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LE DESTIN : HASARD OU NECESSITE ? 1
Jacques van Assche
« Nous aurons le destin que nous aurons mérité. » Albert Einstein
L'intelligence surieure d'un individu se mesure à sa capaci d'entretenir simultanément deux pensées
contradictoires tout en conservant son aptitude à fonctionner (Francis Scott Fitzgerald)
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Prolégomènes.
Le terme " destin", du latin "destinare" qui signifie " fixer", est l'équivalent du terme "fatalité" et
prend le sens de " ce qui est fixé par le sort". Selon Épicure, la croyance philosophique dans le
destin aurait pour origine les philosophes qui se sont attaché à expliquer la nature uniquement à
l'aide de la matière et en établissant entre les choses un lien de causalité : si tout ce qui existe a une
cause rien ne peut naître du néant et rien ne peut y retourner (cf. Lavoisier " tout se transforme").
En outre, la succession des causes et des effets constitue une chaîne dans laquelle chaque maillon
est nécessairement lié à l'autre. La causalité implique donc leur nécessité. C'est ce qu'exprime
Cicéron dans, Du Destin : " si tout arrive en vertu de causes antécédentes, tous les événements sont
étroitement liés, naturellement enchaînés les uns dans les autres et, s'il en est ainsi, tout est soumis à
la nécessité."
1 Ce texte est une réactualisation dune planche « J.van Assche, le Destin, Hasard ou Nécessité » présentée à la
RL STELLA MARIS Or de Marseille, 1989.
2 . Freher, Paradoxa Emblemata, manuscrit, XVlllème siècle :Toutes les œuvres du Dieu clément vont pour ainsi dire
en cercle et sont parfaites et elles retournent d'où elles viennent.» (Tiré du Rosaire des Philosophes de John Dastin,
XIVème siècle, in: Hermetisches ABC, Berlin, 1778
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Lorsque nous écoutons extrait de l'Opferlied , ( le chant du sacrifice ) de Beethoven, « Ce sourd qui
entendait l’infini. » (Victor Hugo) nous réalisons qu’il illustre bien le double destin du compositeur,
tragique par le drame de sa surdité, mais qui marche malgré tout vers son destin de gloire et de
souffrance et qui, ayant vécu son propre Golgotha, touchera le fond du désespoir, envisageant
même l'ultime solution : le suicide ...et destin glorieux, mais dans lequel résonne inéluctablement ce
qui manque à son génie, le calme et le bonheur ...
« La flamme jaillit, une douce 1ueur rayonne à travers la chênaie sombre, et des senteurs d'encens
flottent- dans les airs... Prête moi une oreille indulgente et accepte, ô Très Haut, l'offrande de ton
serviteur. Défends et protège toujours la liberté. Que ton souffle de vie doucement pénètre l'air, la
terre, le feu et les ondes... Depuis l'adolescence et jusqu'à la vieillesse, ô Jupiter, accorde -moi au
foyer paternel le Beau et le Bien... »
Cet Opferlied qui, sur des paroles de Matthisson, a accompagné Beethoven tout au long de sa vie,
puisque sa troisième et dernière version fut exécutée à Vienne le 4 avril 1824, un mois seulement
avant la première audition de la Neuvième Symphonie.
Dès 1795, Beethoven en avait composé une première version (un solo avec accompagnement de
piano) qui était destinée à une loge franc-maçonne, celle de Wegeler à Bonn. Il la remania sept ans
plus tard, et la reprit encore en I824, à deux reprises, tout en travaillant à la Neuvième Symphonie.
I1 est d'ailleurs bien évident que ces deux oeuvres ne sont pas sans un certain rapport de pensée,
l'ultime version gagnant encore en importance et en profondeur.
Comme l'ont observé dans leur Biographie Jean et Brigitte Massin3, c'est dans l'Opferlied que se
trouve la « Prière pour tous les temps » de Beethoven, résumée ainsi : « Das Schöne zum Guten »
(le Beau et le Bien, le Beau uni au Bien). Beethoven a souvent écrit cette devise pour ses amis avec
des mélodies différentes. Il y a aussi l'invocation au Très Haut conjuré de défendre toujours la
liberté, lui est proche de certaines phrases de l'Ode â la Joie de Schiller...
Il faut préciser que le Chant de sacrifice » pour voix solo et piano-forte, rejoint la maçonnerie
d'inspiration antique mise à l'honneur à Vienne dans l'entourage de Mozart (cf. la cantate « Dir
3 Brigitte Massin et Jean Massin Ludwig van Beethoven , Fayard 1992
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Seele des Weltalls »). Le texte du poète Matthisson évoque les sacrifices des anciennes religions,
mais également le symbolisme des quatre éléments (si importants dès le premier grade) et le
combat pour la liberté 4. Le musicographe H. de Curzon le qualifie de « ... large et belle page un
peu dans le style des chœurs des prêtres d'Isis de La Flûte enchantée ».5
Mais rien ne prouve formellement que Beethoven ait été Franc-maçon, malgré certains indices - à
vrai dire fragiles. Parmi ces indices, relevés par Roger Cotte,6 on notera par exemple le suivant : sur
une des feuilles d'esquisse de l'adagio de son quatuor 7, on relève une inscription manuscrite de
la main de Beethoven : un saule pleureur ou un acacia sur la tombe de mon frère. En revanche
Philippe Autexier 7 rejette la thèse de l'appartenance maçonnique de Beethoven. Il nous faut nous
méfier de ce qu'il nous ferait plaisir de croire, ajoute-t-il.
Sans prendre parti dans cette querelle de spécialistes, une chose semble évidente : que Beethoven ait
ou non été maçon, il partageait largement les idéaux humanistes de fraternité universelle, de liberté
et de justice à l'honneur à l'époque dans l'intelligentsia allemande éclairée et dont la Franc-
maçonnerie était un porte-drapeau. Beethoven n’a certainement jamais été franc maçon8, tout au
plus « sans tablier » !
Je souhaiterais dire que dans le titre " hasard ou nécessité", , une réflexion sur le thème du Destin
s’est ajoutée. L’ouvrage de Jacques Monod9, dont on ne peut que respecter la magnifique œuvre
scientifique, pour qui les religions sont bien entendu une proie facile pour la « nouvelle critique».
Les croyants devront se convaincre qu’il est inutile et vain de chercher la trace de Dieu dans les
brins de la double hélice est semble-t-il, complètement passé à côté du sujet. Il s’est borné à un
rationalisme pur et dur oubliant Albert Einstein : « deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise
humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. »
En ce sens que, face à une "science officielle" dans laquelle on associait l’adhérant à la science
officielle un ensemble complexe les notions de " causalité , légalité , déterminisme , mécanisme ,
4 http://mvmm.org/m/docs/beethoven.html
5 http://www.archive.org/details/guidemusicalrevu191157brus
6 Roger Cotte La musique maçonnique et ses musiciens Ed. du Baucens, 1975 (collection Bibliothèque internationale
d'études maçonniques) - réédité en 1991 par les Ed. du Borrego au Mans
7 Philippe Autexier ; La Lyre Maçonne Editions Detrad
8 http://www.editions-arqa.com/editions-arqa/spip.php?article1034
9 Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Le Seuil éd.
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rationalité ," n'a pu ou voulu se rendre compte que surgissait un ensemble de thèmes étrangers à la
science classique : la vie , le destin , la liberté , la spontanéité , qui sont des émanations de
profondeurs enfouies , et qui se voulaient inaccessibles à la raison ... Il est hélas devenu évident
aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité. » (Albert Einstein ).Et puis, comment
croire que l’on puisse trouver l’existence de Dieu (ou son absence) dans des éprouvettes !
Il ne s’agit pas ici de donner des réponses sur ce que représente cette interrogation permanente,
lancinante, obsédante de l'humain , sur son destin , mais plutôt de susciter le questionnement , le
doute bien sûr, la réflexion surtout, en essayant de "raisonner maçonniquement ", en particulier
devant l'apparente absurdité de la condition humaine, qui a souvent conduit l'Homme à rechercher
un " neuroleptique de l'âme ", ou un "imaginaire consolateur "
Ainsi, ce travail s'articulera autour des thèmes suivants:
Qu'est le destin ?
Existe-t- il un Destin concernant l'Humanité, et (ou) des destins et des destinées individuels,
intégrés ou non dans un plan d'ensemble ? En d'autres termes , dans la mesure il ne semble
pas d'ores et déjà possible de dresser un le tableau complet de toutes les variétés de destins , et
encore moins de donner une analyse détaillée des diverses allures qu'il peut prendre , il suffira
de se rappeler que le destin peut être bon ou mauvais, étroit ou très large , selon qu'il intéresse
peu ou beaucoup d'hommes , altruiste ou égotiste , mais sans doute devrions-nous parler de
"rythme" propre .
Le destin est-il inéluctable, répondant ainsi à une nécessité ?
Ou bien ce que nous nommons destin n'est que le fruit du hasard ?
Dans tous les cas, avons-nous une quelconque liberté, ou bien faut-il se référer uniquement au
fatidique ?
L'apparition de la notion de destin dans la conscience humaine paraît antérieure à toute réflexion
philosophique et même à toute religion organisée10. En effet, le besoin de mettre de l'ordre dans le
chaos (ORDO AB CHAO) des événements et des phénomènes amène à leur supposer une unité, à
ne voir en eux que les effets d'une force unique ou d'un schéma préétabli, expression d'une volonté
plus ou moins personnelle ou d'une nécessité inhérente aux choses.
10 M. Eliade, Histoire des croyances et idées religieuses, Payot
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Cette force peut être envisagée comme s'opposant à la volonté humaine, c'est-à-dire que, contraint
par la fatalité, on peut aussi trouver le bonheur dans une soumission volontaire au destin : cette
philosophie relève du stoïcisme, ou bien au contraire une telle force peut être un déterminant,
allant jusqu'aux actes mêmes par lesquels l'homme croit lutter contre elle, thème que l'on retrouve
tout particulièrement développé dans la tragédie grecque : nous y reviendront ...
La naissance des religions et la croyance en une volonté divine personnelle n'élimine pas
nécessairement une référence au destin ou à la fatalité. En fait , l'idée d'un plan préétabli, même
si elle n'intervient pas comme telle dans un dogme en vigueur , peut rester sous-jacente et entraîner
l'apparition de points de vue théologiquement différents, comme c'est le cas dans le débat bien
connu entre prédestination et liberté humaine, qui a traversé tout le christianisme .
D’ailleurs, hors des religions établies, les notions de destin et de fatalité ont toujours joué et jouent
encore un rôle important dans les superstitions populaires (contes de fées, magie, divination,
astrologie), voire même dans la vie courante. Ces notions sont en fait si profondément ancrées dans
l’homme, et celui-ci semblant fortement répugner à admettre l'idée de contingence ou de hasard,
qu'on les voit survivre au déclin ou au rejet des religions traditionnelles et tenir, dans la pensée
moderne, une place non négligeable sous des formes nouvelles telles que le déterminisme.
Le terme "déterminisme" n'était pas encore attesté lorsque Diderot écrivait Jacques le Fataliste11,
il ne le sera qu'au début du dix-neuvième siècle, mais ce n'est pas pour autant que Diderot n'était
pas un partisan de cette doctrine selon laquelle" tout phénomène est régi par une ou plusieurs lois
nécessaires telles que les mêmes causes entraînent dans les mêmes conditions les mêmes effets."
Mais à la notion de déterminisme se superpose celle de la Finalité, qui domine l’idée de destin.
Finalité ou finalisme, terme qui d’ailleurs hérissait Spinoza : «la doctrine finaliste renverse
totalement la Nature et conduit à concevoir Dieu à l’image de l’homme » 12 et qui désigne à la fois
l’état final, la disparition, mais aussi le but vers lequel toute chose tend et s’oriente. La finalité,
c’est un peu comme « une maîtresse sans laquelle aucun biologiste ne peut vivre, mais qu’il est
11 Denis Diderot Jacques le Fataliste et son maître (http://www.site-magister.com/jacques.htm#ixzz344txLsAE)
12 Commentaire d’un extrait de l’appendice du livre I de l’Ethique de Spinoza
http://forum.philagora.net/showthread.php?t=38167
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