La syntaxe des corrélatives comparatives en anglais et en français1

publicité
26-28 mai 2005
Colloque Subordination-Coordination
La syntaxe des corrélatives comparatives en anglais et en français1
Anne Abeillé, LLF, Université Paris 7
Robert Borsley, University of Essex, Colchester
Introduction
Il est souvent difficile de distinguer coordination et subordination. Il a parfois été proposé
qu’une construction soit analysée comme coordonnée en syntaxe et subordonnée en
sémantique, ou vice versa. Culicover et Jackendoff (1997), par exemple, proposent qu’en
anglais, les exemples tels que (1a) soient syntaxiquement des coordinations mais qu’en
sémantique il s’agisse d’une subordonnée (interprétée comme une conditionnelle) suivie d’une
principale:
(1)
a
b
One more can of beer and I’m leaving.
Tu fais un pas de plus, et tu es mort
On a en français, de nombreux cas similaires (cf (1b)), parfois étiquetés "subordination
inverse" dans la littérature.
Culicover et Jackendoff (1999) proposent une analyse similaire pour les corrélatives
comparatives (CC) en anglais (cf 2):
(2)
The more books I read, the more I understand.
En français, les comparatives corrélatives sont introduites par un adverbe de comparaison
(plus ou moins) ou par un adjectif ou un adverbe au comparatif (mieux, meilleur, pire,
moindre):
(3)
a
b
Plus je lis, plus je comprends
Mieux tu travailleras, meilleurs seront tes résultats
Leur analyse comme coordination syntaxique est d'autant plus tentante que, contrairement à
l'anglais, on peut avoir la conjonction "et" entre les deux phrases:
(4)
a
b
Plus je lis, (et) plus je comprends
* The more I read and the more I understand
Nous passons en revue les arguments qui montrent qu'il y a bien subordination sémantique,
pour montrer ensuite que la syntaxe n’est pas exactement la même dans les deux langues. Nous
examinons d’abord la structure interne à chaque proposition, en montrant qu’on a toujours un
syntagme initial « extrait ». Nous passons ensuite à la construction elle-même. En reprenant
l'argumentation de Borsley (2004), on peut montrer que, pour l'anglais, il y a aussi
subordination syntaxique (la seconde proposition ayant des propriétés de principale). En
1
Nous remercions pour leurs commentaires ou leurs jugements Olivier Bonami, François Capeau, Annie
Delaveau, Danièle Godard, François Mouret, Claire Blanche-Benveniste, Georges Rebuschi, Marie-José Savelli,
et le public de la conférence HPSG 2004 et du colloque Subordination-coordination.
2
français, il semble qu’il y ait deux analyses syntaxiques possibles, selon les locuteurs, l’une
assymétrique, analogue à celle de l’anglais, l’autre qui ressemble davantage à une construction
coordonnée..
Nous présentons enfin une analyse en HPSG basée sur la notion de construction (qui permet
de regrouper des propriétés idiosyncratiques ou non strictement non compositionnelles): une
telle approche nous permet d'une part de prendre en compte les propriétés que ces
constructions héritent du reste de la grammaire et ce qu'elles ont de spécifique; d'autre part de
pointer ce qui est commun entre les deux langues et ce qui est propre à chaque langue.
1. Rappels sur l'interprétation des comparatives corrélatives (CC)
Ces constructions sont parfois appelées "proportionnelles" dans la littérature. Comme l'ont
bien montré Cornulier (1988) pour le français, et Beck (1997) pour l'allemand, on a affaire à
une covariation entre deux éléments (par exemple deux degrés), mais en aucun cas à une
relation de proportionnalité, au sens mathématique du terme. Les exemples de Cornulier sont
les suivants:
(5)
a
b
Plus on est chauve, plus on est intelligent
Plus on a d'enfants, moins on paie d'impôts
Il est clair qu'en (5a), il ne s'agit pas de comparer strictement le nombre de cheveux et le
nombre de neurones (ou le QI...); il s'agit simplement d'exprimer une généralisation
(évidemment provocatrice) sur une corrélation vague entre le degré de calvitie et le degré
d'intelligence. En (5b), on sait bien que l'impôt est dégressif selon le nombre d'enfants mais de
façon non directement proportionnelle (on ne paie pas moitié moins d'impôt quand on passe
de 1 à 2 enfants, ni de 2 à 4 enfants). En revanche, Cornulier indique bien que la relation est
orientée, c'est-à-dire que (5b) indique une implication entre la variation du nombre d'enfants et
la variation du montant de l'impôt mais ne dit rien de l'implication inverse : en effet ce n' est
pas parce que Mr X paie moins d'impôt que Mr Y qu'il a forcément plus d'enfants.
Cette double intuition (la corrélation est vague et il s'agit d'une implication) est aussi à la base
de l'analyse formelle proposée par Beck. Beck analyse la construction CC comme une
conditionnelle, avec la première proposition fonctionnant comme la condition et la seconde
comme la conséquence. A la différence des analyses antérieures, elle propose non une
comparaison entre une valeur dans la première clause et une valeur dans la seconde, mais une
implication entre deux comparaisons, chaque comparaison se faisant entre deux mêmes termes
dans chaque clause. Plus précisément, elle analyse le comparatif initial comme un quantifieur,
qui peut porter sur des individus, sur des degrés, sur des temps ou sur des mondes possibles,
mais à chaque fois sur des paires:
(6)
a
b
Plus quelqu'un est grand, plus il a de grands pieds
Plus Jean court, plus il est fatigué
En (6a), la paraphrase proposée est : pour toute paire d'individus, x et y, si x est plus grand que
y, alors x a de plus grands pieds que y. En (6b): pour toute paire de situations, s1 et s2, si en s1
Jean court plus qu'en s2, alors Jean est plus fatigué en s1 qu'en s2. Donc dans cette analyse, il y
a bien à chaque fois comparaison, mais avec un terme implicite. C'est ce qui explique qu'on ne
puisse introduire un terme explicite de comparaison, ni un complément de mesure:
3
(7)
a
b
The more (*than Mary) John works, the more (*than Mary) he gets tired.
The more days are passing, the warmer (*by 3 degrees) it gets
Si chaque jour, la température augmente de 3 degrés, on ne peut pas dire (7b) pour autant. En
français également, on observe que les comparatifs initiaux ne peuvent pas avoir de second
terme, même extraposé (cf Capeau et Savelli 1995):
(8)
a
b
Plus tu mangeras de soupe, plus grand (*que les autres) tu seras
Plus tu mangeras de soupe, plus grand tu seras (*que les autres)
Beck suggère que la syntaxe reflète d'une certaine mesure cette impossibilité, en proposant que
la place du terme de comparaison soit précisément celle qu'occupent des éléments initiaux tels
que the en anglais, ou je ou desto en allemand. En (7b), 'the ' occuperait donc la même position
que "three degrees" et "the warmer" aurait la même structure syntaxique que "three degrees
warmer". En français, les CC commencent directement par un terme comparatif mais on peut
mentionner une variante en français parlé méridional où 'au' précède 'plus' (Savelli 1993):
(9)
% Au plus il y a de jeunes dans les facs qui apprennent des choses au plus le pays est
cultivé
Beck argumente, comme Cornulier, contre une analyse basée sur une relation directement
proportionnelle entre le degré indiqué dans la première phrase et le degré indiqué dans la
seconde, avec les exemples suivants (originellement en allemand, adaptés ici en français):
(10)
a
b
c
Plus un nombre entier est grand, plus grand est son carré
Plus un nombre entier est grand, plus grand est son logarithme
Cette semaine, plus il faisait chaud, plus Louise a marqué de points
Il est clair qu'en (10a) et (10b) on n'a pas une relation de proportionalité: les entiers
augmentent moins vite que leur carré, et a contrario ils augmentent plus vite que leur
logarithme. Enfin (10c), selon Beck, peut être vraie même si deux jours de suite il fait la même
température et que Louise n'a pas marqué le même nombre de points (du moment que les jours
où il faisait plus chaud elle a marqué plus de points que ces jours-là). Contrairement à une
interprétation de type proportionnelle, l'interprétation conditionnelle proposée ne dit rien du
cas où deux éléments ont la même valeur dans l'antécédent.
A partir du moment où la seconde proposition est la tête sémantique, on comprend que ce soit
elle qui détermine la polarité de l'ensemble. En anglais, Culicover et Jackendoff (1999) ont
observé que les questions tag ne peuvent reprendre que la seconde phrase:
(11)
a
b
The more we eat, the angrier you get, don't you ?
* The more we eat, the angrier you get, don't we ?
En français, on peut construire le contraste suivant, avec la reprise en "non plus" conditionnée
par la polarité négative:
(12) a
Plus vite le médecin travaillera, plus vite il n'aura plus personne à voir, et sa
secrétaire non plus
4
b
* Plus vite le médecin n'aura plus personne à voir, plus vite il pourra rentrer
chez lui, et sa secrétaire non plus
L'analyse sémantique assymétrique de Beck a-t-elle des conséquences pour la syntaxe des CC
? Elle vise à expliquer que la première proposition (interprétée comme une conditionnelle) aie
des propriétés de subordonnée, comme c'est le cas en allemand:2
(13)
Je müder Otto ist, desto agressiver ist er.
Plus Otto est fatigué, plus il est agressif
En allemand, la première proposition doit contenir la particule je devant le comparatif, et la
seconde la particule desto. Il est clair que la première a des propriétés syntaxiques de
subordonnée (le verbe est final), tandis que la seconde a des propriétés de principale (le verbe
est en seconde position). Nous allons maintenant examiner la structure interne de chaque
proposition en français et en anglais, ainsi que la question de leur assymétrie syntaxique
éventuelle.
2. La structure interne de chaque clause
Regardons les contraintes sur la structure interne de chaque proposition comparative. Dans les
deux langues, le syntagme comparatif peut être analysé comme extrait. Ross (1967) et
Culicover and Jackendoff (1999) ont montré qu'en anglais on peut avoir des cas de dépendance
à distance, et qu'on a des effets d’insularité:
(14)
a
b
The more news there is, the more papers they think are bought
* The more problems are thought about, the more problems [papers about ] are written
En français aussi, on peut avoir une dépendance à distance avec l'adverbe vite en (15a), et un
blocage lié à l'ilot relative en (15b). L' on peut également avoir l’inversion stylistique du sujet
(15c), ou l'inversion locative (15d), qui est généralement analysée comme un contexte
d'extraction, (cf Marandin 1997):
(15)
2
a
b
c
d
Moins tu auras de temps, plus il faudra que tu fasses vite
*Moins ils ont de temps, plus je connais des gens qui font vite.
Plus vite recommenceront les cours, plus vite il faudra que soient rendues les notes.
Plus loin s'installent les gens, moins on les connaît
Beck mentionne aussi le cas inverse, avec un comparatif différent, où la subordonnée est en seconde position:
Otto is umso müder, je heisser es ist
Plus il fait chaud, plus Otto est fatigué
5
En anglais, on peut avoir le complémenteur 'that' après le syntagme initial, mais pas en français
standard:3
(16)
a
b
The more that I read, the more that I understand
* Plus que je lis, plus que je comprends
Une différence plus intéressante est celle du syntagme à l'initiale. En anglais, on peut avoir des
syntagmes variés (SN, SA, Sadv, SP) mais 'the' doit toujours être en tête (Borsley 2004):
(17)
a
b
c
d
[The more books] I read, the more I understand
*[To the more people] I talk, the more confused I get
[The more people] I talk to, the more confused I get
The more I run, [the more out of breath] I am
Comme le propose Borsley 2004, il s'agit donc d'une contrainte d'ordre qui impose d'avoir 'the'
à l'initiale, et qui rend également compte du fait qu'on ne peut prémodifier le syntagme
comparatif:
(18)
a
b
* [All the more] I read, all the more I understand
* The more days are passing, [three degrees] the warmer it gets
En français, on a deux possibilités: soit la proposition commence par un comparatif adverbial
nu (plus, moins, mieux) ou un Sadv, soit elle commence par un syntagme comparatif (SN,
SA,SP), mais celui-ci doit être prédicatif, c'est-à-dire complément d'un verbe attributif ou d'un
verbe support :4:
(19)
a
b
c
d
e
f
[Plus brillante] est l'interprétation, [plus profond] est le ravissement de l'auditeur
Plus vous prescrivez, [meilleur médecin] vous êtes
Plus on s'y prend tard, [plus de mal] on a à rattrapper son retard
[Plus longtemps] tu te reposeras, [en meilleure forme] tu seras le jour du match
[Plus longtemps] tu partiras en vacances, [de meilleure humeur] tu seras à ton retour
*Plus tu sortiras, [avec plus de gens] tu parleras
(19f) est exclu car le SP n'est pas prédicatif. Quand le SN n'est pas prédicatif, on préfère
utiliser la quantification à distance avec le comparatif nu à l'initiale:
(20)
3
a
?? Plus tu sortiras, [plus de gens] tu rencontreras
Allaire (1992) signale quelques exemples avec 'que':
(i)
% Plus que ça va, moins que ça va
(ii)
% Les sorts, plus que ça ira, plus qu'il y en aura (Le Monde du 6 oct 1974)
J'ai trouvé dans Frantext:
Colette Claudine à l'école 1900 "Elle croit que tant plus que ça se voit, tant plus que c'est beau"
R Martin du Gard 1922 Le cahier gris "Plus que t'attends, plus que c'est vexatoire"
A Mauroy 1926 Bernard Quesnay ´"Tant plus que vous nous payez, tant plus que ça renchérit!"
Dan van Raemdonck nous signale l’emploi en Belgique du tour « au plus que…au plus que ».
4
Les exemples 19a,b sont tirés du corpus collecté par Allaire 1992. 16b est le seul exemple avec SN initial
dans le corpus, qui ne contient aucun SP initial.
6
b
Plus tu sortiras, plus tu rencontreras de gens
Cette quantification à distance existe aussi en français, en dehors des CC, avec l'interrogation
en "combien", étudiée par Obenauer (1983):
(21)
a
b
Combien d'argent avez-vous ?
Combien avez-vous d'argent ?
Tout se passe comme si en français, l’adverbe comparatif initial devait avoir portée sur toute
la proposition, ce qui ne peut se faire que de deux façons : soit il n’est pas enchâssé, soit il est
enchâssé dans un constituant qui partage justement son contenu prédicatif avec toute la
proposition.
De façon intéressante, on observe en français les mêmes effets d'intervention dans les CC que
dans les interrogatives avec combien à distance observés par Obenauer (1983): pas de
négation, pas d'adverbes de quantification (souvent), pas de verbes factifs (regretter):
(22)
a
b
c
d
[Combien d'argent] n'as-tu pas ?
* Combien n'as-tu pas d'argent ?
[Combien d'argent] as-tu souvent eu ?
?? Combien as-tu souvent eu d'argent ?
(23)
a
b
* Plus on n'a pas d'argent, moins on est heureux
?? Plus on a souvent d'argent, plus on est heureux
La quantification à distance a moins été observée avec les adjectifs et les participes, mais elle
existe dans les tours attributifs (24a,b). C'est pourquoi il n'est pas surprenant qu'on la retrouve
aussi ici (24c)
(24)
a
b
c
Paul a été [trop absent] à l'école
Paul a trop été absent à l'école
Plus l'interprétation est brillante, plus le ravissement de l'auditeur est profond
On voit donc qu’en français comme en anglais, les propositions comparatives exploitent la
syntaxe plus générale des phrases à extraction, avec une condition supplémentaire sur leur
élément initial.
3. L'assymétrie syntaxique des CC
Nous commencerons par étudier le cas anglais, en nous basant sur Borsley (2004). Quand le
contexte impose le subjonctif, c’est le verbe de la seconde proposition qui est concerné, et pas
celui de la première (cf Culicover et Jackendoff 1999):
(25)
a
b
c
It is imperative that the more John eats/*eat, the more he pay
I demand that the more John eats, the more he pay
* I demand that the more John eat, the more he pays
De plus, l’inversion sujet-auxiliaire est possible dans la seconde proposition mais pas dans la
première: (26a) est grammatical mais pas (26b).
7
(26)
a.
b.
?The more Bill smokes, the more does Susan hate him.
*The more does Bill smoke, the more Susan hates him.
L'inversion étant normalement réservée aux phrases non subordonnées, il est clair que c'est là
un argument en faveur d'une analyse de la seconde proposition comme principale.
Le seul véritable argument de Culicover et Jackendoff contre la subordination syntaxique est le
fait que l’ordre des deux propositions est fixe (pour une interprétation donnée). Mais, comme
ils le notent eux-mêmes, on a la même rigidité dans les constructions conditionnelles en if-then
comme le montrent les exemples (27):
(27)
a.
b.
If I read more, then I understand more.
*Then I understand more if I read more.
Nous proposons donc que la construction CC en anglais est un cas de subordination
syntaxique et sémantique.
On peut étendre cette analyse à un autre cas de construction corrélative, dite cc « inverse », où
seule la seconde proposition est introduite par the+ comparatif, la première devant
simplement inclure un terme comparatif (cf 28a,b, et McCawley 1988). Dans ce cas, c'est la
première proposition qui est la tête sémantique, (28a) signifiant: If I read more, I understand
more. Comme l'a montré Borsley (2004) dans ce cas c'est aussi la première proposition qui est
la tête syntaxique, puisque elle seule permet l'inversion du sujet (28c,d):
(28)
a
b
c
d
I understand more, the more I read
My grades improve, the more I work
Do you understand more, the more you read ?
* You understand more, the more do you read ?
En français, la construction CC semble plus proche d’une construction coordonnée car elle
peut inclure la conjonction “et” (cf 29a). Les contraintes de symétrie sont plus fortes car
l’inversion du sujet clitique est possible dans les deux propositions (cf 29b):
(29)
a
b
c
d
Plus il court (et) plus il est fatigué
(Paul a peu de temps). Aussi plus vite commencera-t-il, plus vite aura-t-il fini
?? Aussi plus vite il commencera, plus vite aura-t-il fini
* Aussi, plus vite commencera-t-il, plus vite il aura fini.
L'inversion clitique dans la première clause n'est autorisée que si elle a lieu aussi dans la
seconde. En français, l'inversion clitique est interdite dans les subordonnées (30a,b), sauf pour
certaines conditionnelles initiales, où elle est autorisée (30c):
(30)
a
b
c
* Je me demande qui verra-t-il
*Je pense que peut-être viendra-t-il
Viendrait-il, tu serais content
Les jugements sont délicats en cas d’extraction, mais il est clair que les phrases où l'on extrait
hors de chaque proposition (31a) sont toujours jugées meilleures que celle où l'on extrait hors
d'une seule:
8
(31)
a
b
c
C’est un auteur que plus on lit, plus on apprécie
*C’est un auteur que plus on lit ses livres, plus on apprécie
*C’est un auteur que plus on lit, plus on aimerait le connaître
Si l’on regarde maintenant les contextes imposant le subjonctif, on constate une répartition
différente des jugements selon les locuteurs. Certains locuteurs, que l’on appellera locuteurs
A, préfèrent avoir le même mode dans les deux propositions, avec ou sans « et » :
(32)
a
b
c
d
* Le ministre voudrait que moins on ait de chances au départ (et) plus on peut avoir d’aides
* Le ministre voudrait que moins on a de chances au départ, plus on puisse avoir d’aides
* Le ministre voudrait que moins on a de chances au départ et plus on puisse avoir d’aides
Le ministre voudrait que moins on ait de chances au départ (et) plus on puisse avoir d'aides
D’autres locuteurs, appellons-les locuteurs B, n’acceptent que l’indicatif dans la première phrase, mêm si
la seconde commence par « et » :5
(33)
a
b
c
d
* Il faudrait que moins on ait de chances au départ (et) plus on peut avoir d’aides
Il faudrait que moins on a de chances au départ, plus on puisse avoir d’aides
(?) Il faudrait que moins on a de chances au départ et plus on puisse avoir d’aides
?? Il faudrait que moins on ait de chances au départ (et) plus on puisse avoir d'aides
On peut donc penser que les locuteurs A analysent les CC comme des constructions
coordonnées, tandis que les locuteurs B ont une analyse assymétrique de type Ajout-Tête,
comme en anglais, avec des contraintes de symétrie sur l’extraction et l’inversion clitique.6
C’est-à-dire que ces derniers analysent la première proposition comme un Ajout syntaxique,
qui n’a pas toutes les propriétés d’une subordonnée.
Revenons aux locuteurs A. Il est clair que la construction CC n’a pas toutes les propriétés d’une
construction coordonnée. En effet, comme noté par (Savelli 1995), on ne peut avoir de réduction
(gapping) dans le second membre, contrairement à ce qui se passe dans les constructions
coordonnées:7
(34)
5
a
b
c
Jean court beaucoup et Marie aussi
*Plus Jean court, plus Marie aussi
* Plus Jean court et plus Marie aussi
J'ai trouvé l'exemple assymétrique suivant (Frantext):
J-B Say 1832 Traité d'Economie politique livre 2 Distribution des richesses ´"Les exceptions confirment la loi
générale et permanente qui veut que plus les capitaux disponibles sont abondants en proportion de l'étendue des
emplois, et plus on voie baisser l'intérêt des capitaux prêtés"
6
Pour quelques locuteurs qui acceptent 32b et pas 32c, on dira qu’ils empruntent aux deux systèmes.
7
On peut avoir comme en anglais (Culicover et Jackendoff 1999), une omission de la copule, mais dans ce cas
"et" est difficile (avec la même interprétation):
The more intelligent the students (are), the better the grades (are).
Plus rapide sera l'ascension, plus dure (sera) la chute
?? Plus rapide sera l'ascension, et plus dure la chute
9
D’autre part, à la différence des constructions coordonnées, on ne peut pas répéter ‘que’ en
cas d’enchâssement, mais cette non répétition est aussi observée dans des cas de coordination
à conjonction double de type soit soit :
(35)
a
b
c
C’est un auteur qu’on lit beaucoup et *(qu’) on apprécie autant
C’est un auteur que plus on lit (et) (*que) plus on apprécie
C’est un auteur que soit on aime, soit on déteste
Une dernière propriété qui distingue les CC avec 'et' des constructions coordonnées est la
possibilité d'avoir des sujets coréférents avec le pronom dans la première phrase mais là aussi
la contrainte ne semble pas s’appliquer à l’ensemble des constructions coordonnées:8
(36)
a
b
c
d
?? Il avance en âge et Pierre devient hargneux
Plus il avance en âge et plus Pierre devient hargneux
Il est arrivé depuis 3 jours et Pierre ne nous a pas téléphoné !
Soit il vient tout de suite, soit Pierre aura de graves ennuis.
Nous pensons donc que les CC en français ont deux analyses syntaxiques : soit comme
constructions coordonnées (avec "et" optionnel), soit comme constructions Ajout-Tête (plus
proches en cela de l’anglais et de leur structure sémantique) avec deux particularités:
(i) la seconde proposition est une Tête qui peut commencer par “et” (comme c’était le cas
après certaines conditionnelles en Ancien français, cf Rebuschi 2002),
(ii) la première proposition est une Non-Tête qui n’a pas toutes les propriétés d’une
subordonnée (puisque l'inversion clitique semble possible).
En résumé, on a donc pour l' anglais deux constructions possibles :
- une construction corrélative assymétrique Ajout-Tête (The more I read, the more I understand)
- une construction Tête-Ajout ordinaire (I understand more, the more I read)
Les propositions avec"the + comparatif" initial sont donc des principales (Tête) ou des
subordonnées (Ajout)
anglais
inversion sujet
subjonctif
extraction
exemples
Ajout
non
non
oui
Tête
oui
oui
oui
Tête
oui
oui
oui
Ajout
non
non
non
The more I read,
If I read more,
the more I understand
then I understand more
I understand more, the more I read
I understand more, if I read more
En français, on a une seule construction mais avec deux analyses possibles, selon les locuteurs:
- une construction corrélative Coordonnée (Locuteurs A), avec conjonction "et" optionnelle
- une construction corrélative Ajout-Tête (Locuteurs B), avec des contraintes de parallélisme
(pour l'extraction et l'inversion clitique)
français
inversion clitique
8
Ajout
oui
Tête (Locuteurs A)
oui
COORD
oui
COORD (Locuteurs B)
oui
L’exemple 34b nous a été communiqué par C Blanche Benveniste. 36c vient de Zribi Hertz, 1996.
10
subjonctif
extraction
exemples
non
non
oui
non
oui
non
oui
non
Plus je lis,
Si je lis plus,
(et) plus je comprends.
alors je comprends plus.
Plus je lis,
Je lis plus,
(et) plus je comprends
et je comprends plus
4. Analyse en HPSG
Nous proposons une analyse détaillée en HPSG (cf Pollard and Sag 1994) des CC dans
les deux langues. Nous utilisons une approche par classification croisée des clauses qui
héritent à la fois d'un type de syntagme et d'un type de construction (qui est une association
entre structure et interprétation) (Ginzburg et Sag 2000). Nous définissons un type de
construction binaire que nous appelons le type comparative-correlative-clause. En anglais, une
des clauses est une Tête, et l’autre une Non-Tête, c'est-à-dire un Ajout syntaxique. En
français, pour certains locuteurs, il s’agit d’une construction coordonnée (avec « et »
optionnel »), tandis que pour les autres, il s’agit d’une construction Tête-Ajout avec « et »
possible dans la phrase Tête et des contraintes de symétrie assurées par le partage des traits
SLASH (pour l’extraction) et MAIN (pour l’inversion du sujet clitique) entre les deux clauses.
4.1 Chaque phrase comprend une extraction
Concernant la structure interne de chaque clause, nous analysons le syntagme initial
comme extrait dans les deux langues (cf section 2 supra). Dans les deux langues, le syntagme
extrait (ou filler) doit commencer par un élément spécial, the et un comparatif en anglais, un
comparatif en français. Nous utilisons un trait de lisière (CORREL) à cet effet. Les éléments
qui nous intéressent ont une valeur spécifiée pour ce trait (the en anglais ; plus en français), les
autres éléments sont [CORREL none/rien].
Les traits de lisière (BORD, ou EDGE en anglais) se transmettent de la façon suivante, avec
une contrainte par défaut (notée « /») qui empêche des syntagmes corrélatifs d’apparaître
n’importe où :
È
˘
È
˘
Í SYNSEM!BORD!!Î GAUCHE! 1 ,DROITE!! 2 ˚
˙
(37)a syntagme => Í
˙
Î BRANCHES<[SYNSEM!BORD!GAUCHE! 1 ],…,[SYNSEM!BORD!DROITE! 2 ]> ˚
b signe => [CORREL / none]
En anglais, on définit une entrée spécifique pour ‘the’ comparatif, analysé comme spécifieur
du comparatif (cf Borsley 2004):
(38)
the (article)
È SPEC <N>
˘
Î GAUCHE [CORREL none] ˚
the (corrélatif)
È SPEC <[COMPAR +]> ˘
ÎGAUCHE [CORREL the] ˚
En français, on considère que les mots comparatifs ont deux sous-types lexicaux : motcompar-basic et mot-compar-correlatif. Les premiers peuvent prendre un complément en que
Phrase (meilleur que Paul), pas les seconds ; les seconds sont ceux qui apparaissent à l’initial
des CC :
(39)
plus (basic) :
meilleur (basic)
11
È POIDS!léger
˘
Í COMPS!<(CP)>
˙
Î GAUCHE![CORREL!rien] ˚
plus (corrélatif) :
È TETE Adv
Í SPR<>
Í COMPS<>
Î GAUCHE!CORREL!plus
˘
˙
˙
˚
È TETE!A
˘
Í COMPS!<(CP)>
˙
Î GAUCHE![CORREL!rien] ˚
meilleur (corrélatif)
È TETE!A
Í SPR<>
Í COMPS!<>
Î GAUCHE![CORREL!plus]
˘
˙
˙
˚
Pour prendre en compte les rares cas où le filler commence en français par une préposition
initiale (cf 19d,e), nous considérons que ces prépositions prédicatives peuvent être
lexicalement marquées comme partageant le trait CORREL de leur complément.
Quand on parle d'extraction, cela signifie que l'élément extrait est partiellement identifié à un
complément (ou à un dépendant) d'un prédicat enchâssé. Cela ne signifie pas qu'il pourrait
forcément apparaître in situ sous la même forme, ce qui n'est pas le cas ici:
(40)
a
b
c
d
* I understand [the more]
Plus on est peu, plus on doit bien s'entendre
* On est plus peu
?? On doit plus bien s'entendre
Les comparatifs introduits par 'the' sont exclus ailleurs qu'à l'initiale en anglais. Comme l'ont
montré Cappeau et Savelli (1995), les phrases en 'plus' à l'initiale n'ont pas forcément de
correspondant avec 'plus' postverbal : en (40b), l'adverbe peu est incompatible avec un 'plus'
postverbal, de même que l'adverbe bien (pusique la séquence plus bien doit être remplacée par
la forme syncrétique mieux). Ce qui les a conduits à proposer qu'il s'agit d'un item lexical ('plus
corrélatif'), distinct du plus comparatif ordinaire. Il est clair que le 'plus' initial en (40b),
contrairement au plus comparatif postverbal, ne porte pas strictement sur l'adverbe (peu ou
bien), mais quantifie sur toute la situation (si dans une situation s1 on est moins nombreux
que dans une situation s2, alors on doit mieux s'entendre en s1 qu'en s2).
Afin d'empêcher les comparatifs corrélatifs d'apparaître en dehors des clauses qui nous
intéressent, on a la contrainte suivante, par défaut (pour les deux langues):
(41)
signe => [GAUCHE [CORREL / none]]
4.2 Chaque langue définit des sous-types de proposition
Comme il est d'usage depuis l'étude des relatives anglaises proposée par Sag 1997,
nous considérons que les propositions héritent d'un type de syntagme et d'un type de clause.
Le type de syntagme dont héritent les phrases CC est le syntagme tête-filler utilisé pour les
constructions à extraction et qu'on définit comme suit, le trait Non local SLASH ayant pour
valeur la liste des syntagmes extraits:9
9
B-TETE signifie Branche-Tête, et B-FILLER Branche Filler (c'est-à-dire les constituants immédiats =
Daughter en anglais)
12
(42)
syntagme tête-filler =>
ÈÍSLASH WÈTETE verbal ˘ ˘˙
Í
˙
syntagme-avec-tête & ÍB-TETE Î SLASH 1 U W ˚ ˙
ÎB-FILLER [LOCAL 1 ]
˚
Les phrases qui apparaissent dans les CC sont marquées par un trait CORREL, qui les
empêche d'apparaître seules, ou combinées avec n'importe quelle phrase. Nous supposons que
le trait CORREL vaut the en anglais et plus en français. Il pourra être utilisé avec d'autres
valeurs pour d'autres constructions corrélatives.
En anglais, pour la première clause de la phrase (1), on a donc la structure simplifiée suivante:
S[GAUCHE CORREL the]
[1]QP
[GAUCHE CORREL the]
S
[SLASH {[1]}]
Deg
Q
[GAUCHE CORREL the]
the
more
NP
VP
[SLASH {[1]]
I
read
Si l'on compare nos clauses avec les syntagmes-tête-filler ordinaires, on observe deux
différences:
- elles ne peuvent être qu'à un mode fini (indicatif ou subjonctif),
- en anglais, le filler peut être suivi du complémenteur 'that', tandis que les syntagmes avec
filler ont généralement une tête verbale.
(43)
a
b
c
d
I expect that the more I work, the more I get retributed
*I expect the more working, the more being retributed
Je rêve que plus on travaille, plus on soit reconnu
* Je rêve de plus travailler, plus être reconnu
(44)
a
b
I know [who you saw]
* I know [who that you saw]
On définit donc des types de clause spécifiques pour nos constructions, qui héritent la plupart
de leurs propriétés de types plus généraux existant dans la grammaire, et qui ont aussi leurs
propres contraintes:
(45)
a
b
clause => [TETE verbal,SUBJ liste(ss-non canonique),COMPS <> ]
È
fini, (MODIF S])] ˘
the-clause => clause & ÎTETE[MODE
˚
GAUCHE CORREL the
c
plus-clause => clause & [TETE[verbe,MODE fini], GAUCHE CORREL plus ]
Si l'on suppose, avec Sag 1997, que le complémenteur est une tête syntaxique et une catégorie
qui partage un certain nombre de traits avec le verbe (par exemple le trait MODE), on définit
une catégorie [verbal] qui les subsume tous deux. On dira que la clause de type the-clause en
13
anglais a une tête de catégorie [verbal] tandis que la clause correspondante (de type plusclause) en français a une tête de catégorie [verbe]:10
CATEGORIE
verbal
/
\
comp verbe
En anglais, on peut distinguer un sous-type de syntagmes tête-filler: le type syntagmetête-filler ordinaire qui a forcément pour Tête un verbe (cf Borsley 2004):
(46) anglais
syntagme-tête-filler-ordinaire => [TETE verbe]
Les clauses qui nous intéressent sont donc des syntagme de type tête-filler, ou coordonné.
(47)
a
b
the-cl => synt-tête-filler ou synt-coord
plus-cl => synt-tête-filler ou synt-coord ou synt-tête-cplt
En effet, on peut noter que chaque phrase peut être elle-même coordonnée, comme dans les
exemples suivants (extraits du corpus d'Allaire 1992):
(48) a
Plus je recule et mieux je me souviens, et plus je sais ce qu'il contient (E Wiesel,
le serment de Kolvillag)
b
Plus une motion de censure est concise et plus elle laisse de détails dans
l'ombre, plus elle est assurée de recueillir des suffrages (Le Monde 3 mars 1974)
c
Plus la métropole subventionne les Antilles, moins les Antilles produisent de
biens et plus elles en achètent en métropole (Le Monde dec 1974)
d
Plus les centrales sont nombreuses, moins elles sont coûteuses et plus elles
pourront être compétitives (le Monde 7 juin 1974)
En (48a,b) c'est la première clause qui est coordonnée, en (48c,d) c'est la seconde.
Sachant qu'on définit en HPSG un type spécial de syntagme-sans-tête pour les constructions
coordonnées, les deux phrases peuvent être de type syntagme-coordonné. On peut reprendre
la description suivante (simplifiée) pour les syntagmes coordonnés (Abeillé 2003):
(49)
a syntagme-Coordonné => ÈÎ CONJ!nil,BRANCHES!liste([CONJ!nil])!+!liste!([CONJ! 0 ≠nil]) ˘˚
È
È
˘
Í SYNSEM!Î T E T E ! ! ! 1 ,SLASH!! 2 ,CORREL! 3 ˚
b syntagme-Coordonné => syntagme-sans-tête & Í
Î BRANCHES!liste([TETE! 1 ,SLASH! 2 ,!CORREL! 3 ])
Les syntagmes coordonnés ont des constituants immédiats (Branches) marqués par le trait
CONJ s'ils commencent par une conjonction. Ils peuvent comprendre un nombre quelconque
10
Nous ignorons ici l'omission de la copule, et les CC sans verbe du type:
The more cops, the less crimes
Plus d'amis, plus de joie
˘
˙
˙
˚
14
de constituants, mais ceux qui comporte(nt) une conjonction, c'est-à-dire marqués [CONJ ≠
nil], sont en dernier (et comportent la même conjonction).
(50)
a
b
Paul viendra, Marie partira et Bob sera content.
Paul et Jean et Marie
Le syntagme coordonné lui-même est toujours [CONJ nil], ce qui lui permet d'apparaître dans
les mêmes environnements que les syntagmes sans conjonction. A la description simplifiée de
(49a) doivent s'ajouter toutes les contraintes sur le partage des traits entre les conjoints, et des
conjoints avec le syntagme coordonné lui-même. Pour les clauses qui nous intéressent, il faut
simplement admettre que le trait CORREL est un trait distributif, comme les traits TETE et
SLASH, c'est-à-dire qu'il est partagé entre les conjoints, et qu'il se propage à l'ensemble de la
coordination (49b).
Si l'on suit l'analyse des conjonctions comme têtes syntaxiques "faibles" proposée par Abeillé
2003, on analyse une phrase introduite par 'et' comme un cas (particulier) de syntagme têtecomplément. Cette analyse est indépendante de l'interprétation associée à la conjonction, qui
peut être une véritable coordination, ou une simple marque discursive d'emphase. En tant que
tête "faible", la conjonction "et" hérité des traits syntaxiques de son "complément", et en
particulier du trait CORREL:
Entrée lexicale pour ET
ÈCONJ!!!et
˘
T
E
T
E
!
!
!
1
Í
˙
ÍCOMPS!<[TETE! 1 ,GAUCHE![CORREL! 2 ]]> ˙
ÎGAUCHE![CORREL! 2 ]
˚
La clause introduite par "et" est marquée [CONJ et] comme tout syntagme conjoint. On a
donc la représentation suivante pour la seconde clause de (4a), où "et" est la tête :
S[GAUCHE CORREL plus, CONJ et]
[CORREL plus]
[2]AdP
S[CORREL plus, CONJ nil]
S[SLASH [2]]
[GAUCHE CORREL plus]
et
plus
je comprends
Nous allons maintenant examiner comment se fait la combinaison entre les deux clauses
dans les constructions CC.
4.3. Chaque langue définit une (ou plusieurs) construction(s) CC
Nous proposons les classifications suivantes, pour les deux langues, pour l'ensemble des
constructions:
15
français
clause
decl-cl
cc-cl
anglais
syntagme
clause
synt-coord tête-ajout
Plus je lis (et) plus je comprends
locuteurs-A
Plus je lis (et) plus je comprends
locuteurs-B
decl-cl
cc-cl
syntagme
tête-cplt tête-ajout
the more I read, the more I understand
I understand more, the more I read
Dans les deux langues, la notion de construction, nous permet de prendre en compte les
aspects non compositionnels des CC, notamment le fait que l'ensemble puisse apparaître de
façon indépendante, tandis que chaque clause ne le peut pas. En anglais, les cc-clause sont des
structures binaires, de type tête-ajout:
(51)
È
[SYNSEM [1]] ˘
syntagme-tête-ajout => ÎB-TETE
B-AJOUT [MODIF [1] ˚
En anglais, deux cas se présentent (52), mais on n'a pas besoin de définir deux sous-types de
constructions : si l'on considère qu'une the-cl a un trait MODIF optionnel (cf 45b) qui lui
permet d'être Ajout à une clause contenant un comparatif (pas forcément à l'initiale), la cc
« inverse » (cf exemples 28 supra) est un sous-type ordinaire de syntagme tête-ajout. On
n'utilise le type cc-clause que lorsque les deux clauses sont des the-cl. (c'est-à-dire deux clauses
[CORREL the] avec la seconde comme la Tête). Le cas 'inversé' est simplement un cas de
decl-cl (declarative clause).
(52) deux cas (anglais)
cc-clause:
The more we read, the more we understand
decl-clause:
We understand more, the more we read.
Dans le premier cas, les deux clauses sont de type the-cl (CORREL the) et la première
est un ajout syntaxique à la seconde; dans le second cas, seule la seconde est de type the-cl
([CORREL the]), la première devant simplement inclure un terme comparatif. Dans ce cas,
comme on l'a vu supra, c'est la première proposition qui est la tête syntaxique.
(53)
anglais: cc-clause => clause & syntagme-tête-ajout & [BRANCHES liste( the-cl)]
cc-clause => BRANCHE-AJOUT précède BRANCHE-TETE
En français, nous avons une seule construction, mais deux analyses possibles, selon les
locuteurs. Pour les locuteurs A, la construction cc-clause est un sous-type de construction
coordonnée, qui a simplement la propriété d'avoir un "et" optionnel, et il n'y a rien à dire de
plus sur les contraintes de parallélisme syntaxique. Pour les locuteurs B, il s'agit d'une
construction tête-ajout exceptionnelle, avec des contraintes de parallélisme syntaxique, en
particulier sur le trait SLASH et sur le trait MAIN, pour l'inversion clitique:
16
(54)
français
locuteurs A:
locuteurs B:
cc-clause => clause & BRANCHES liste(plus-cl)
cc-clause => syntagme-coord & BRANCHES <[CONJ nil],[CONJ et/nil]>
cc-clause => syntagme-tête-ajout
È SYNSEM!!!![CONJ!nil]
& ÍÎ BRANCHES!<[CONJ!nil,MAIN! 1 ,SLASH! 2 ],[CONJ!et/nil,MAIN! 1 ,SLASH! 2 ]>
˘˙
˚
cc-clause => BRANCHE-AJOUT précède BRANCHE-TETE
Un autre trait exceptionnel des cc, pour les locuteurs B, est le fait que la Tête peut être
introduite par 'et', c'est-à-dire est marquée par un trait [CONJ et] qui ne se transmet pas à la
construction tout entière, puisque celle-ci peut apparaître dans tous les environnements, en
particulier comme complétive, à la différence des phrases introduites par une conjonction qui
ne peuvent pas être enchâssées de la même façon:
(55)
a
b
Je pense que [plus on court et plus on est fatigué]
*Je pense qu' [et on est fatigué]
On a la représentation suivante pour une phrase comme (4a), analysée selon les locuteurs
comme un syntagme ajout-tête exceptionnel, ou simplement coordonné:
S[CORREL plus, CONJ nil]
S
S
[CORREL plus]
[1]AdP
[CORREL plus, CONJ et]
S[SLASH [1]] Conj
[CORREL plus]
S
[CONJ et]
[CORREL plus]
[2]AdP
S[SLASH [2]]
[CORREL plus]
Plus
je lis
et
plus
je comprends
Conclusion
La comparaison des comparatives corrélatives en français et en anglais nous montre qu'elles
sont plus proches qu'on n'aurait pu le supposer de prime abord, en ce qu'elles reposent toutes
deux sur une construction assymétrique du point de vue sémantique, la première proposition
y étant interprétée comme une conditionnelle. Elles sont proches aussi en ce qu'elles mettent
toutes les deux en jeu l'extraction d'un syntagme comparatif à l'initiale de chaque phrase. Mais
du point de vue syntaxique, en anglais, elles doivent être analysées comme assymétriques,
avec la première proposition comme un Ajout syntaxique, tandis que deux systèmes semblent
exister pour le français: certains locuteurs les analysent comme syntaxiquement coordonnées,
avec toutes les contraintes de parallélisme; tandis que d'autres les analysent comme
syntaxiquement assymétriques, avec la première comme Ajout, et une différence de mode
possible.11 On ne saurait donc (comme Den Dikken 2003) affirmer que les CC ont la même
11
Une confirmation de cette double analyse peut se trouver dans la comparaison avec d'autres langues romanes;
En italien, et en espagnol, on peut avoir le comparatif initial (piu, màs) seul ou renforcé par un adverbe (tanto,
17
syntaxe dans toutes les langues. Un examen plus minutieux conduit à distinguer, dans le cadre
du modèle HPSG, des types de constructions différents pour chaque langue, qui peuvent
hériter des propriétés syntaxiques de types plus généraux, et des contraintes différentes sur le
syntagme comparatif.
References
A. Abeillé 2003. A lexicalist and construction-based approach to coordination, S Muller (ed), Proceedings HPSG
Conference, CSLI on-line publications.
A. Abeillé, O. Bonami, D Godard, J Tseng 2004. The syntax of French de N phrases, HPSG Conference, CSLI
online publications.
A. Abeillé, 2005, Les syntagmes conjoints et leur fonction syntaxique, Langages. A paraître
S. Allaire 1982 Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs, Etude en français moderne, Thèse d'état, Rennes
I Beck 1997. On the semantics of comparative conditionals, Linguistics and Philosophy, 20, 229-232.
R. Borsley. 2004, An approach to English comparative correlatives, S. Muller (ed), Proceedings HPSG
Conference, CSLI online publications.
R. Borsley. 2004, On the periphery: comparative correlatives in Polish and English, Proceedings Formal
approaches to Slavic Linguistics, 12.
P. Capeau, Marie-José Savelli 1995, Corrélation ne vaut pas comparaison, Faits de Langue, 5.
B. de Cornulier 1988. Plus on est chauve, plus on est intelligent, in C Blanche Benveniste et al (eds),
Grammaire et histoire de la grammaire, Hommage à la mémoire de Jean Stéfanini, Publications de l'Université de
Provence. 145-156.
P. Culicover, Ray S. Jackendoff 1997, Semantic subordination despite syntactic coordination, Linguistic Inquiry.
28,195-218.
P. Culicover, Ray Jackendoff. 1999, The View from the Periphery: The English Comparative Correlative.
Linguistic Inquiry 30.543-571.
M. Den Dikken. 2003, Comparative correlative comparatively, ms CUNY
J. Ginzburg, I Sag 2000. Interrogative investigations: the syntax and semantics of English interrogative clauses,
CSLI.
J. MacCawley 1988. The comparative conditional construction in English, German and Chinese, Proceedings 14th
Meeting of BLS, 176-187.
J-M. Marandin. 1997 Dans le titre se trouve le sujet, Mémoire d'habilitation, Université Paris 7
Obenauer, H-G. 1983. Une quantification non-canonique : la quantification à distance, Langue française, 58, 66-88
C. Pollard, Sag Ivan 1994. Head-driven Phrase structure grammar, University of Chicago Press.
G. Rebuschi. 2001-02. ‘Coordination et subordination, I II, Bulletin de la Société de linguistique de Paris, t. 9697
J. Ross 1967. Constraints on variables in syntax, PhD thesis, MIT.
I. Sag 1997 English relative clauses constructions, Journal of linguistics, 33: 431-484
M-J. Savelli 1993. Contribution à l'analyse macro-syntaxique, les constructions siamoises du type: plus v1, plus
v2, Thèse de Doctorat, Université de Provence.
M-J. Savelli 1995, Autant le dire, quelques éléments comparatifs sur la macro syntaxe de plus/moins/autant,
Recherches sur le français parlé, 13, 67-90.
A. Zribi Hertz. 1996. L’anaphore et les pronoms, Presses du Septentrion, Lille.
quanto); mais l'insertion d'un élément coordonnant (e, y) ne peut se faire que si le comparatif est nu, ce qui
laisse à penser que la construction est assymétrique dès que le comparatif est modifié:
(i)
Più leggo (e) più capisco
(ii)
Quanto più leggo (*e) tanto più capisco
(iii)
Màs leo (y) màs entiendo
(iv)
Cuanto màs leo (*y) tanto màs entiendo
Téléchargement