La façade maritime et l`interface maritime-terrestre nord

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Séminaire EMAR
3 juillet 2009
La façade maritime et l’interface maritime-terrestre
nord américaine
Jean-Paul Rodrigue
Professeur associé à l’Université Hofstra de New-York
Synthèse rédigée par Gilles Costa (SPLOTT – INRETS)
Antoine Frémont (INRETS) introduit la séance en soulignant l’important travail de
recherche de Jean-Paul Rodrigue dédié au transport maritime et dont rendent compte les
nombreux articles qu’il a publiés. Parmi ces publications, et dans le cadre de ce séminaire,
une attention particulière est portée à la façade est américaine, complétant ainsi l’étude des
grandes zones maritimes américaines de SPLOTT.
Jean-Paul Rodrigue précise que l’Université Hofstra de New-York dont il fait partie
du corps enseignant, rassemble 10 000 étudiants. Il y a une forte spécialisation de plusieurs
étudiants dans le domaine financier, domaine auquel désormais le transport maritime et
portuaire se trouve de plus en plus lié. Il entamera le contenu de son exposé dédié à l’interface
maritime-terrestre par des considérations économiques générales, avant de recentrer ses
réflexions sur des cas plus ponctuels.
L’interface maritime-portuaire concrétise l’intersection de la distribution du fret à
l’intérieur des terres avec celle des flux maritimes. Elle mobilise le transport maritime, le
transport terrestre et la logistique intermodale, tous les trois intégrés à un système de transport
au sein duquel le ferroviaire garde une place importante en Amérique du Nord. Son évolution
par étape a été initiée par l’avènement du conteneur maritime et la croissance rapide des
grands ports d’entrée sur ce continent, auxquels ont succédé la pratique du double empilage
des caisses ferroviaires puis la généralisation des terminaux pour le transport routier. Cette
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évolution est à l’origine de l’organisation à l’échelle planétaire des flux autour des platesformes commerciales que l’on observe aujourd’hui et dont les ports de Shenzhen et de
Shanghai sont les archétypes puisqu’ils totalisent à eux deux prés du quart du trafic mondial
de conteneurs maritimes et de fret aérien (double comptage à ne pas exclure).
Désormais la présence de trois « tapis roulants » témoignent de la circulation mondiale
des marchandises :
-
un premier anneau par Panama et Suez,
-
un deuxième anneau, associant liaisons maritimes et ponts terrestres, relie les côtes
du Pacifique à celles de l’Atlantique par des norias de porte-conteneurs en double
empilage.
Les espoirs dans l’avènement du réchauffement climatique permettent d’envisager un
troisième anneau maritime par les pôles !
Toutefois le déséquilibre des trafics vient contrarier cette circulation des flux : la
division internationale du travail fait que certains pays n’exportent que du vide. Des efforts
sont en cours pour rééquilibrer ces flux, mais là où le bât blesse, c’est que les solutions ne
relèvent pas toutes des opérateurs de transport. Selon J.P.R. les prochaines années seront
intéressantes, voire décisives : une accumulation ralentie de la dette américaine à l’origine de
ces déséquilibres, peut inverser la tendance sous l’effet de la crise et créer ainsi des
opportunités d’utiliser des conteneurs de 40 pieds vides pour du vrac de retour, mais en 20
pieds seulement compte tenu des limites de charges. Ces déséquilibres s’observent dans tous
les grandes ports d’entrée, aux USA comme au Mexique, notamment dans les 3 clusters de
Sud-Californie (20% des entrées américaines), de New-York/New-Jersey (12 ou 19%), des
Grands Lacs/Detroit (12%), à l’origine du succès des corridors terrestres et du drainage de
trafics par positionnement : ainsi pour la côte est, la chaîne du Saint-Laurent vers Montréal,
celle du nord vers Boston, la chaîne centrale concentrée aux deux extrémités, celle du sud
autour de Savannah. Parallèlement une dynamique d’arrière pays émerge par la présence de
seuils de répartition (divergence threshold) selon des paliers de trafic liés à l’importance des
tonnages de conteneurs transitant par les ports de la côte est (4 niveaux, du local aux plates
formes de répartition de trafic nationale).
La crise économique, dont les premiers signes se manifestent en Amérique du Nord
dès 1997-98 du fait des retombées des crises asiatique et sud-américaine, va impacter la
croissance annuelle des principaux ports de la côte est : alors que jusqu’à cette date la baisse
tendancielle de la concentration portuaire favorisait une convergence des taux, c’est la
situation inverse qui s’observe depuis du fait de l’extension des systèmes de distribution des
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marchandises vers l’intérieur que l’usage du fer rend plus performants. La récession
mondiale ne fera que renforcer cette tendance.
J.P.R. rend compte de projections pour 2015 de trafic de conteneurs qui tendent
d’intégrer cette nouvelle donne. Les difficultés d’ordre économique majeures bloquent
l’économie mondiale : selon lui, l’inflation des actifs, immobiliers pour la plus part, oriente le
système productif vers une activité virtuelle qui fait de l’outil financier le vecteur principal de
captation de la richesse permettant, en dernier ressort, de payer les importations chinoises. En
d’autres termes, la désindustrialisation de l’économie américaine à l’origine de cette bulle
financière, favorisera une consommation présente mal étayée, en contre partie d’une sous
consommation future, et une politique de surinvestissements issue de décisions malheureuses
annonciatrice de récession. Bien évidemment les conséquences d’un tel scénario dans une
économie américaine ancrée sur la consommation de biens et services ne sont pas anodines et
les opérateurs de terminaux les reçoivent de plein fouet : les ruptures de paiement se
multiplient.
J.P.R. pense que le niveau d’activité de 2007 des principaux ports ne sera à nouveau
atteint qu’en 2015.
Trois faits marquants résument la desserte actuelle de la côte est américaine :
- l’impact des importations chinoises,
- à l’origine de la congestion de la côte ouest et de celle du pont terrestre,
- le tout induisant la croissance des ports du sud-est et la redistribution des portes
d’entrée portuaires.
Une fois les calculs faits, les services de desserte devraient s’équilibrer ainsi :
-
pour la façade Est, depuis Singapour (Westbound Route) : de 75% à 60% pour
New-York,
-
pour Panama : ce sont les décisions des armateurs qui détermineront le
rééquilibrage des deux façades maritimes.
Des changements d’options ne sont pas à exclure pour ce qui est des ponts terrestres
notamment : du fait de la congestion, 50% du temps de trajet des conteneurs est du temps
d’immobilisation ce qui entraîne une forte incertitude quant aux délais et dans les choix des
modes de passage. Le choix de Panama (21 jours) réduit cette incertitude et améliore la
fiabilité, ce qui explique qu’un grand nombre de grands distributeurs aient choisi de s’installer
à Savannah. Néanmoins la solution trans-Pacifique/pont terrestre demeure la plus performante
(18 jours). Mais la massification des flux maritimes s’accommode difficilement de
l’atomisation de la distribution régionale et locale : le problème du traitement du « dernier
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mile » reste entier. Pour diluer cette massification et faire en sorte que l’arrière pays puisse la
digérer, il est indispensable de fixer des limites à la taille des navires et de faire en sorte que
les terminaux de transport assument au mieux leur fonction d’interface maritime/terrestre. La
multiplication des entrées de conteneurs de 40 pieds, qui totalisent des actifs importants pour
l’armateur, nécessite le transfert de leur contenu dans des conteneurs domestiques (53 pieds)
pour être ensuite re-insérés dans le réseau et faire en sorte que les matériels soient le plus
rapidement disponibles à l’exportation (40 pieds) ou à l’importation (53 pieds). Les
raccourcissements de délais et les économies de trésorerie que cela implique compenseraient
les coûts supplémentaires de gestion des chaînes d’approvisionnement, sachant que l’armateur
ne paiera qu’une fois que son navire a quitté le terminal de transbordement.
En Amérique du Nord, la banque route dans laquelle se trouvent certains ports
intérieurs (baisse de trafic de 25%) induit un réajustement des effets de la mondialisation. Le
transport intermodal nord américain est en changement, et désormais une gouvernance stricte
dans le contrôle des chaînes d’approvisionnement succède à la déréglementation. Les vastes
aires de marché de l’espace économique se trouvent fagocitées par un maillage de plates
formes et de portes d’entrées portuaires sur lesquels s’insèrent trois systèmes ferroviaires
(Eastern, Western, Canadian) démultipliés en un réseau de sous-systèmes en interaction. Cette
restructuration de l’espace s’accompagne d’une concentration du nombre d’opérateurs
ferroviaires (de 120 dans les années 1970, à 6 en 2007) dont les revenus d’exploitation
s’accroissent considérablement (16 M $ pour l’Union Pacific), mais dont les politiques de
développement respectives impliquent d’investir chaque année 20% de la valeur de leur
capital. Désormais ce sont les décisions privées de ces opérateurs qui statuent sur
l’implantation en grappes, par type de trafic, des ports intérieurs intermodaux et leur
connexion vers un port maritime, mais sans compromettre la concurrence (au moins 2
transporteurs terminaux par desserte). Ce type de gestion est à l’origine d’utilisations inédites
des terminaux où les portiques de manutention sont réservés au chargement des conteneurs
sur les wagons, les camions chargeant seuls leurs conteneurs par des systèmes hydrauliques
individuels. C’est une solution consommatrice d’espace mais qui a l’avantage de favoriser des
gains de temps et de reconvertir des terminaux anciens.
La massification se trouve alors déplacée vers l’intérieur des terres.
J.P.R. fournit quelques exemples :
- A Savannah de nombreux grands distributeurs récemment installés ferment. Un
promoteur immobilier est à l’initiative du complexe logistique d’origine spéculative à 100%
mais dont 75% de la zone demeurent vides. Des zones franches, hors douane, voient le jour :
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dans leur enceinte les chargeurs peuvent effectuer des tris de marchandises, en vérifier l’état,
voire en modifier la nature.
- A Kansas-City, sur l’emprise d’une ancienne base militaire, la vaste zone foncière
ainsi libérée permet l’implantation d’un centre intermodal. Les opportunités locales ne sont
pas négligées quand elles permettent d’accroître la valeur ajoutée des marchandises : par
exemple en utilisant d’anciens gisements calcaires pour y implanter des pôles de distribution à
température contrôlée ou y stocker des produits à haute valeur.
- A Montréal, les marges de arrière pays sur la côte est se trouvent remises en cause
par les ports de NY/NJ et surtout Hampton Roads.
- A Columbus Ohio, de part et d’autre de l’aéroport international, une plate-forme
logistique, Rickenbaker Global Logistics Parc, est créée conjointement par un promoteur
immobilier, un transporteur ferroviaire et un opérateur de terminal maritime, à partir de
capitaux entièrement privés.
- L’autorité du port de New York/New Jersey met en service les premières barges
conteneurisées qui longent la côte est jusqu’à Boston.
Toutefois, J.P.R. souligne que la pérennité des projets ou des réalisations se positionne
dans des scénarios expansionnistes désormais périmés : la perte attendue de prés de 10 points
de croissance remet tout en cause et oblige à reconsidérer les stratégies de développement ou
à répartir les dépenses de surcapacité logistique sur d’autres sources de revenus moins
sensibles à la conjoncture ; c’est déjà le cas dans le port de NY/NJ. Parallèlement les autorités
portuaires d’Amérique du nord s’efforcent d’étayer l’activité logistique par des programmes
de formation adaptée à l’intention de leur personnel.
L’exposé a mis en évidence l’importance du repositionnement des conteneurs vides
depuis le port jusque au-delà de son hinterland : chaque solution (régionale, inter régionale,
ou globale en regroupant ensemble tous les conteneurs) implique un rôle particulier au dépôt
de conteneurs dans la logistique du conteneur vide conditionnant la présence, ou pas, de
navettes entre le port et le dépôt.
Sauf à choisir le dépôt de conteneurs virtuel, sorte de bourse d’échange de bail ; mais
chaque armateur préfère garder la maîtrise de la gestion de ses propres conteneurs.
Questions/Réponses :
Deux questions de J.C. Raoul de l’Académie des Technologies :
-
Dans l’enceinte du port comment le trafic ferroviaire est-il géré ?
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-
Comment l’interface wagon/bateau est-elle assurée ?
Réponse :
Chaque port a sa gestion du trafic ferroviaire spécifique. A NY par exemple les
compagnies ont leur propre terminal sur les docks et autorisent leurs concurrents à y
accéder.
Les modalités du transfert des boîtes du train au navire dépendent de l’historique de
port et des emprises foncières du fer ; elles nécessitent dans la plus part des cas un
stockage intermédiaire, sauf à Montréal.
Antoine Frémont souligne que Montréal est l’exemple du transfert rapide
permettant une emprise ferroviaire réduite.
Cela signifie-t-il, demande Pierre Franc (INRETS), que contrairement à
l’Europe où il existe de trains dédiés, cela implique des trains supplémentaires ?
Réponse :
Le volume de trafic est tel que le problème ne se pose pas d’autant que les opérateurs
ferroviaires se concertent et concluent des accords. La seule difficulté est le problème
des triages étroitement liés aux stratégies de marketing. Même si on évoque la
présence d’opérateurs de terminaux ferroviaires développant des « extensive gates », il
demeure peu probable qu’un opérateur ferroviaire se porte acquéreur d’un corridor.
Patrick Niérat(INRETS) demande comment se trouvent conciliés les écarts de
longueur entre train et bateau ?
Réponse :
Il est rare de voir décharger un bateau entier sur les façades atlantiques. Si c’est le cas,
il faut alors casser le train.
Une question sur la qualité des données d’étude : le chercheur s’adresse-t-il aux
opérateurs de façon contractuelle ?
Réponse :
Ce n’est pas nécessaire depuis qu’il existe des publications de données de trafic
hebdomadaires, et par quinzaine pour les retours à vide.
A Marie Douet (CETE de Nantes) qui demande s’il existe des données postérieures à
2004, il est répondu par l’affirmative.
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Romuald Lacoste (ISEMAR) revient sur le concept de déréglementation tel
qu’il avait cours jusqu’à présent dans le transport intermodal nord américain : il
demande si cette notion est réellement transposable aux compagnies ferroviaires
européennes qui ne disposent pas des mêmes revenus stables à long terme.
Réponse :
La déréglementation dont il est fait état concerne des niveaux de trafic et des revenus
pondérés par EVP : donc des niveaux de cas différents en Europe et aux USA.
Pierre Franc questionne sur le sort des conteneurs vides : y a-t-il ré-empotage
des grands conteneurs (53’) et transfert de conteneurs vides ?
Réponse :
Il est d’abord rappelé que du fait de la crise la plus part des conteneurs vides se
trouvent en Chine. Un tiers environ des grands conteneurs seraient ré-empotés, les
deux tiers restants allant soit aux centres de distribution intérieurs soit restituées vides
selon le modèle standard de gestion ; la moitié des boîtes environ sont l’objet d’un
transbordement 40’>53’ entraînant une baisse de l’activité portuaire (problème
rencontré dans l’Alameda corridor). Pour ce type de conteneurs la décision ne relève
pas des armateurs bien qu’ils demeurent très attachés à leur propre parc.
Hervé de Tarade (CMA-CGM) précise le rôle des conteneurs de 53’ : les
transferts 40’>53’ permettent de libérer les boîtes maritimes puis de les repositionner
et de transporter plus de marchandises sur le partie terrestre. Comme la tarification
ferroviaire n’incite pas au déplacement de la marchandise, la solution privilégiée est de
sous-louer des conteneurs maritimes de 53’ pour faire du domestique sous réserve de
compatibilité de charge (2 T de ferraille). Selon lui, « le conteneur de 53’ c’est une
partie de bateau ».
Le même problème de transfert se retrouve en Europe.
Selon Jean-Claude Raoul, l’économie américaine est tenue d’utiliser ce type de
conteneur, elle n’a plus le choix face à la situation de crise actuelle.
Elisabeth Gouvernal (INRETS) rappelle que le succès de l’inter modalité aux
USA a été imputé à la généralisation de l’emploi de matériel normalisé (exemple des
palettes). Ne doit-on pas voir alors dans l’arrivée des 53’ le signe que l’inter modalité
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n’a été qu’un leurre qui, à terme, remettrait en cause la légitimité de la logistique du
conteneur ?
Antoine Frémont est plus nuancé : selon lui ce débat permet de remettre le
transport international européen à sa juste place car il demeure négligeable par rapport
au transport domestique, ce qui explique, qu’à la différence de ce qu’on observe aux
USA, ce soit la logique routière qui domine en Europe et que le problème y soit d’un
autre ordre.
Bien sûr, comme le suggère Marie Douet, on peut normaliser le 53’ pour les
liaisons maritimes, mais la décision appartiendrait aux Chinois ; par ailleurs cela
paraîtrait être une fuite en avant d’autant moins réaliste que, comme le souligne Hervé
de Tarade, les navires sont déjà construits et que l’empilage des boîtes sur un bateau a
ses limites.
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