MINORITE MUSULMANE – L`islam à l`épreuve du réel au

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Dans le journal sénégalais le Quotidien du 6 mars 2008 dans le dossier consacré au
11 ième Sommet de la Conférence islamique (OCI) à Dakar au Sénégal
MINORITE MUSULMANE – L’islam à l’épreuve du réel au Québec
«La religion appartient à l’espace public»
«Dieu n’est pas, dans aucune partie du monde, le problème de
l’humanité. C’est plutôt la construction de notre relation à Dieu, dans
l’élaboration de notre relation aux autres et aux exigences de la liberté et
de la démocratie, qui pose problème.» C’est par des compromis
historiques que les hommes peuvent transcender les barrières entre eux.
Partant des idéologies de l’interculturalisme au Québec et du
multiculturalisme au Canada, les professeurs Khadiyatoulah Fall et
Georges Vignaux, s’essaient à une synthèse des enjeux liés à
l’intégration des immigrants. Et l’islam se trouve au cœur de cette
problématique. Face à la xénophobie ambiante, aux préjugés souvent
non fondés, les auteurs en appellent à plus de rationalité et de nuance
dans l’approche des phénomènes religieux. Il est clair pour eux que
l’islam porte déjà en lui les valeurs qui permettent aux musulmans de
cultiver tolérance et démocratie dans l’espace public.
Par Momar DIENG
Une femme dont la grossesse arrive à terme se présente dans un
hôpital, accompagnée de son mari. L’homme, même préoccupé, n’en
reste pas moins «vigilante» et établit «sa» loi. Seule une femme doit
prendre en charge son épouse, au nom du principe de «séparation»
entre les sexes. Et pendant qu’une obstétricienne découvre les
mutilations sexuelles que porte la femme, le mari monte la garde afin
que seules des femmes puissent accéder à la salle d’accouchement…
La scène, vraie, se passe au Québec. Elle est rapportée par MarieAndrée Bertrand, chercheure à l’Ecole de criminologie de l’Université de
Montréal.
Loin de la caricature, cet exemple de conflit potentiel entre deux identités
cohabitantes révèle un symptôme d’une donnée complexe et nouvelle
qui s’impose au Québec d’aujourd’hui : la présence de plus en plus
importante d’une communauté d’immigrants aux origines diverses et,
surtout, inégalement intégrée. En soulevant les enjeux qui entourent
l’intégration, les universitaires Khadiyatoulah Fall et Georges Vignaux (*)
prennent le pari de mettre devant leurs responsabilités les courants
idéologiques contradictoires qui s’intéressent à la question. Leur objectif
est net : les «fantasmes» ne doivent point triompher quand bien même
l’on serait dans un pays-province confronté à un «haut niveau
d’incertitude» pour son avenir. Pour être clair, même s’il arrive, par
exemple, que les communautés Juive ou Sikh «dérangent» à partir d’un
«phénomène» lié au port de la kippa ou de l’épée, c’est essentiellement
l’islam qui est au centre du débat. D’où la problématique
fondamentale posée par les auteurs : «Comment assurer, et sous
quelles formes, la compatibilité entre identité ‘’québécoise’’ et
ethnicités.» Les Pr. Fall et Vignaux, l’un et l’autre musulman et
catholique, l’un et l’autre «Québécois» et «Français», l’un et l’autre
«noir» et « blanc» de peau, tous deux chercheurs, unissent leur
«intelligence» pour donner à la question identitaire un contenu
remarquable par son équilibre.
Autant l’islam, les musulmans et les pratiques religieuses portées par
ceux-ci ont vocation à intégrer «l’espace québécois» sur la base des
«valeurs d’ouverture (et) de tolérance», autant la laïcité, les exigences
démocratiques, le principe d’«égalité» des sexes doivent rester
intouchables en tant que «valeurs fondamentales non négociables pour
les Québécois et les Canadiens.» Un moyen salutaire de couper l’herbe
sous le pied des idéologues du «choc des ignorances», adversaires
irréductibles des «accommodements raisonnables.»
Au Québec, cette notion d’accommodement raisonnable, sorte de
compromis juridique dynamique entre la laïcité et la religion, revêt une
importance historique que Fall et Vignaux se plaisent à rappeler dans
leur ouvrage. Fraîchement adhérée à l’Eglise universelle, une vendeuse
de magasin refuse désormais de travailler le samedi, conformément aux
préceptes de sa nouvelle foi. Mais son employeur la rétrograde aussitôt
comme employée dans une sorte de contrat à durée déterminée. Une
décision qu’elle juge «discriminatoire» car «fondée sur la religion.»
Devant la loi, l’employeur est contraint de prendre des «mesures
d’accommodement en modifiant (les) horaires de travail» de l’employée.
La mesure fait jurisprudence, mais une «écrasante majorité» de
Québécois la rejettent où, à tout le moins, ne l’acceptent qu’en échange
de «limites», en particulier dans les lieux publics. L’imposition de
«normes de vie», aux plans individuel et collectif, «tant pour les hommes
que pour les femmes», serait devenue indispensable pour «protéger»
une «société» et la «culture» québécoises menacées d’«étouffement.»
Dans cette logique de «résistance» autochtone, l’islam doit trouver sa
voie, un chemin de contraintes coincé entre la préservation de l’identité
musulmane et un devoir d’intégration. Fall et Vignaux posent ici «les
vrais enjeux» qui doivent cimenter toute politique d’intégration des
minorités religieuses dans ce contexte chrétien. Si les uns et les autres
«apprennent» à «vivre au milieu de croyances multiples», font le pari de
«construire une égalité citoyenne prenant en compte les situations
interculturelles», mais en «définissant» dans l’intérêt de tous les «limites
de la tolérance vis-à-vis des différentes expressions religieuses», alors il
sera possible de «construire en définitive un Québec démocratique, et
de langue française, avec le concours de tous ceux qui l’habitent.» Le
compromis semble possible car la religion «(…) se concilie d’autant plus
à la modernité qu’elle est effectivement sortie du domaine de l’intime : la
foi demeure privée ; la pratique gagne la sphère publique et participe
justement de la modernité à travers les ‘ajustements’ qu’elle fait sur ellemême pour intégrer le social et qu’elle impose au social pour l’intégrer
en elle.» Et à l’intention de tous les extrémistes, du côté de l’identité
québécoise pure comme chez les musulmans, Khadiyatoulah Fall et
Georges Vignaux rappellent qu’«on ne crée pas les conditions d’un
dialogue ouvert s’il est posé au départ que la morale publique, la culture
commune publique est déjà inscrite comme nature, comme fondement
de l’essence d’un des groupes.»
Puisant dans la Charia islamique, les auteurs dévoilent leur ambition :
mettre «l’islam à l’épreuve de l’histoire, du réel et du bien-être» de
l’Homme. Pour cela, le chemin paraît balisé eu égard à «la capacité de
capture de l’intersocialisation et de l’universel» dont justement l’islam et
les autres confessions présentes au Québec sont fatalement porteuses.
Fall et Vignaux en sont convaincus, c’est l’enfermement des principes
religieux dans un espace clos qui fait le lit de ce qu’on appelle
l’extrémisme, avec le «risque» que la religion «ne parle qu’à elle-même
et à ceux qui sont déjà convaincus.» Avec courage, lucidité et réalisme,
ils prennent le contre-pied du principe de sécularisation qui privatise la
foi, notamment en milieux intellectuels. «La religion, pensée dans sa
relation avec le bien commun et le vivre ensemble, appartient à l’espace
public.» L’islam doit intégrer «l’espace de tolérance» dans cette
fourmilière linguistique, identitaire, religieuse, qu’est le Québec
d’aujourd’hui. Khadiyatoulah Fall et Georges Vignaux proposent donc la
mise en pratique du concept de «Arrouhsatou» en tant que «théorisation
des modulations, ajustements que peut subir la pratique de l’islam dans
un contexte où cette religion est minoritaire ou dans des moments où la
pratique des recommandations strictes devient difficile à soutenir.» Ceci
n’est point un appel à transgression ni un exercice de «fuite devant les
obligations et les devoirs» du musulman du Québec, soulignent les
auteurs. Cette dérogation qu’est «l’arrouhsatou» est au contraire autant
«une réponse pragmatique de l’islam à son insertion au réel des
humains» qu’une preuve de «sa capacité d’adaptation aux situations où
sa réception et son intégration peuvent poser des problèmes.» Deux
sources sont convoquées pour rendre la démonstration crédible. Le
Coran, d’abord, où Dieu dit dans la sourate «Les vaches» : «Je veux
vous faciliter les choses et non vous contraindre.» Ensuite, un hadith où
le Prophète (Psl) donne ce conseil : «Allah adore que les fidèles profitent
d’une dérogation autant qu’Il déteste qu’ils transgressent Ses lois.» Fall
et Vignaux ouvrent le débat à ce sujet car «si les piliers (de la foi)
peuvent être objets de dérogation, sans altérer la foi, on peut
comprendre que voile, polygamie, salles de prières en milieu de travail,
soins médicaux, piscine…puissent l’être tout autant, sinon plus.»
Mais au-dessus d’un débat «saturé» par un «prêt à penser» volontariste,
plane un enjeu fondamental relevé par les auteurs. L’islam, tel qu’il est
présenté dans les médias, tel qu’il est présent dans les esprits, serait la
religion de la stagnation, de l’intolérance et de la régressivité, incapable
de «s’asseoir à la table des valeurs universelles.» Pour mettre des points
sur quelques «i» insupportables, les auteurs se réfèrent à la lucidité de
Georges Leroux. «(…) La plupart des contempteurs de la pensée
islamique (…) oublient deux choses : premièrement, la pensée
occidentale ne serait pas ce qu’elle est si elle n’avait pas reçu l’héritage
scientifique et rationnelle de l’islam. Mais il faut aussi insister sur un
autre fait : le déclin moderne de la pensée arabe et sa réappropriation
dans des mouvements autoritaires comme le Wahhabisme (saoudien)
résultent en grande partie du refus occidental d’intégrer l’islam dans son
concept de civilisation.» Et depuis le 11 septembre 2001, les «procès
d’intention» sont allés de mal en pis, provoquant une cristallisation «qui
ne peut (au mieux) que fixer les crises au lieu d’aider à les résoudre.»
Pour contrer cette tendance «islamophobe» et «intolérante», le principe
de «l’arrouhsatou» est considéré comme «outil de négociation»,
«principe démocratique» et «argument», preuves que l’islam «possède
les outils conceptuels qui lui permettent d’être un allié responsable dans
la recherche partagée de ‘compromis raisonnables’.»
Mais en amont, il y a nécessité que soient neutralisés deux facteurs de
trouble : les fondamentalismes et leur prosélytisme, d’une part, et d’autre
part les stigmatisations injustes dont les musulmans sont victimes. Au
Québec, «il y a un islam et des musulmans capables de bâtir (une)
alliance des religions et des cultures au bénéfice de la démocratie.»
Ceux que Fall et Vignaux appellent les «musulmans du dialogue.»
Pour autant, est-il raisonnable, dans un environnement où la loi et les
textes constitutionnels garantissent les libertés de conscience et de
culte, ainsi que le droit à l’expression démocratique et publique de sa foi,
que des musulmans devenus citoyens à part entière s’obligent à recourir
en permanence aux dérogations permises par leur religion ? Le port du
voile doit-il être tributaire des situations professionnelles vécues par les
femmes musulmanes qui le revendiquent au nom de leur foi ? Les
auteurs laissent la question ouverte aux réflexions. Le livre, lui, se veut
un hommage rendu à Bilal Ibn Rabah, premier muezzin de l’islam.
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Images de l’autre et de soi
Les accommodements raisonnables : entre préjugés et réalité
Par Khadiyatoulah Fall et Georges Vignaux
Les Presses de l’Université Laval
Kh. Fall est professeur titulaire à l’université de Québec à Chicoutimi. G. Vignaux est
chercheur au Centre national de la recherche scientifique (Cnrs) en France. Dans le
cadre de leurs recherches, ils collaborent en sémantique cognitive et discursive.
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