La phonétique étudie les sons produits par les locuteurs d'une langue ; or, il est facile de
démontrer, même sans recourir à des tests empiriques, que les sons émis par un enfant ou une
femme sont en règle générale d'une fréquence sonore bien plus élevée que ceux produits par un
homme. On peut même prouver, si l’équipement technique le permet, que chaque locuteur du
français a sa propre diction, sa manière de prononcer individuelle. Alors, si chacun prononce
différemment les sons, comment peut-on se comprendre ?
De ce qui vient d’être dit, nous pouvons déduire qu’il y a des phénomènes sonores qui ne
sont pas sémantiquement informatifs. Par exemple, malgré la différence de la hauteur de la voix, le
mot pain prononcé par un enfant, une femme ou un homme est compris de la même façon. La
différence en fréquence sonore n'est donc pas un trait sémantiquement pertinent. Il n’en va pas de
même pour l’opposition pain et sain ; ici il s’agit clairement de deux mots différents. Par
conséquent, il doit y avoir des traits sémantiquement informatifs actualisés par les sons [s] et [p],
respectivement. Si nous analysons la manière dont ces sons sont produits, nous pouvons nous
rendre compte immédiatement qu'en prononçant le son [s], les lèvres s’ouvrent légèrement, la
pointe de la langue touche la partie antérieure du palais et un courant d’air passe par le canal
articulatoire. Le son [p], par contre, est produit en fermant les lèvres hermétiquement et en les
ouvrant ensuite brusquement pour laisser l’air sortir du canal articulatoire. L'opposition sain et pain
nous permet de constater que les premiers sons dont ces mots se composent, ne se prononcent pas
au même lieu d'articulation.
Cherchons à analyser un autre exemple ; le mot bain est clairement différent du mot pain.
Pourtant, les sons qui différencient ces deux mots, [p] et [b], se produisent de la même façon en ce
qui concerne la position des lèvres. Il doit y avoir un autre trait qui nous permet de faire la
distinction entre les deux. Ce trait existe, effectivement. Lorsqu'on prononce [b], il est facile
d’observer qu’avant l’ouverture des lèvres, un bruit distinct est audible. Ce bruit, produit par la
vibration des cordes vocales, distingue le son [b] du son [p]. À la différence de sain et pain, les
mots pain et bain ne se différencient donc pas par leur lieu d'articulation, mais par leur mode
d'articulation. La différence entre [b], [p] et [s] est donc une différence phonologique.
En phonologie, le terme phonologique phonème est préféré à la notion phonétique de
« son ». À l’écrit, on a recours à la transcription phonologique pour montrer qu’il s’agit d’un
phonème d’une langue humaine et non pas d’une lettre de l’alphabet. La notation habituelle
représente les phonèmes entre crochets, [s], [p], [b], etc.
La différence sémantique entre pain et sain, d'une part, et entre bain et pain, de l'autre, nous
permet d'identifier trois notions de base de l'analyse phonologique :
(p.ex. sain - pain ; pain
- bain ; sain - bain) deux unités sémantiques complexes qui
se distinguent par la différence
phonique d’un seul des sons dont elles
se composent.
(p. ex. [s], [p], [b], etc.) unité minimale d’une langue humaine
ayant une valeur fonctionnelle
ou
caractéristique phonique ou
articulatoire qui permet l’identification
des phonèmes
Pour chaque phonème d’une langue, nous pouvons distinguer le lieu d’articulation, c’est-à-dire
l’endroit où il se prononce, et le mode d’articulation, la façon dont il se produit. Dans le cas du
phonème [s], le lieu d’articulation est défini par la position de la pointe de la langue par rapport au
palais ; il s’agit d’un son apico-alvéolaire. Le phonème [b], par contre, se produit grâce au contact