Le repas eucharistique
Le père Charles Perrot, bibliste, ancien professeur à l’Institut catholique de Paris, spécialiste du judaïsme
contemporain de Jésus, nous explique comment Jésus, et à sa suite les premiers chrétiens, ont investi
les repas culturels et cultuels de l’époque gréco-romaine et juive.
"Messe", "eucharistie", "repas du Seigneur"… On emploie tour à tour différents termes pour parler de la
"messe" : sont-ils tous équivalents ?
Au-delà de leurs accents propres, globalement, ces termes désignent une même réalité.
Le mot "messe" nous vient du latin missa, et plus spécialement de l’expression Ite missa est : "Allez, (l’office) est
envoyé". Traduite littéralement, l’expression, à partir du IV e siècle, tient lieu d’envoi à la fin des célébrations. Le
terme implique également que la rencontre avec le Seigneur doit déboucher sur le monde et l’action missionnaire.
Dérivée du grec, traduisant l’hébreu todah, l’"eucharistie" évoque la prière d’action de grâce. Au temple de
Jérusalem, avant 70, todah désigne un geste sacrificiel. Il évoque également la prière de début et de fin d’un
repas juif, qui correspondrait à notre bénédicité. Repris par les chrétiens, le terme porte l’attention sur le repas,
lieu du rappel ou de la re-actualisation du sacrifice de Jésus.
Le "repas du Seigneur" reprend l’expression de saint Paul dans 1 Co 11, 20 (littéralement, le "souper du
Seigneur"). Le mot "repas" fait référence au repas principal gréco-romain. Pris en milieu d’après-midi, autant
alimentaire que festif, ce repas représente le contexte culturel dans lequel va naître et s’ancrer le futur repas
eucharistique.
On entend parfois d’autres termes encore. La "cène", terme dérivé du latin coena et que les protestants usent
volontiers, évoque avant tout le dernier repas de Jésus. La "fraction du pain" (Ac 2,42), elle, renvoie au geste de
Jésus rompant le pain et le distribuant, geste à l’origine présent chez les juifs -mais pas chez les païens-.
Ces désignations mettent en avant l’idée de repas : un repas convivial, de famille ou de fête. La messe, au sens
générique du terme, est ainsi d’abord un repas au cours duquel est activement remémoré le sacrifice du Seigneur
sur la croix. Malgré la prégnance de cette connotation sacrificielle, l’Eglise n’a toutefois jamais employé le mot
"sacrifice" tout seul (on ne va pas au sacrifice, on va à la messe).
Le soir du jeudi saint, Jésus partage un dernier repas avec ses disciples. Il y fait des gestes très
spécifiques, repris depuis à la messe, et plus particulièrement lors de l’eucharistie. Ces gestes ont-ils une
origine particulière, Jésus les a-t-il "inventés" ?
Jésus est un Juif, appartenant au monde gréco-romain. Ses gestes s’ancrent alors dans un contexte culturel -et
cultuel-particulier. On ne peut ainsi pleinement saisir l événement de la Cène sans s’y référer.
Dans le monde gréco-romain, une pratique était largement répandue : celle des repas de groupe, qu’ils soient
professionnels, corporatifs, cultuels… On se réunissait autour d’un bœuf, sacrifié sur un autel païen, en pleine
rue, ou dans un temple idolâtre, pour célébrer une victoire, un événement joyeux (comme l’anniversaire de la
naissance d’un défunt).
Dans le monde juif, en Israël, avaient également cours plusieurs coutumes.
Au temple de Jérusalem, de nombreux animaux étaient sacrifiés pour Dieu : certains en "holocauste"
(entièrement brûlés) ; d’autres en "communion" (brûlés en partie seulement, le reste étant consommé par les
offrants). Ces repas étaient appelés todah, ils symbolisaient une "action de grâce".
Par ailleurs, dans le milieu des scribes d’affinité pharisienne, les repas dits "de compagnons" permettaient de
s’assurer des nourritures "pures" rituellement. Le but de ces rassemblements n’était pas tellement de souder
entre eux les membres du groupe, mais de respecter au plus près tous les préceptes de Moïse touchant les
règles de la nourriture.
Existait, enfin, la pratique du repas de famille. Si la coutume d’un repas pris à des heures fixes (midi, soir)
n’existait pas, en revanche la réception d’un hôte, la célébration d’une fête (la Pâque, la Pentecôte juives)
s’accompagnaient d’un cérémonial mettant particulièrement en relief trois temps : une bénédiction sur le pain,
avant sa fraction et sa distribution par celui qui présidait la table ; le repas avec poisson ou viande (mets de