus aisés
était estimée à 7 % pour les francophones (ils étaient partis de 4 % en 1982)
comparativement à 14 % pour les anglophones (ils étaient partis d’un peu plus
de 6 % en 1982). Donc, la part du PIB qui est dévolue au 1 % de la population la
mieux nantie est deux fois moins importante au Canada qu’aux États-Unis puis
deux fois moins importante à nouveau pour les Québécois francophones
comparativement au reste du Canada. L’explication étant que les francophones
du Québec sont plus ou moins exclus du réseau anglo-saxon qui a déclenché ce
phénomène de « Winner Takes It All » (Le gagnant est sans partage) comme
l’explique T. Courchesne (2011).
4
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Graphique 1: Indices comparatifs du PIB per capita et du revenu médian des
familles, Québec, 1976-2006
170,0
160,0
150,0
140,0
Indices 1976=100
130,0
PIB per capita
Revenu médian
120,0
110,0
100,0
90,0
80,0
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
Année
Graphique 2. La part du revenu dévolue au 1 %: USA
1913-2007
25
20
15
10
5
0
1900
1920
1940
1960
1980
2000
2020
5
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Graphique 3. Part du revenu dévolue au 1 % les mieux
nantis au Canada
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
1910
1920
1930
1940
1950
1960
1970
1980
1990
2000
2010
2020
Mais il n’y a pas que le 1 % qui est la cause de l’augmentation des
inégalités de revenus au cours des 30 dernières années au Québec et un peu
partout ailleurs dans le monde. Premièrement, pendant les 20 premières années
de cette période, les inégalités de marché ou inégalités de revenus marchands
(emploi et revenus de placement) ont constitué le gros de l’augmentation des
inégalités sous la poussée des changements technologiques ainsi que de la
mondialisation des échanges. Ces changements ont exacerbé les disparités
entre les diplômés du niveau postsecondaire et les diplômés du secondaire et
moins. À partir de 1996, ce sont plutôt la baisse des paiements de transferts aux
particuliers qui peuvent être mis en cause : les prestations de l’aide sociale ont
diminué en termes de pouvoir d’achat de même que l’accès au programme
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
d’assurance emploi a été réduit; en même temps que la baisse des impôts sur le
revenu des particuliers contribuait à augmenter les inégalités de revenus au
Québec (Cousineau, 2010). Mais, en même temps que ces politiques étaient
adoptées, d’autres politiques publiques se mettaient en place pour contribuer
cette fois à stopper sinon à contrer la progression des inégalités de revenus
marchands (graphique 4).
Graphique 4. Évolution des inégalités
de revenus marchands, Québec
0,480
0,460
0,440
0,420
0,400
0,380
0,360
1975
1980
1985
1990
1995
2000
2005
2010
Au total, les inégalités de revenus marchands ont diminué au cours de cette
deuxième période alors que les inégalités relatives aux revenus disponibles
incluant les transferts ont augmenté (comparer 2007 ou 2009 à l’année 1995
dans le tableau 2).
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Y a-t-il des liens entre les inégalités de revenus et la prospérité?
Notre réponse à cette question est oui. Il y a quatre possibilités en théorie
et elles sont toutes vérifiées en pratique soit : 1° un pays où les inégalités sont
grandes et où le PIB par habitant est aussi élevé. C’est le cas des États-Unis et
du Royaume-Uni; 2° un pays où les inégalités sont faibles mais où le PIB par
habitant est aussi faible. C’est le cas de la République Tchèque; 3° un pays où
les inégalités sont élevées et où le PIB par habitant est bas. C’est le cas du
Mexique; et 4° un pays où les inégalités sont faibles et où le PIB par habitant est
élevé. C’est le cas de la Suède. Les données du tableau 1 fournissent les
chiffres correspondant à chacune de ces diverses situations.
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Tableau 1 : Coefficients de Gini* et PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat
pour différents pays sélectionnés.
Pays
Gini
PIB p.c.
$US en PPA
________________________________________________________________
• USA:
0,380
46 850
•
R-U:
0,331
35 512
•
Rép. Tchèque
0,268
25 245
•
Mexique
0,474
15 200
•
Danemark
0,232
40 170
•
Suède:
0,234
39 024
•
Finlande:
0,254
36 585
•
Norvège:
0,276
57 231
•
Québec:
0,296
33 135
_______________________________________________________
Sources : OCDE (2012).
*Un coefficient de Gini est une mesure qui indique le degré d’inégalité de
revenus. Plus sa valeur comprise entre 0 et 1 est élevée plus les inégalités de
revenus sont grandes.
Dans ce contexte, le Québec n’apparaît ni comme un pays anglo-saxon, ni
comme un pays scandinave. Les inégalités y sont moins grandes que dans les
pays anglo-saxons mais plus grandes que dans les pays scandinaves. Au niveau
du PIB par habitant cependant, le Québec accuse un retard parmi ces autres
pays, ce qui signifie, à notre avis, qu’il y a du rattrapage à faire sur le front du PIB
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
par habitant d’un côté, mais que la chose, à savoir croître et prospérer à
l’avantage de tous, est possible. Le question qui se pose est alors quelles leçons
tirer du passé de façon à obtenir une croissance économique soutenue en même
temps qu’une réduction des inégalités de revenus, c’est-à-dire conjuguer le
développement social avec la prospérité économique?
Trois propositions
Les trois propositions que nous soumettons au vote sont les suivantes :
1. L’Éducation
2. Les Taxes et les transferts
3. Les Incitations au travail
Explication
Chacune ces propositions se détaille de la façon suivante :
1. La solution de l’éducation consiste en A) des investissements dans la petite
enfance : le Congrès annuel de notre Association de 2010 a démontré tout
l’intérêt de détecter précocement les troubles cognitifs ou affectifs des enfants
en bas âge et de consacrer des ressources suffisantes à la correction de ces
problèmes. Les rendements attendus de ce type d’intervention sont les plus
élevés comparativement à toute autre forme d’investissement public en capital
humain. La courbe de Heckman (rendement-âge) en témoigne élégamment.
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Graphique 5. Courbe de Heckman
Rendement
20
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
B) la réduction du décrochage scolaire. À plus court terme, on peut noter que les
succès en cette matière sont locaux (rapport Ménard). Les initiatives pour les
étendre à une plus grande échelle méritent qu’on s’y attarde.
C) l’amélioration de l’efficacité du système d’éducation. Au-delà de la
problématique du financement des universités, il conviendrait de se pencher sur
les propositions développées par Clément Lemelin dans le cours de ce Congrès
et de se poser quelques questions relatives au contingentement et au
financement facultaire ou disciplinaire, à l’arrimage des niveaux de scolarité avec
le marché de l’emploi, ainsi que sur la qualité de l’enseignement et des diplômes
(G. Bélanger 2012).
L’intérêt de la solution investissement en éducation est qu’elle est très
répandue. De plus, il convient de mentionner qu’en principe, les investissements
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
en éducation et en formation entraînent, à terme, de nouvelles entrées fiscales.
Ils favorisent la mobilité sociale et une réduction des inégalités de revenus, ils
stimulent la croissance économique (OCDE 2012) et s’autofinancent sur le long
terme. Le problème avec cette solution par rapport aux critères que nous avons
proposés est justement qu’elle apparaît coûteuse au moins à court terme alors
que ses fruits ne semblent porter qu’à long terme pour ne pas dire à très long
terme. La seconde solution
que nous nous apprêtons à présenter pallie ce
problème.
2. Les taxes et les transferts.
Si nous abordons, pour commencer, la piste des transferts aux personnes et aux
familles tels la sécurité de la vieillesse, le supplément du revenu garanti, les
prestations d’invalidité, l’assurance emploi et l’aide sociale, il apparaît que la
moindre augmentation de ces transferts se traduit par des réductions manifestes
des inégalités de revenus. À preuve, le tableau suivant qui montre qu’à eux
seuls, les paiements de transferts contribuent à réduire les inégalités de revenus
d’un peu plus de 20%. Si on leur ajoute les impôts, cela se ramène à dire qu’un
peu plus du tiers de toutes les inégalités de marché se trouvent réduites par ces
deux instruments3.
En effet, tel qu’observé au tableau 2 pour l’année 2009 par exemple, le
coefficient de Gini passe de 0,442 à 0,337 ce qui représente une baisse de 23,8
%. Après impôts, ce coefficient baisse à nouveau de 0,337 à 0,289, ce qui
constitue une nouvelle baisse de 14,2%. Ces effets sont rapides et dans une
3
Une des limites de cette approche est qu’elle ne prend pas en compte les effets d’équilibre général
d’une part et qu’on ne dispose pas de contre-exemple dans lequel ces transferts n’existeraient pas.
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
large mesure peu coûteux en termes d’effets directs. Elles doivent toutefois être
accompagnées de politiques actives d’insertion en emploi de façon à éviter les
débordements en termes de désincitation au travail. Le programme intitulé : Le
Pacte pour l’emploi du ministère de l’emploi et de la solidarité sociale s’inspire de
cette approche incitative.
Pour terminer, nous devons ajouter qu’un certain nombre d’études
(Comeau 2011 et Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion sociale 2011)
soutiennent que la bonification des paiements de transferts contribue
significativement à réduire les coûts de la pauvreté en réduisant notamment
l’incidence de la maladie, du crime et des échecs scolaires pour ces groupes
particuliers.
En ce qui a trait au prélèvement des taxes nécessaires au financement de
ces transferts, nous suggérons tout d’abord une hausse de la taxe sur la valeur
ajoutée (TPS et TVQ) dont les effets régressifs seraient compensés de la
manière habituelle. Ceci neutraliserait les effets indésirables de cette taxe sur la
répartition des revenus tout en favorisant la croissance économique à long terme
(hausse de l’épargne). Par ailleurs, et comme le laisse entendre l’OCDE dans
son récent rapport de 2012, il conviendrait également de réduire les dépenses
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
fiscales dont les riches bénéficient plus que proportionnellement. De cette façon,
Tableau 2. Les Transferts
Année
Gini
Marché
Gini
Après
Transferts
Gini
Après
Impôts
Baisse
due
Transferts
(%)
Impôts
(%)
aux
Total
(%)
0,446
2007
O,444
0,342
0,292
23,0
14,6
34,2
2009
0,442
0,337
0,289
23,8
14,2
34,6
Source : Statistique Canada, Le revenu au Canada.
il devient possible d’augmenter la contribution des plus riches en augmentant les
taux d’impôt moyens plutôt que les taux marginaux.
3. Les Incitations
La troisième solution s’intitule les incitations au travail. Cette mesure
consiste en trois actions :
A) La poursuite sinon l’accélération du programme de subvention aux garderies
et l’assurance parentale. Ces programmes ont grandement contribué à l’entrée
massive des femmes sur le marché du travail et en particulier des femmes
monoparentales, ce qui a conduit, avec la garantie de pensions alimentaires, à
une augmentation marquée de leur taux d’activité. Or,
la hausse des taux
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
d’activité constitue, selon nos estimations les plus récentes, le facteur le plus
puissant de réduction des inégalités dans les revenus de marché au Canada et
pour les provinces canadiennes au cours des 30 dernières années, en même
temps que cette hausse garnit les coffres de l’État et se traduit par une certaine
forme d’autofinancement (Fortin et. al. 2012). En effet, dans le tableau 3, extrait
de l’étude de Cousineau et Merizzi (2011) portant sur les inégalités de revenu de
marché au Canada et dans les provinces canadiennes sur la période 1981-2008,
nous observons que le coefficient Bêta associé à la variable de taux d’activité,
coefficient assimilable au poids relatif de l’impact de diverses variables sur les
inégalités de revenus de marché est, indépendamment du signe, le plus élevé de
tous les autres coefficients(0,65)4. Il est suivi de la variable de création d’emploi
ou taux de chômage (0,46) puis de la variable éducation (0,32).
Les autres composantes de l’explication de la variance interprovinciale et
inter temporelle des inégalités de revenus au Canada et dans les provinces
canadiennes sont associées aux autres causes des inégalités de marché :
changements technologiques (0,16 + 0,26) et mondialisation (0,098) d’une part,
puis aux institutions comme le salaire minimum (0,083 avec effet contraire aux
effets recherchés) et à la syndicalisation (0,19 avec effet réducteur des inégalités
de revenus).
4
Un coefficient Bêta correspond au produit d’un coefficient de régression rattaché à une variable
explicative, multiplié l’écart-type dans la valeur de la variable en question, le tout divisé par l’écart-type
de la variable dépendante. En plus de donner l’information sur le coefficient (impact marginal), cette
façon de procéder donne un ordre de grandeur de l’impact qu’a eu cette variable sur la variation de la
variable dépendante.
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Tableau 3. Effets de diverses variables sur l’évolution des inégalités dans les
revenus de marché au Canada et dans les provinces canadiennes au cours de la
période 1981-2008.
___________________________________________________
Facteurs institutionnels
Coefficient Bêta
Salaire minimum
+ 0,083
Syndicalisme
- 0,188
Changements technologiques
Présence d’ordinateurs au travail
+ 0,164
Dépenses en R&D (innovation)
+ 0,259
Mondialisation
Ratio des exports et imports sur le PIB + 0,098
Politiques publiques
Éducation
- 0,318
Taux de chômage
+ 0,464
Taux d’activité
- 0,650
____________________________________________________
Source : Cousineau et Merizzi (2011), p.254.
B) La prime au travail constitue la seconde mesure associée aux incitations.
Cette mesure a été implantée en 2005 par le ministre des Finances de l’époque
(M. Yves Séguin). Compte tenu de son caractère incitatif, puisqu’elle n’est
versée à titre de complément de revenu qu’à la condition d’avoir travaillé et
d’avoir touché un revenu d’emploi, elle fait clairement partie des mesures qui
pourraient être bonifiées et contribuer de la sorte à hausser les taux d’activité.
16
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
C) Le maintien ou le retour au travail des personnes de 55 ans et plus. Le
Québec fait partie des provinces où le taux d’activité pour ce groupe d’âge est
Graphique 6. Évolution du taux d’activité des femmes de 15 à 64 ans au Québec
76 %
74 %
72 %
70 %
Québec
Canada
Ontario
68 %
66 %
64 %
62 %
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
60 %
Source : Fortin et. al. (2012)
Graphique 7. Taux de chômage, Québec, 1976-2006
15
T
a
u
x
c
h
ô
m
a
d g
e e
14
13
12
11
10
9
8
7
1970
1975
1980
1985
1990
1995
Année
2000
2005
2010
2015
17
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Graphique 8. Évolution du taux de pauvreté familles (bleu) et personnes seules
(jaune) au Québec, 1976-2009, définition selon les seuils de faible revenu.
Géographie: Québec
Base du seuil d: Seuils de faible revenu après impôt, base de 1992
Statistiques: Pourcentage de personnes à faible revenu
20.0
Personnes dans l'ensemble ...
Personnes dans les famille...
17.5
15.0
12.5
10.0
7.5
5.0
2.5
0
1977
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997
1999
2001
2003
2005
2007
2009
Date
Tableau: 804[1].ivt - Tableau modifié 202-0804 : Personnes à faible revenu, selon le type de famille économique, annuel
parmi les plus bas. À la lumière des résultats obtenus quant à l’effet des mesures
incitatives adoptées à partir du milieu des années 1990 sur les taux d’activité
féminins (graphique 6), les taux de chômage (graphique 7), les taux de pauvreté
(graphique 8) et même sur les inégalités de revenus (graphique 4) d’une part et
compte tenu, d’autre part, de l’effet du taux d’activité sur le PIB (par habitant) tel
que démontré par l’identité :
(1) PIB/POP = Productivité (PIB/H)
*
intensité du travail (H/PA)* taux d’activité
(PA/POP15+) * facteur démographique (POP15+/POP),
nous pouvons établir qu’il s’agit tout à la fois d’une mesure efficace de réduction
des inégalités de revenus et de progression du niveau de vie.
18
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
3. Les critères d’évaluation.
Les critères d’évaluation proposés pour apprécier les politiques de
réductions des inégalités de revenus à incidence positive sur la prospérité sont
les suivants : 1° Le terme : une politique qui réduit les inégalités rapidement en
est une qui présente un avantage sur une autre qui prend plus de temps, toutes
choses égales par ailleurs; 2° le coût : une politique qui est plus coûteuse qu’une
autre est moins avantageuse qu’une autre qui est moins coûteuse; 3° l’efficacité :
une politique qui réduit fortement les inégalités est préférable à une politique qui
les réduit moins (à effort donné); 4° l’efficience : une politique qui réduit les
inégalités et qui favorise davantage la croissance est préférable à une autre qui
n’a pas autant d’effet sur la croissance économique; 5° le caractère permanent
ou durable de l’effet de la mesure donne un avantage à la formule qui dispose de
cet attribut; 6° le degré d’autofinancement de la politique.
4. L’évaluation
Les tableaux suivants résument notre évaluation des diverses propositions
énoncées dans la section précédente. Le premier tableau répond aux quatre
premiers critères énoncés dans la section réservée à cette analyse. Le second
tableau complète notre évaluation par des remarques plus factuelles.
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
Avantages et inconvénients des
diverses propositions
Proposition
Terme
Coûts
Efficacité en
termes de
réduction des
inégalités
Efficience en
terme de
rapport B/C et
croissance
ÉDUCATION
LONG TERME
ÉLEVÉS
OUI
OUI
TRANSFERTS
COURT TERME
FAIBLES
OUI
NON
INCITATIONS
MOYEN TERME
MOYENNEMEN OUI
T ÉLEVÉS
OUI
Évaluation des politiques
Proposition
Croissance
Réduction des
Inégalités
Autres
Autres
Éducation
OUI
OUI
Effet durable
sur les autres
générations
(mobilité
sociale)
Augmentation
de la
productivité
Taxes et
transferts
Incertain: Effet
Kaldor*
OUI
Danger du
piège de la
pauvreté
Incitation au
travail réduite
mais réduction
des coûts de la
pauvreté
Incitations
Sur le PIB mais
peut-être pas
sur la
croissance
OUI
Expérience des
années 19972007: TA, E, TC
et TP.
Incitation au
travail
renforcée.
Autofinance
*L’effet Kaldor se rapporte à l’effet d’une hausse des dépenses plus élevé sur le PIB à court
terme en vertu d’une propension marginale à consommer plus élevée pour les bas revenus.
20
Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
C’est ainsi, par exemple, que la proposition se rapportant à l’éducation
favorise la croissance, la réduction des inégalités et la mobilité sociale, mais elle
peut être coûteuse et ses effets tardent à se manifester. Tandis que la
proposition taxes et transferts a des effets plus immédiats sur la réduction des
inégalités, peut être un peu moins coûteuse, mais elle est moins efficiente en
terme de croissance économique. La solution des incitations au travail
s’autofinance, avec des effets à moyen terme significatifs sur les inégalités et
l’augmentation du niveau de vie, mais n’a peut-être pas d’effet à long terme sur
le taux de croissance du PIB.
Conclusion
En résumé, les raisons qui militent en faveur de porter une attention
particulière aux inégalités de
revenus conjointement avec la croissance
économique sont qu’il importe de se préoccuper des inégalités de revenus de
façon à ce que cette prospérité ait un sens.
Les trois propositions qui se présentent dans l’état actuel des
connaissances sont : l’éducation, les taxes et les transferts puis les incitations au
travail. Chacune de ces options comporte des composantes. Pour l’éducation
nous entendons : l’investissement dans la petite enfance, la lutte au décrochage
scolaire et l’amélioration des études postsecondaires.
En ce qui a trait aux impôts et transferts, nous envisageons un relèvement
des prestations aux divers programmes de soutien du revenu accompagné de
politiques actives d’insertion ou de réinsertion sur le marché du travail. Le tout
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
serait financé par le relèvement de la taxe sur la valeur ajoutée et la révision de
plusieurs dépenses fiscales.
La troisième solution est celle qui consiste à inciter divers groupes à
retourner ou à demeurer sur le marché du travail à travers diverses mesures de
réconciliation travail-famille (garderies, assurance parentale), la bonification et
l’étendue du programme de prime au travail et les mesures qu’il convient
d’apporter pour les personnes de 55 ans et plus. Chacune de ces mesures a ses
propres avantages et inconvénients. À chacun de choisir.
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Inégalités et prospérité, Jean-Michel Cousineau, Association des économistes québécois, mai
2012.
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