Friedrich Beiderbeck, Irene Dingel, Wenchao Li

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Francia­Recensio 2016/1
Frühe Neuzeit – Revolution – Empire (1500–1815)
Friedrich Beiderbeck, Irene Dingel, Wenchao Li (Hg.), Umwelt und Weltgestaltung. Leibniz’ politisches Denken in seiner Zeit, Göttingen (Vandenhoeck & Ruprecht) 2015, 688 S., 6 Abb., 4 Diagr. (Veröffentlichungen des Instituts für Europäische Geschichte Mainz. Abteilung Abendländische Religionsgeschichte. Beiheft, 105), ISBN 978­3­525­10138­4, EUR 140,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Christophe Losfeld, Halle
Il est une évidence que Leibniz a été un personnage politique, non au sens où il se serait directement impliqué dans un gouvernement, mais au regard de son immense activité en tant que coordinateur d’entreprises scientifiques, d’archiviste, ou d’historien 1. Ces trois aspects ont fait, ces dernières années, l’objet d’un immense travail d’édition et de recherche, travail qui a peut­être occulté quelque peu la dimension proprement politique de l’œuvre de Leibniz. Force est donc de juger bienvenu l’ouvrage publié par Friedrich Beiderbeck, Irene Dingel et Wenchao Li qui, à la faveur d'un congrès qui s’est tenu en mars 2012 à Hanovre, ont entrepris de dresser un bilan de la pensée politique de Leibniz, en en montrant l’originalité. Les actes de ce congrès viennent d’être édités dans une véritable somme qu’ouvre une magistrale contribution de Friedrich Beiderbeck, dans laquelle, tout en contextualisant l’œuvre de Leibniz, il expose l’idée que ce dernier avait de sa tâche: celle d’un représentant de la République des lettres toujours soucieux du bien public, une conception qui engage donc largement sa compréhension du politique et qui sous­tend, aussi, les différentes facettes d’une action qu’il a toujours souhaitée ouverte sur la pratique.
Tout en se fondant, d’un point de vue méthodologique, sur ce que Koselleck appelait des »concepts fondamentaux« – ce qui donne au volume une incontestable cohésion – les éditeurs ont organisé les différentes contributions selon les axes suivants: »Empire et territoire«, »État et politique extérieure«, »Perception de l’altérité«, »Société, science et culture«, »Histoire, politique et dynastie« et »Droit, Église et mission«.
Cette structure n’est pas arbitraire, dans la mesure où, de façon légitime, elle met en avant l’importance primordiale de l’empire dans la réflexion de Leibniz. S’il se range, par là, dans une longue tradition juridique (Heinz Duchhardt, »Leibniz und das ›Modell‹ des römisch­deutschen Reiches«), Leibniz s’avère original en ce que l’Empire, pour lui, doit œuvrer à la stabilité en Europe (Wolfgang Burgdorf, »Securitas publica. Gottfried Wilhelm Leibniz, Reichsverfassung, Reichsreform und Politik«) ce qui implique, en retour, qu’il soit capable de se défendre. De cette conviction, Leibniz fait découler donc une réflexion sur la nécessité d’une réforme radicale de l’armée, réflexion qui, pour s’inspirer du Voir, par exemple: Gottfried Wilhelm Leibniz. Schriften und Briefe zur Geschichte, éd. par Malte­Ludolf Babin et Gerd van den Heuvel, Hanovre 2004; ou Leibniz als Sammler und Herausgeber historischer Quellen, édité par Nora Gädeke, Wiesbaden 2012 (Wolfenbütteler Forschungen, 129).
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modèle français, n’en est pas moins originale (Bernhard R. Kroener »›Fas est et ab hoste doceri‹. Gottfried Wilhelm Leibniz und das Wehrwesen seiner Zeit«). Un corps politique stable nécessitant une économie stable, il est logique, aussi, que Leibniz se soit soucié d’établir une unité économique au sein de l’empire et qu’il ait réfléchi à la possibilité d’une politique monétaire unifiée (Michael North, »Leibniz zur Münzreform«). On peut, à ce titre, regretter que l’ouvrage n’ait pas consacré une section entière aux questions de l’économie politique, un sujet pourtant important dans sa pensée, comme le suggère un article ultérieur2.
Le second grand axe selon lequel est organisé l’ouvrage tourne autour des questions de l’État et de la politique extérieure. Dans ce domaine aussi, Leibniz a joué un rôle de précurseur, comme le rappelle Heinhard Steiger quand il revient sur l’importance d’une part, du »Supremat«3, une catégorie nouvelle qu’utilise Leibniz par son »De jure suprematus« et qui lui permet d’introduire la notion de souveraineté dans l’analyse de la puissance d’un territoire et, de l’autre, celle de la »persona juris gentium«, une notion appelée à révolutionner le droit international (»Supremat – Außenpolitik und Völkerrecht bei Leibniz«). Dans le domaine de la politique extérieure, on retrouve, chez Leibniz – comment s’en étonner? – certains des principes qui fondaient sa réflexion sur l’Empire. Cela vaut, par exemple, pour la notion d’»équilibre« qui, sur le fond des tensions confessionnelles divisant Europe et en réaction à l’expansionnisme de Louis XIV, lui paraît être le garant d’une paix durable (Guido Braun, »Frieden und Gleichgewicht bei Leibniz«). Que Leibniz se préoccupe des conditions d’une telle paix tient à ce qu’il a trop conscience du caractère belliqueux de l’espèce humaine pour espérer éradiquer totalement la guerre. Ce qui l’intéresse donc, c’est de donner à cette dernière un cadre juridique strict la légitimant lorsqu’elle sert à la défense d’un pays agressé, ce qui revient, bien sûr, à condamner l’hégémonie de l’absolutisme louis­quatorzien (Claire Gantet, »Leibniz’ Sicht von Krieg und Gewalt in der Staaten­ und Völkergemeinschaft«). La pensée leibnizienne sur le droit international, cependant, dépasse de beaucoup la simple Europe, car elle engage – et c’est là un aspect que la recherche avait largement laissé dans l’ombre à ce jour – une véritable réflexion sur la globalisation économique et la géostratégie mondiale (Michael Kempe, »In 80 Texten um die Welt. Globale Geopolitik bei G. W. Leibniz«).
Eu égard à l’ouverture de Leibniz à des considérations globales, il était conséquent de se pencher sur la manière dont il perçoit les étrangers. Cinq pays sont évoqués ici: la France, d’abord à travers l’image négative – et par là différente de son regard sur la culture française – que s’en fait Leibniz, dans »Mars Christianissimus«, sur la politique de Louis XIV (Martin Wrede, »Leibniz und Frankreich – Feindbild und Vorbild«). Puis est évoquée la Chine, en laquelle Leibniz voyait moins le champ d’une mission chrétienne, mais une culture très élaborée, rendant par là souhaitable un échange culturel, un 2
Voir la contribution de Cornel Zwierlein dans la section »Gesellschaft – Wissenschaft – Kultur«.
En 2011 déjà, Friedrich Beiderbeck avait abordé cette question dans: Friedrich Beiderbeck, Pluralität der Perspektiven und Einheit der Wahrheit im Werk von G. W. Leibniz. Beiträge zu seinem philosophischen, theologischen und politischen Denken, Berlin 2011, p. 161 et suiv.
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»commerce de lumières« mis au service d’une amélioration des »conditions de vie (Wenchao Li, »Un commerce de lumière – Leibniz’ Vorstellungen von kulturellem Wissensaustausch«)4. Suivent la Pologne enfin, à laquelle Leibniz s’est beaucoup intéressé initialement – et ce peut­être pour des raisons biographiques – mais dont il se détourne par la suite, attiré davantage par la Russie (Agnieszka Pufelska, »Der wandelbare Philosoph oder warum Leibniz kein Pole sein wollte«) et la Russie, justement, que Leibniz connaissait par l’intermédiaire de son vaste réseau de correspondants partisans des Lumières – un réseau dont la constitution et la structure sont présentées ici avec toute la méticulosité souhaitable – et dont il trace une image assez positive, bien éloignée de l’idée défendue généralement qu’il aurait considéré les Russes comme des barbares (Christine Roll, »Barbaren? Tabula rasa? Wie Leibniz sein neues Wissen über Russland auf den Begriff brachte. Eine Studie über die Bedeutung der Vernetzung gelehrter Korrespondenzen für die Ermöglichung aufgeklärter Diskurse«). De manière assez peu surprenante, le discours de Leibniz sur l’empire ottoman est largement influencé par la menace que constituait, pour l’Europe, l’expansionnisme ottoman. (Andreas Bähr; »›… vor denen nur furchtsame sich zu fürchtigen haben‹. Gottfried Wilhelm Leibniz und die »Türkengefahr«). Pour convaincantes que soient les contributions de cette section, on est tenté de déplorer l’absence d’autres pays, comme l’Angleterre5, ou que les organisateurs du congrès n’aient pas invité leurs auteurs à une forme de synthèse qui aurait permis de mettre mieux en lumière le jeu entre les positions politiques adoptées par Leibniz et ses conceptions culturelles et religieuses. Mais cela tient sans doute au genre du recueil d’acte ou à celui des congrès, qui ne permet pas toujours d’éclairer toutes les facettes d’une problématique.
La section suivante »Société – science – culture« semble, à ce titre, plus cohérente. Certes, on pourrait arguer que les considérations que consacre Cornel Zwierlein à la question des assurances trouveraient peut­être meilleure place dans la section sur l’État, dans la mesure où Leibniz, qui s’avère, par là, comme le précurseur des sciences camérales, voyait dans les assurances le moyen de consolider un État (»Katastrophe und Prävention – Leibniz, Brandgefahr und Versicherung«). D’un autre côté, l’État a pour rôle de susciter une initiative privée afin que ses membres s’assurent eux­
mêmes, et il a par là une dimension pédagogique, dont les autres aspects sont évoqués dans trois autres contributions de grande qualité, comme en témoignent celle de Martin Gierl qui, au détour d’une démarche comparatiste, propose une synthèse de la compréhension du rôle qu’avaient les académies, destinées selon Leibniz à ouvrir la voie un état national moderne (»Leibniz’, Sprats und Une telle importance de la culture est d’autant plus frappante qu’elle fait passer au second plan la dimension religieuse, pourtant déterminante dans la pensée politique de Leibniz, comme le montre aussi Markus Friedrich, dans la sixième section de l’ouvrage (»Gottfried Wilhelm Leibniz und die protestantische Diskussion über Heidenmission. Zur Eigenart und historischen Stellung seines Chinainteresses im Vergleich zu Conrad Mel und der lutherischen Theologie um 1700«), où est mise en relation le regard qu’il porte sur ce pays avec ses préoccupations interconfessionnelles.
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L’image de l’Angleterre apparaît, il est vrai, au détour de la contribution de Gerd van den Heuvel, dans la section »Geschichte – Politik – Dynastie«.
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Swifts Organisation der Organisation: Akademien, Computer und der Staat«), ou encore celle de Friedrich Beiderbeck qui analyse finement le sens de la culture et de l’éducation aux yeux de Leibniz (»›Ein heller spiegel des verstandes‹. Der Kulturbegriff bei Leibniz«). À l’horizon des positions formulées dans ces deux contributions, on peut parfaitement comprendre la critique que formulait – sans être le seul à le faire – Leibniz à l’encontre des pratiques pédagogiques de son époque, critique dont Stefan Ehrenpreis retrace les grandes lignes (»Erziehung und Schulwesen bei Leibniz«). Que Leibniz se soit soucié du bien général ne l’empêche pas d’avoir servi fidèlement les intérêts de la maison de Hanovre, quitte à aboutir à une espèce de contradiction entre les principes qu’il défendait généralement et les positions qu’il adoptait ponctuellement, contradiction bien mise en lumière par Gerd van den Heuvel dans »Theorie und Praxis der Politik bei Leibniz im Kontext der Glorious Revolution und der hannoverschen Sukzession«. C’est, en outre, l’une des qualités de la section »Histoire, politique et dynastie« que de montrer les motifs chatoyants et complexes de Leibniz dans son travail d’historiographe et de publiciste au service des Welfs. Tout en travaillant pour eux, n’hésitant pas à engager des polémiques avec les défenseurs des droits d’autres dynasties (Ludolf Pelizaeus, »Argumentationslinien und Bedeutungszuweisungen in fürstlichem Auftrag. Die Positionen im Streit um die Neunte Kur zwischen Leibniz und Kulpis«) ou entreprenant d’importants voyages d’archives, par exemple en Italie, il ne perd pas de vue sa propre carrière (Matthias Schnettger, »Leibniz’ Italienbild und die Bedeutung Italiens für Geschichte und Politik des Welfenhauses«).
C’est de manière bien compréhensible que l’ouvrage consacre sa dernière section »Droit, Église et mission« aux problèmes de la religion. En effet, et même si, on l’a vu à propos de la Chine6, Leibniz privilégie parfois une autre perspective, et si d’autres motifs, comme des considérations dynastiques ou économiques influencent sa prise de partie en faveur d’une réconciliation entre les différentes branches de la chrétienté (Alexander Schunka, »Zivile Toleranz – religiöse Toleranz – Union. Leibniz zwischen protestantischer Irenik und dynastischer Politik in Hannover und Berlin«), il est généralement le représentant d’une conception chrétienne de la politique, qu’il juge à l’aune d’un droit naturel marqué par le christianisme (Peter Nitschke, »Leibniz’ Behandlung von Recht und Gerechtigkeit und die Folgen für sein politisches Denken«). Ce poids du religieux apparaît tout particulièrement dans la langue utilisée par Leibniz et les concepts auxquels il recourt (Stephan Waldhoff, »Kirche – Konfession – Sekte. Begriffsgeschichtliche Beobachtungen zu Leibniz’ Auseinandersetzung mit der konfessionellen Spaltung«).
»Umwelt und Weltgestaltung. Leibniz’ politisches Denken in seiner Zeit« est un texte de très belle facture et d’une très haute qualité scientifique, qui permet, au­delà des petites réserves émises ci­
dessus, de percevoir clairement les tenants et les aboutissants de la pensée politique de Leibniz et, par la caractérisation d’un des plus éminents représentants de son époque, de comprendre mieux cette dernière. Cet ouvrage est incontournable pour les spécialistes de Leibniz ou pour ceux qui 6
De fait, le caractère irénique de sa pensée semble valoir uniquement pour les pays chrétiens.
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aspirent à le devenir.
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