Business School
W O R K I N G P A P E R S E R I E S
IPAG working papers are circulated for discussion and comments only. They have not been
peer-reviewed and may not be reproduced without permission of the authors.
Working Paper
2014-304
Confrontation ou coopération avec les
pays du Sud de la Méditerranée ? Choc
ou convergence des civilisations ?
Frédéric TEULON
Linda PRINCE
Bernard TERRANY
Negar YOUSSEFIAN
http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html
IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
1
Confrontation ou coopération avec les pays du
Sud de la Méditerranée ? Choc ou convergence
des civilisations ?
Frédéric TEULON, Linda PRINCE, Bernard TERRANY, Negar YOUSSEFIAN
IPAG LAB, Ipag Business School, Paris
Résumé
Les pays musulmans du Sud de la Méditerranée représentent l’impensé de
l’Occident. Nous en sommes restés à de vieux schémas basés sur l’idée d’un choc des
civilisations, d’une arriération des pays du Sud et du caractère indissoluble de l’Islam
dans la modernité. Les révolutions récentes dans les pays arabes montrent que des
changements profonds sont à l’œuvre et que les intellectuels occidentaux ont du mal à
penser le Tiers Monde, ce qui les sépare et ce qui les rapproche.
Mot clés : Choc des civilisations, Islam, Rapports Nord/Sud
Abstract
Muslim countries of the southern Mediterranean are the unthought of the West. We
stayed in old patterns based on the idea of a clash of civilizations, an economic
backwardness of Southern countries and the indissoluble nature of Islam in
modernity. The recent revolutions in Arabic countries show that deep changes are at
work and that Western intellectuals have difficulty thinking about the Third World,
thinking what separates the countries and what brings them together.
Keywords : Clash of civilizations, Islam, North/South
Notes
- Ce papier actualise et complète un article initialement publié dans la revue Maghreb/Machrek sous le titre :
"Méditerranée : choc ou convergence des civilisations ? Quelle cohabitation entre les religions ?".
- Les opinions et analyses exprimées ici n’engagent que leurs auteurs et non les institutions auxquelles ils
appartiennent.
The views expressed are those of the individual authors and do not necessarily reflect official positions of
IPAG Business School.
2
« Je connais la dette de la civilisation envers l'islam. Ce fut l'islam - dans des endroits
comme l'université Al-Azhar - qui a porté la flamme de l'étude pendant plusieurs
siècles, montrant la voie en Europe à la Renaissance et aux Lumières. [...] La culture
musulmane nous a donné des arches majestueuses et des spirales élancées, une poésie
éternelle et une musique magnifique; une calligraphie élégante et des endroits
paisibles de contemplation. » Au travers de ce fameux "discours du Caire" prononcé
en 2009, Barack Obama insistait sur la nécessité de connaitre les autres civilisations
Pourtant les intellectuels et les responsables des pays occidentaux ont démontré qu’ils
étaient hors jeu pour penser les bouleversements à l’œuvre en Tunisie, en Egypte, en
Syrie, au Yémen ou en Libye. Obnubilés par l’islamisme, par les exhortations au
djihad et par la peur du chaos, incapables de penser une démocratie arabe ou un islam
modéré, ils n'ont pas écouté car ils ne voulaient pas entendre. Face aux révolutions
arabes, les gouvernements européens ont réagi en fonction de leurs intérêts de court
terme, au nom d'une realpolitik conservatrice, sans vision stratégique et dans une
dénégation des volontés populaires.
La difficulté à laquelle les Occidentaux sont confrontés est de penser les valeurs
démocratiques dans des cadres politiques différenciés. Comme l’a dit Olivier Mongin
dans une interview récente : « En répétant ‘mieux vaut Ben Ali que Ben Laden’ et
plutôt Moubarak que les Frères musulmans », beaucoup se sont empêtrés dans une
contradiction ; les mêmes qui défendaient les droits de l’homme en Europe de l’Est
soutenaient les dictateurs du monde arabe sous prétexte qu’ils étaient des remparts
contre l’islamisme. »
Partant de la thèse d’Huntington sur le choc des civilisations (1), nous montrerons que
les populations musulmanes ne sont pas par nature réfractaires à la modernité (2), que
l’on assiste au contraire à une convergence des civilisations (3), convergence illustrée
notamment par la situation des populations immigrées en Europe (4).
1. LE CHOC DES CIVILISATIONS ET L’ISLAM
Ces dernières décennies, deux thèses ont été fréquemment admises et présentées
comme des vérités révélées :
1/ il existe un choc des civilisations ;
2/ l’islam est réfractaire à la modernité.
3
Le politologue américain Samuel Huntington (1993 ; 1996) a mis en avant en
s’appuyant sur la description de la « civilisation arabo-islamique » par Braudel
(1987) l’idée d’un choc des civilisations, thème qui illustre notamment la difficile
cohabitation entre l’Occident et l’islam. Huntington assimilait alors le monde
islamique au-delà des sous-cultures arabe(s), turque et persane - à un bloc
monolithique hostile par nature aux valeurs occidentales. Notons que cette thèse avait
déjà été mise en avant peu de temps auparavant par Elmandjira (1991) qui a été le
premier à parler de « guerre civilisationnelle » à propos du conflit international en
Irak avec comme intention la dénonciation de l’hégémonie occidentale.
Dépourvue d’Etats puissants, divisée entre ses membres et ses factions, la civilisation
arabo-musulmane peut-elle disposer d’un poids stratégique suffisant au XXIe siècle ?
Faut-il parler d’une haine de l’Occident ? Ces questions n’ont cessé d’être débattues.
Elles se cristallisent le plus souvent sur le conflit israélo-palestinien, sur le rôle de la
rente pétrolière dans les relations interarabes et sur l’impérialisme américain. Par
ailleurs, les attentats du 11 septembre 2001 ont de fait conduit de nombreux
observateurs à faire une lecture islamophobe du thème du choc des civilisations.
L’intégrisme et l’intolérance sont alors présentés comme étant les maladies
contemporaines de l’islam (Medded, 2003).
Selon Huntington, les relations internationales se sont inscrites à la fin du XXe siècle
dans un nouveau contexte. Initialement les guerres se déroulaient entre des seigneurs
ou des princes qui voulaient étendre leur pouvoir, puis elles se sont déroulées entre
des Etats-nations, et ce jusqu’à la Première Guerre mondiale. La révolution russe a
représenté un tournant important car elle s’appuyait sur une doctrine politique. Dès
lors les causes de conflits ont cessé d’être uniquement géopolitiques, liées à la
conquête de territoires, de richesses et de pouvoir pour se centrer sur des visées
idéologiques. Cette situation a trouvé son apogée avec la Guerre froide (affrontement
de deux modèles de société). Depuis, selon Huntington, il ne faut plus penser les
conflits en termes idéologiques ou économiques, mais culturels : « Les États-nations
resteront les acteurs les plus puissants sur la scène internationale, mais les conflits
centraux de la politique globale opposeront des nations et des groupes relevant de
civilisations différentes. Le choc des civilisations dominera la politique à l'échelle
planétaire. Les lignes de fracture entre civilisations seront les lignes de front des
batailles du futur », prophétisait Huntington. Ces analyses en termes de choc des
civilisations entendaient dépasser d’autres paradigmes d’interprétation de l’après
Guerre froide :
- celui de la fin de l’histoire proposé par Francis Fukuyama (constitution d’un
seul monde caractérisé par la démocratie et par l’absence de conflits majeurs à
l’échelle mondiale) ;
4
- le paradigme du « chaos absolu » (multiplication de micro conflits
identitaires) ;
- la vision plus réaliste du maintien du rôle prédominant des Etats nations.
Aujourd’hui, ces analyses sont prises à contrepied par le brassage des populations, par
la progression de l'alphabétisation, par la convergence des modèles démographiques
et familiaux et par les révolutions politiques dans le monde arabe. Ce type de
raisonnement reposait sur des catégories issues de la Guerre froide : le totalitarisme
islamique a été analysé à l’image du totalitarisme soviétique.
Croire que les pays musulmans représentent un monde dangereux pour l'Occident,
c’est ramener des conflits entre Etats ou groupes d’Etats à un hypothétique choc
culturel entre des blocs homogènes. C'est aussi oublier :
1/ la proportion sensiblement différente de musulmans dans les divers pays de
la zone Maghreb/Machrek (Tableau 2);
2/ la complexité des situations locales, notamment religieuses propres à
chaque pays comme on a pu le constater avec la guerre civile libanaise inter et intra
confessionnelle dont les acteurs étaient les chrétiens (y compris les maronites), les
musulmans chiites, les druzes et les sunnites ;
3/ le découplage Maghreb (pays francophones) / Machrek (pays non
francophones) et le découplage républiques/monarchies ;
4/ l'histoire des XIXe et XXe siècles marquée non par le choc des religions et la
surgence des croisades de part et d’autre de la Méditerranée, mais avant tout par la
colonisation et la décolonisation (Fanon, 1961), par la lutte pour la détention du
pouvoir dans les pays du Sud, par la radicalisation des régimes après les
indépendances (ce que le leader algérien Ferhat Abbas a appelé les "indépendances
confisquées") et enfin par la longévité des régimes autoritaires ou dictatoriaux
(Bourguiba, Kadhafi…). D’une certaine façon, l’Orient est une invention de
l’Occident (Saïd, 1978) ;
5/ la persistance du schéma d’opposition autochtone/allogène fait des
immigrés de confession musulmane la nouvelle figure de « l’étranger » (Agier, 2011).
La radicalisation de certains Etats (Iran, Israël…) ne doit pas nous induire en erreur et
nous laisser penser que les imans ou les rabbins ont vocation à appeler au meurtre des
infidèles et à jouer le rôle de commissaires politiques. Aveuglées par leur mauvaise
conscience postcoloniale, trop de personnes ont cautionné un discours rétrograde et
obscurantiste. Les démagogues ont attisé les frustrations et les haines de façon à
radicaliser les réflexes communautaires.
1 / 15 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !