Le concept de care est apparu dans le champ de la réflexion morale. C’est à la suite de son enquête
sur les discours moraux des jeunes filles que Carol Gilligan a conçu la notion de care comme un
souci éthique situé, tenant compte du contexte, fondé sur la concertation, le soin et la conservation
de la relation avec autrui. Selon Gilligan, pour résoudre les conflit moraux, les hommes feraient
appel aux règles abstraites de la justice alors que les femmes feraient l’expérience de la résolution
relationnelle des conflits de responsabilité. Ainsi l’éthique du « care » mobilise la responsabilité et
les relations plutôt que les droits et les règles, elle est liée à des circonstances concrètes, elle ne
s’exprime pas par un ensemble de principes mais par sa « mise en œuvre » dans la vie quotidienne
de personnes réelles. Le « Care » donne au soin et à la sollicitude une place centrale dans
l’existence en société.
Prolongeant la réflexion de Gilligan, Joan Tronto et Berenice Fisher ont défini le care comme « une
activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre
« monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde comprend nos
corps, nous-mêmes et notre environnement, tous éléments que nous cherchons à relier en un réseau
complexe, en soutien à la vie. »1 Elles ont identifié quatre phases du care : « « se soucier de » - en
premier lieu, faire attention au besoin de care ; « prendre en charge » - assumer la responsabilité du
care ; « prendre soin » - le travail effectif qu'il est nécessaire de réaliser ; « recevoir le soin » - la
réponse de celui qui en bénéficie. De ces quatre éléments se dégagent les quatre éléments éthiques
du care : l'attention, la responsabilité, la compétence et la capacité de réponse. »2 Le care peut être
compris comme une phénoménologie du rapport de soin, d'attention, de sollicitude, de compétence,
de réciprocité entre soignants et soignés, aidants et aidés.
Avec Joan Tronto le care devient l’instrument d’une analyse politique critique révélant les relations
de pouvoir. Ainsi « les dimensions de genre, de race et de classe affectant le care sont plus subtiles
qu'il ne semble à première vue. Je pense que nous nous rapprochons de la réalité lorsque nous
disons que le « souci des autres » et la « prise en charge » sont les obligations des puissants ; il est
laissé aux moins puissants de prendre soin des autres et de recevoir le soin. »3
Le care impose de réfléchir concrètement aux besoins réels des personnes et à la manière d’y
répondre, il questionne ce que nous valorisons dans la vie quotidienne et in fine l’organisation de la
société pour répondre aux besoins. Le problème de la détermination des besoins auxquels des
réponses devraient être apportées montre que l'éthique du care n'est pas de nature individualiste
mais nécessite un consensus sur les notions de besoin (qui relève de l’intersubjectivité) et de justice
qui doivent être élaborées de manière démocratique.
Le care compris comme un concept moral et politique renouvelle la conception que nous avons de
nous, de nos relations avec les autres, de l’autonomie. Nous sommes tous interdépendants, nous
avons tous été des enfants vulnérables et nous serons tous touchés par la vulnérabilité liée au
vieillissement. « Au lieu de recourir à la fiction qui voit les citoyens égaux, la perspective du care
incite à reconnaître l’accomplissement de l’égalité comme un objectif politique ».4
1 Joan Tronto, un monde vulnérable, pour une politique du care, Editions La
Découverte, Paris, 2009, p. 143.
2 Ibid. , p. 173.
3 Ibid. , p. 158.
4 Ibid. , p. 214.