Métaphysique et philosophie transcendantale selon Kant

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Métaphysique
et philosophie transcendantale selon Kant
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l11ise en page: Gisèle
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de la Cellule d'Assistance
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Pierre CROCE,
à la Publication,
d'Assistance
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à la Publication,
Sef\~ice Communication,
www.1ibrairieharmattan.com
e-mail: [email protected]
(Ç)L'Harmattan, 2005
ISBN: 2-7475-8888-2
EAN : 9782747588881
Up~rF
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Textes réunis et publiés par
Mai Lequan
Métaphysique
et philosophie transcendantale
selon Kant
Préface de Jean- Marie Lardic
« La Librairie des Humanités »
L'Harmattan
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Destinée à recevoir, dans ses diverses séries, des textes couvrant tout le
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L'Oc/J'sséedesDroits de l'homllle(2003)
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(2004)
E. Bogalska
et espace (2004)
P. Chaix
(Dir.)
L'Imaginaire
économique
:Nlartin
et oubli
Le destin croisé des héros et des boictiJ11es(2004)
R. Palermiti
des connaissances.
conceptuelles
(2005)
Sommaire
Liste des auteurs
7
Avant-propos
9
Mai Lequan
15
Préface
Jean-Marie
Lardic
17
Positif et négatif chez Kant
Bernard
Bourgeois
31
Kant et les pas de la métap!!Jsique
Bernard Mabille
Quand la logique sefait transcendantale
Recherchessur l'écriture des Critiques kantiennes
François Marty
49
Kant et la question de la transcendance
79
Yves-Jean
Harder
Le problème du temps dans IJ((AnalYtique
Alexander
Schnell
Affinité transcendantale
Mai Lequan
transcendantale ))
et affinité emPirique chez Kant
103
137
à la dialectique transcendantale ))
de la raison pure: le langage du comme
L'« Appendice
de la Critique
et la notion d'usage régulateur
Bruno Barthelmé
de la raison
Être auteur de soi-même. Le stdet kantien en question
Jean-Christophe
si
223
259
Goddard
La critique de la critique kantienne de la Jnétaphysique
273
chez Jaco bi
Jean-Michel
Buée
Liste
des auteurs
Bruno
Barthelmé
Bernard
Bourgeois
Jean-Michel
Harder
Jean-Marie
de Lyon),
(Professeur étJ2ériteà l'Université Paris 1),
Buée (Maître de conférencesà l'IUFM de Grenoble),
Jean-Christophe
Yves-Jean
(Maître de conférences à l'IUFM
Goddard
(Professeur à l'Université de Poitiers),
(Maître de conférencesà l'Université Strasbourg 2),
Lardic (Professeur à l'Université Grenoble 2),
Mai Lequan
(Maître de conférencesà l'Université Lyon 3)
Bernard Mabille (Maître de conférencesà l'Université Paris 4),
François
Alexander
Marty (Professeur au Centre Sèvres),
Schnell (Maître de conférencesà l'Université de Poitiers).
AVANT-PROPOS
Le présent volume rassemble les textes des interventions
du colloque
« Kant: métaphysique
et philosophie transcendantale
», qui a eu lieu
à la Faculté de philosophie de l'Université Lyon 3-Jean Moulin le 13
décembre 2002. Ce colloque visait à faire le point sur quelques-uns
des travaux de recherche les plus récents relatifs à la philosophie
de
Kant, dans la continuité et en complément
du colloque international
organisé, l'année précédente, par la Faculté de philosophie de Lyon 3
sur «y a-t-il une histoire de la métaphysique?»
(dont les Actes
publiés aux Presses Universitaires
de France). Il s'agissait de réexaminer, dans le cadre du questionnement
sur une histoire de la métaphysique en général, le sens, le statut et la valeur de la conception
kantienne de la métaphysique
dans l'horizon de la philosophie
transcendantale. Il en résulte une reconsidération
transversale des liens qui
unissent le spéculatif, le logique, le métaphysique, le transcendantal
et
le transcendant
dans la philosophie de Kant et chez quelques-uns
de
ses interlocuteurs,
tels que Jacobi ou Fichte. Le présent volume se
présente comme une lecture synoptique
de quelques-uns
des différents niveaux auxquels se manifeste le lien qui unit, voire identifie,
chez Kant, le métaphysique
et le transcendantal.
La philosophie
transcendantale
se définit en effet, en partie, comme la future science
métaphysique
réformée, voire révolutionnée,
dédogmatisée,
épurée
et refondée, que IZant appelle de ses vœux dès la première Préface de
1781 à la Critique de la raison pure. La philosophie
transcendantale,
10
AVANT-PROPOS
dont la critique de la raison pure spéculative est la simple « propédeutique », le traité de méthode et le plan architectonique,
devra être le
système complet, clos et définitif, de toutes nos connaissances
philosophiques,
c'est-à-dire
de toutes nos connaissances
rationnelles
pures par concepts, qu'elles soient analytiques a Priori ou synthétiques
a priori. Ces lectures stratifiées du lien entre métaphysique
et philosophie transcendantale
permettent
de souligner l'originalité
et la
fécondité, parfois polémiques,
de la conception
criticiste kantienne
de la métaphysique,
au sein d'une histoire plus générale
de la
métaphysique,
que Kant pense et décrit lui-même, dans la première
Critique, comme une « histoire de la raison pure ». Il s'agit ici de
préciser les étapes et modalités de la transformation
révolutionnaire,
opérée par le criticisme kantien, de la science métaphysique traditionnelle en philosophie
transcendantale.
La question directrice du présent volume est donc: comment s'opère, chez Kant, le passage du
thème métaphysique
au thème transcendantal,
et, de façon plus
complexe,
comment
s'explique la survivance
d'un moment métaphysique au sein de la philosophie
transcendantale
(présente et/ou
future) ? Ce volume se propose ainsi d'approfondir
le lien entre
métaphysique
et transcendantal,
ainsi que le passage du métaphysique
au transcendantal,
à travers neuf regards croisés, correspondant
aux
interrogations
suivantes.
1) Comment la philosophie criticotranscendantale
de Kant se
structure-t-elle,
au moins en partie, autour de la polarité rectrice des
concepts de positif et de négatif? Comment
dépasse-t-elle
l'acception restreinte du rapport entre positif et négatif en soumettant
ce
rapport à une critique de la raison, en tant que faculté distincte de
l'entendement? (Bernard Bourgeois: « Positif et négatif chez l<.ant »).
2) Comment
Kant pense-t-il
sa propre métaphysique
à
l'intérieur d'une histoire de la métaphysique,
et plus généralement
de
la raison pure, qui progresse selon des « pas» distincts, quoique liés?
La doctrine kantienne des trois pas de la métaphysique
(que sont le
pas de l'enfance ou métaphysique
dogmatique,
le pas de l'adolescence ou métaphysique
sceptique, et le pas de la maturité ou métaphysique criticotranscendantale)
est une histoire de la raison pure
que l'on doit distinguer
d'une simple histoire positive, empirique
décrivant
la succession
temporelle
des doctrines
métaphysiques
dogmatique,
sceptique
et criticotranscendantale
(Bernard Mabille:
« l<.ant et les pas de la métaphysique »).
11
AVANT-PROPOS
3) Comment
la philosophie
kantienne,
dans son projet
même d'élévation
de la métaphysique
au rang de science transcendantale de la raison pure, se dote-t-elle pour la première fois d'une
logique transcendantale,
qui, tout en prolongeant
la tradition logique
artistotélicienne,
rompt avec celle-ci, du moins l'enrichit?
La logique
transcendantale
kantienne est en effet à la fois conforme à la logique
aristotélicienne,
puisque, comme elle, elle se compose d'une « analytique» et d'une «dialectique»
(transcendantales),
et absolument
distincte de la logique formelle pure, dont Aristote est le fondateur
indépassé, selon la seconde Préface de 1787 à la Critique de la raison
pure. La dimension transcendantale
de la logique permet de souligner
non seulement la continuité du motif logique entre les trois Critiques
kantiennes, mais encore la fonction structurante,
pour l'architecture,
le style et l'enchaînement
des trois Critiques, de la réflexion kantienne
sur le transcendantal.
En effet, le fil conducteur
des transformations
que subit la structure logique au fil des trois Critiques n'est autre que
la question transcendantale
et critique (François Marty: « Quand la
logique se fait transcendantale.
Recherches sur l'écriture des Critiques
kantiennes »).
4) Comment la réflexion sur la raison pure dans son usage
spéculatif conduit-elle Kant à penser, dans le cadre de sa refondation
criticotranscendantale
de la métaphysique,
le rapport, voire la limite,
la frontière, le passage entre le transcendantal
et le transcendant?
ou
qu'est-ce
que la transcendance
pour Kant?
(Yves-Jean
Harder:
« Kant et la question de la transcendance »).
5) Comment la pensée transcendantale
de IZant se préfiguret-elle dès la première Critique, notamment à travers le traitement de la
question du temps, de l'imagination
transcendantale
et du schématisme catégorial dans 1'« Esthétique transcendantale»
et surtout dans
1'« Analytique transcendantale»
? Car si la Critique de la raison pure est
dite ne constituer
encore que la phase préliminaire
de refondation
d'une philosophie
transcendantale
(ou science métaphysique)
future,
elle se meut d'emblée dans le transcendantal,
que Kant limite en 1781,
», à la sphère de la seule connaissance
au ~ VII de 1'« Introduction
spéculative (théorique pure), excluant, de fait, la possibilité même
d'une philosophie transcendantale pratique, c'est-à-dire d'une morale
transcendantale, lors même qu'il reconnaîtra, en 1785, en 1788 puis
en 1797, l'existence d'une « métaphysique des mœurs» et ouvrira sa
dernière
philosophie
transcendantale,
dans
l'Opus postumum,
au
12
AVANT-PROPOS
champ pratique. En effet, le transcendantal
est omniprésent
dès la
première
Critique, comme en témoigne la récurrence
de ce terme
dans les titres des parties et sous-parties de l'œuvre. En revanche, le
terme « transcendantal
», appliqué en 1781 à la raison pure spéculative, sera systématiquement
remplacé, dans la seconde Critique de
1788, par une périphrase
non strictement
équivalente,
mais analogue : « de la raison pure pratique ». Ainsi, par exemple, la « Théorie
transcendantale
des éléments»
sera remplacée par une « Doctrine
élémentaire
de la raison pure pratique»;
1'« Analytique
transcendantale » par une « Analytique de la raison pure pratique» ; la
« Dialectique
transcendantale»
par une « Dialectique
de la raison
pure pratique»
et la « Théorie transcendantale
de la méthode»
par
une « Méthodologie
de la raison pure pratique ». Quoique la première
Critique se qualifie donc elle-même d'introduction
au transcendantal,
elle est déjà de plain-pied avec le transcendantal,
comme le montrent,
au sujet du temps, trois des chapitres de 1'« Analytique
transcendantale », à savoir la « Déduction transcendantale
des catégories », le
« Schématisme» et 1'«Analytique des principes» (Alexander Schnell: « Le
problème du temps dans l'Analytique transcendantale
»).
6) Comment le transcendantal
est-il pensé par Kant en son
articulation avec l'empirique?
Le transcendantal
n'est pas seulement
l'a priori, mais ce qui constitue (au moins dans l'ordre de la connaissance théorique) le passage (Ü bergang) entre l'a priori et l'a posteriori,
entre le métaphysique
et l'empirique,
comme I(ant le redira dans
l'Opus postumum, en théorisant les principaux concepts qui forment le
« passage transcendantal»
entre la métaphysique
de la nature et la
science physique empirique. Un concept en particulier permet à Kant
de penser le passage transcendantal
du métaphysique
à l'empirique,
ainsi que le passage du transcendantal
à l'empirique,
concept que
I(ant emprunte à la science chimique d'alors: le concept d'« affinité »
(Venvandschaft ou affinitas). L'affinité
chimique
permet à IZant de
décrire analogiquement
l'élaboration
de la connaissance
objective au
moyen de la fonction synthétique
propre à l'imagination
transcendantale (Mai Lequan : « Affinité transcendantale
et affinité empirique
chez Kant »).
7) Comment
le criticisme kantien inaugure-t-il
non seulement une nouvelle méthode et un nouvel objet philosophiques,
mais
aussi et surtout un nouveau langage philosophique
correspondant
à
l'usage régulateur (et non constitutif)
des Idées de la raison pure?
AVANT-PROPOS
13
L' « Appendice
à la dialectique transcendantale»
révèle l'émergence
d'une nouvelle langue, dotée d'un statut épistémique à part entière:
la langue du « comme si» (aIs ob), langage de l'ambiguïté
et de
l'équivoque, langage du focus imaginarius, néanmoins nécessaire dans la
conscience
qu'il a de ses propres
limites
(Bruno Barthelmé:
« L'Appendice
à la dialectique
transcendantale
de la Critique de la
raison pure: le langage du comme si et la notion d'usage régulateur de la
raison »).
8) Comment
la philosophie
critico-transcendantale
de Kant
redéfinit-t-elle,
corrélativement,
et en l'absence même d'une éthique
transcendantale
proprement
dite, la notion de « sujet» ? Quelle place
en particulier la dernière philosophie
kantienne de l'Opus postumum,
en tant que système transcendantal
auto-fondé,
auto-créé,
de
connaissances
rationnelles pures, en tant que système auto-poïétique
d'Idées, accorde-t-elle à l'autonomie,
à la liberté de la volonté et à la
personnalité?
Enfreignant l'interdit qu'il s'était assigné à lui-même au
~ VII
de 1'« Introduction»
de la première Critique, Kant ouvre sa
dernière philosophie
transcendantale
au champ pratique et concilie
ultimement
sa définition de la philosophie
transcendantale,
comme
auto-constitution
du sujet en un système d'Idées en vue de l'expérience possible,
avec le concept d'autonomie,
voire d'autocratie,
morale Oean-Christophe
Goddard:
« Être auteur de soi-même. Le
sujet kantien en question »).
9) Enfin, comment la pensée kantienne de l'articulation
du
métaphysique
et du transcendantal
a-t-elle pu être interprétée
et
critiquée par ses contemporains
et successeurs?
Jacobi par exemple
propose une lecture critique de la conception
criticiste kantienne de
la métaphysique,
et soulève dans toute son acuité le problème
métaphysique,
et plus profondément
transcendantal,
de la chose en
soi, où il voit une contradiction,
une incohérence
du kantisme (ballotté entre idéalisme et non philosophie
de la croyance, comme
rempart contre le nihilisme). Jacobi reproche en effet au criticisme
kantien d'avoir voulu, mais en vain, chasser la chose en soi, effrayé par
le risque d'une résurgence de la métaphysique
dogmatique
comme
ontologie réaliste. Jacobi revient ainsi sur le statut éminemment
problématique, y compris pour Kant lui-même, de la chose en soi OeanMichel Buée: « La critique de la critique kantienne de la métaphysique chez Jacobi »).
14
AVANT-PROPOS
Que soient lCl vivement
remerciés
les auteurs pour leur
contribution,
ainsi que M. Bakhrouri, H. Essayari et Th. Ménissier
pour leur précieuse aide à la publication de ce volume.
Mai Lequan,
1vlaître de conférencesà l'Université Lyon 3
PRÉFACE
Il faut redire que le criticisme
kantien ne consiste pas en une
réduction de la métaphysique,
mais en une clarification de son discours. Si la philosophie transcendantale
définit en effet les conditions
de possibilité
de l'expérience,
elle ne veut en aucun cas réduire
justement
la pensée à celle-ci. À cet égard, !(ant n'hésitera
pas,
d'ailleurs, à considérer
la Critique comme la « métaphysique
de la
métaphysique»
(Lettre à Marcus Herz du 11 mai 1781). Le présent
volume a justement
pour objet de montrer
comment
la pensée
transcendantale
contribue, pour Kant, à cette redéfinition de la métaphysique. Cette métaphysique
désigne, on le sait, selon les termes de
1'« Architectonique
de la raison pure », ce qui, après l'examen critique
du pouvoir de la raison vis-à-vis de la connaissance a priori, concerne
l'enchaînement
systématique
de toute connaissance
philosophique
venant de la raison pure.
À cet égard, à la différence de l'usage mathématique
de la
raison qui procède par construction
de concepts, la métaphysique
est
appelée, dans l'entreprise transcendantale,
à traiter des principes de la
nécessité de ce qui appartient à l'existence d'une chose impossible à
représenter
évidemment
dans une intuition a priori, mais néanmoins
régie par des lois qui ne sont pas empiriques. Ainsi, contenant les
actions de la pensée qui unissent la diversité des représentations,
la
véritable métaphysique
rend possible la physique mathématique
ellemême, au lieu d'y mêler des chimères ou de s'ajouter indûment à ses
connaissances.
D'où la nécessité d'établir des « principes métaphysiques de la science de la nature ». D'autre part et surtout, la morale
16
PRÉFACE
comporte
évidemment
une partie rationnelle
pure fondée sur des
principes a priori. Si donc il importait de procéder à une critique des
fondements
extrinsèques,
empiriques ou liés à un usage dogmatique
de la raison, susceptible d'en altérer l'autonomie,
la « métaphysique
des mœurs»
est indispensable
pour dégager les concepts
purs
susceptibles de distinguer la morale en tant que telle de toute anthropologie pratique. Bref, c'est tout l'édifice critique qui requiert un
usage nouveau de la métaphysique,
visant non à nous engager dans
une contemplation
et dans des recherches transcendantes
portant sur
des choses en soi, mais à favoriser la maîtrise même de la raison dans
la détermination
de son champ d'activité scientifique ou moral.
On voit à quel point la pensée kantienne de la métaphysique
est donc structurante
pour l'ensemble du système transcendantal
et
pour son évolution,
notamment
eu égard à l'ultime tentative de
l'Opus postumunJ. Les riches contributions
de ce volume doivent
permettre
au lecteur de mieux estimer les sens de la redéfinition
transcendantale
de cette science, qui permet seule d'espérer, aux yeux
de I<.ant, la complétude dans le domaine du savoir, mais nous ouvre
en même temps, plus que toute autre, à la dimension problématique
qui est à la hauteur de son ambition.
Jean-Marie Lardic,
Professeur à l'Université Pien/Oe
Mendès France) Grenoble 2
BERNARD BOURGEOIS
POSITIF
C
ET NÉGATIF CHEZ KANT
'EST À L'ÉPOQUE de l'exploitation,
à partir, notamment,
des
découvertes
du magnétisme
et de l'électricité,
de la notion de
polarité, que Kant publie, en 1763, son célèbre Essai pour introduire en
philosophie le concept des grandeurs négatives. Il y exemplifie ce concept,
celui d'un moins devenant
alors aussi réel que le plus auquel il
s'oppose, dans tout le domaine de la « philosophie », comme étude
rationnelle de l'être existant (différente de la mathématique,
qui avait
bien depuis longtemps aussi pour objet les grandeurs négatives, mais
comme de pures idéalités), qu'il s'agisse de la physique, où Newton
est salué par Kant, sur ce point, comme un pionnier, de la psychologie, ou de la théorie de la pratique. C'est dire que le champ assigné
au concept du négatif n'est plus du tout celui de la logique, lieu de
l'opération
de la négation précipitant
au néant, à l'irréel, ce qui est
frappé de contradiction. Il est le champ de la réalité elle-même saisie, en
toute sa variété, comme le résultat de l'opposition non logique de deux
principes aussi réels l'un que l'autre en leur coexistence, même si l'un
d'eux, le principe (de sens) négatif (ici, non pas nié, mais niant,
négateur) ne peut être lu immédiatement
en tant que tel dans son
effet sensible, réel (I<.ant définira bien le réel, dans la Critique de la
raison pure, comme ce qui correspond
à la sensation dans l'intuition
empirique), ou positif, à la différence du principe dit positif; c'est
précisément
en raison de ce statut non sensible,
suprasensible,
métaphysique,
que le négatif ainsi conçu a dû d'attendre si longtemps
avant d'être affirmé lui-même comme un principe réalisant, efficient
18
BERNARD
BOURGEOIS
et, par là, envisagé pour lui-même et non pas en sa relation avec le
principe positif dont il nie l'efficience visible, comme un principe
positif de ce qui, étant, réel, sensible, se donne toujours d'emblée
comme positif.
Nous voudrions ici proposer quelques considérations
d'abord
sur le statut accordé par Kant au négatif comme principe positif
négateur à l'œuvre dans la position du réel pris en sa phénoménalité
théorique ou pratique. Puis sur ce statut comme statut subordonné
relativement au statut du principe positif aussi dans son sens, et non
seulement
dans son action, jugé prioritaire
dans la position
du
monde réel, même si la relativité des deux principes affecte de négativité toute la sphère phénoménale
où se déploie leur jeu d'oppositions. Enfin, prenant précisément
en compte la subordination
pratique, c'est-à-dire,
pour l<ant, absolue, de ce jeu phénoménal
de la
position
du réel comme simple négation
se rapportant
à soi ou
négation de la négation, à la position immédiate
nouménale
de la
raison, nous confirmerons,
au niveau de l'affirmation
catégorique du
vrai, la limitation
kantienne
du principe du négatif:
la négativité
développée
à l'œuvre dans le monde empirique ne peut s'accomplir
que comme phénomène
de l'auto-position
nouménale,
métempirique, du positif. Untel rapport vrai du positif au négatif, comme
simple rapport,
dans le phénomène
lui-même,
du noumène
au
phénomène,
c'est-à-dire comme rapport ne surmontant
pas la différence de l'identité nouménale
et de la différence phénoménale
du
nouménal
(le positif) et du phénoménal
(le négatif), exprime bien,
nous semble-t-il, la limite kantienne du sens et du rôle, tout à la fois,
du négatif, qui ne constitue pas encore, en tant qu'auto-négation
ou
négation de soi, le cœur même du positif, et, par conséquent,
de ce
positif lui-même.
Les thèmes novateurs de l'article kantien de 1763 sont bien
connus. Si les logiciens n'ont considéré que l'opposition
logique ou
contradiction,
destructrice
d'un être qui serait à la fois A et non-A,
tandis que les mathématiciens
ont utilisé l'opposition
réelle, qui fait
annuler, dans un être cependant subsistant, un facteur + A par un
facteur - A, mais dans le milieu des objectivités
seulement idéales,
l<ant découvre une telle opposition réelle dans le monde réel, naturel
ou humain, physique ou moral. Ainsi, le repos, qui, en son sens, est
la négation, comme absence ou défaut (un nihil negativuJ1t)du mouvement, peut, envisagé dans sa réalité, en être la privation (un nihil
POSITIF ET NÉGATIF CHEZ KANT
19
privativlan),
pour autant que l'effet produit dans un être par une
certaine force motrice est supprimé par l'effet qu'y produit une autre
force motrice, en elle-même aussi positive que la première, mais
agissant selon une direction opposée, et que l'on peut donc appeler
négative relativement
à celle-là, dite corrélativement
positive. L'être
en question n'est pas dissous en un rien, comme s'il se contredisait
en étant à la fois en mouvement
et en repos, mais il est quelque
chose dont le mouvement
seul est réduit à zéro. Si, de la sorte, ce qui
résulte de la négation comme opposition
logique est un négatif qui
n'est pas, qui n'est rien, ce qui résulte de la négation
comme
opposition
réelle est un être négatif, un négatif proprement
dit,
simplement privé d'une détermination
en raison de l'annulation réciproque de leurs effets par deux principes réels opposés, également
positifs en eux-mêmes, bien qu'on appelle l'un des deux le principe
négatif. Le négatif est le positif sur son mode négatif: la répulsion est
une attraction négative, le froid une chaleur négative, le déplaisir un
plaisir négatif, le démérite un mérite négatif, le mal un bien négatif, la
mort une naissance négative, etc. Il n'y a donc rien d'étonnant
à ce
que le résultat négatif de l'opposition
du négatif au positif, comme
opposition
du positif en tant que positif à lui-même en tant que
négatif, par là comme opposition
interne à ce qui est fondamentalement positif, soit lui-même positif.
Le réel n'est ainsi, pour Kant, tel, positif comme vraiment
posé, qu'en tant qu'il est le négatif issu du rapport d'opposition
entre
un positif et un négatif. La matière, réalité élémentaire,
n'est fixée
que comme le produit de la synthèse par laquelle la force attractive et
la force répulsive, qui, livrées chacune à elle-même, dissoudraient
le
réel, la première en l'idéalité d'une punctiformité
de plus en plus
intensive et de moins en moins étendue, la seconde en celle d'une
expansion spatiale de plus en plus désagrégée, se limitent et se nient
réciproquement.
Quant au monde, en sa réalité totale, il est luimême, précisément
en tant qu'il est, dans son être identique à soi,
dans son état, comme support de son devenir et de sa vie, le résultat
de l'équilibre
que se font ses principes
positifs et ses principes
négatifs, en leur opposition actuelle et potentielle:
« Tous les principes
réels de l'univers, si l'on additionne ense1Jlbleceux qui sont en accord et si l'on
soustrait les uns des autres ceux qui sont opposés les uns aux autres, donnent
un total qui est égal à zéro. Le tout du monde est, en lui-même, un
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BERNARD
BOURGEOIS
néant [...] »1. Bref, le négatif, en son sens redoublé, par là confirmé,
d'unité synthétisante
ou totalisante négative de la relation d'opposition du négatif et du positif, est un principe constitutif de la réalité
en tant qu'elle est envisagée en sa concréité déterminée:
pour autant
que la négation est arrachée au néant en étant détermination,
la
détermination
de la réalité est négation, le négatif est érigé en principe ontologique.
Mais un tel principe de la philosophie,
en sa
destination
théorique
de connaissance
de l'être vrai, est aussi un
principe d'elle-même en sa destination pratique.
En tant qu'elle ne vise plus la connaissance
de l'être de
l'objet, mais l'appréciation
de la bonté du sujet, la philosophie prend
en effet en considération
la négation impliquée dans l'affirmation
de
celle-ci. L'homme moralement
bon n'est pas celui dont le vouloir est
immédiatement,
naturellement,
identique au contenu de la loi morale,
l'absence
d'une telle identité naturelle étant elle-même
purement
naturelle (ainsi qu'il en serait chez l'animal) et, par conséquent,
dénuée de toute détermination
morale. Puisque le vouloir bon se
veut nécessairement
tel, l'absence
d'un tel vouloir est elle-même
voulue dans une opposition réelle au bien, et sa présence s'accomplit
dans le combat contre le vouloir récusant
le bien. L'omission
prétendue du bien est donc son rejet et le bien moral, la positivité du
bien, est la négation active du mal, en tant que ce dernier est la
négation
active du bien. Or, au moment où Kant élabore cette
première théorie de l'efficace du négatif, il semble bien considérer
que le résultat pratique
global, dans le monde,
de la relation
d'opposition
du bien et du mal, est, lui aussi, un résultat négatif, au
sens de nul. Mais, déjà, une telle appréciation générale du sens négatif
du positif est en passe d'être relativisée.
L'homogénéisation
que Kant opère encore, en sa période
pré-critique, du théorique et du pratique, c'est-à-dire de ce qui, en sa
vérité, sera renvoyé par les grandes critiques, pour ce qui est du
premier, à l'entendement
constructeur
de l'objectivité phénoménale
et, pour ce qui est du second, à la raison affirmant le sujet du noumène, se fait, conformément
à la perspective traditionnelle,
au profit
de l'entendement
théorique.
Le traitement
du négatif prend donc
1 Kant,
Versuch} den BegriJJder negativen Grôf3en in die We/tweisheit eini.!'führen,in Kants
Werke [KW'], Akademie Textausgabe,
p.197.
Band II, réed. \Valter de Gruyter, Berlin, 1968,
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