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Et lE sort dE « JEn » ?1
>Carlos PolEnus
Conseiller spécial de la Confédération Syndicale
Internationale, il est devenu un expert des questions
syndicales et ouvrières en Chine. Auparavant, il a
été sectaire féral du BBTK (Setca flamand),
il a enseigné léconomie et travaillé en Afrique
La Chine nest pas près de disparaître de lactualité. Pour les nation-
alistes, c’est une dictature Han qui opprime les minorités ethniques,
pour les mocrates, il s’agit dun système politique autoritaire
cheminant vers le statut de superpuissance, pour les entrepreneurs
est un pays de cocagne dod’énormes marchés et dune grande
liberté dentreprise, à savoir la liberté de payer des salaires peu élevés,
dimposer de longues heures de travail, et de polluer sans relâche.
Lévolution sociale de «Jen», le travailleur chinois moyen, est,
elle peu connue.
En 2007, après quatre années de préparation académique et de
débat, une nouvelle législation a éadoptée en matière de travail.
Elle concerne tous les travailleurs: ouvriers, employés et fonction-
naires. Il est intéressant de constater que lInternet a été impliqué
dans lélaboration de la réforme. Au cours de lannée 2006, ce sont
pas moins de 190 000 commentaires en ligne qui ont été traités par
un professeur duniversité et son équipe, avant la phase nale de
marchandage politique.
1 Traduction du néerlandais par Edgar Szoc
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Des études datant de 2010 ont permis de constater que 11%
demployés supplémentaires disposaient sormais dun contrat
écrit et que 6% se trouvaient en cours dune procédure fondée sur
le nouveau Code du travail. Ce sont en particulier les travailleurs
migrants, qui constituaient la partie la plus vulnérable du marc
de lemploi, qui bénécient de la nouvelle gislation. Une zone
grise subsiste toutefois de manière non négligeable, puisqu’elle
constituerait 16% de la force de travail.
Le marché chinois de lemploi est particulièrement segmenté:
environ 200 millions de travailleurs paysans ont quitté les provinces
intérieures pour aller travailler dans les provinces côtières. Leur
salaire y est nettement plus élevé que dans les campagnes – mais au
prix dune lourde exploitation physique, sociale et même culturelle.
Ils ne disposent pas des mêmes droits que les travailleurs urbains et
nont pratiquement pas accès aux services sociaux tels que la garde
denfants, lécole, les soins de santé, le logement, etc.
Beaucoup en reviennent avec des récits dhorreur. Mais ils se sont
également frots à la modernité et se sont acquis quelques comtences.
C’est parfois à la campagne me qu’ils montent leur propre aaire.
La politique chinoise de lenfant unique commence à atteindre son
point de basculement démographique. La population est vieillissante
et laux de nouveaux travailleurs sur le marché va diminuant. La
jeune génération issue de la campagne nest par ailleurs plus prête
à subir le même travail desclave que les précédentes. Ils veulent
de la ville, mais ils veulent aussi y rester et proter des avantages
de la modernité. C’est avec les images télévisées de l’Exposition de
Shanghai et des Jeux olympiques de Pékin quils ont grandi.
Pour attirer des travailleurs en susance, certaines villes et provinces
tières améliorent leurs conditions de séjour. Trente dentre elles ont
augmenté le salaire minimum en vigueur. Les salaires minimums
Le seul pays au monde dans lequel une démarche similaire
a été mee est le Brésil. Sous la psidence de Lula, les droits
syndicaux ont en effet sensiblement progressé, notamment en
termes de droit dinitiative détablissement d’un syndicat, de
protection des légués syndicaux dentreprise et de contle
de lapplication de la législation sociale et du travail.
En Chine, cest une population de plus de 300 millions de travailleurs
qui a désormais sans aucune équivoque droit à un contrat de travail
écrit reprenant le salaire horaire, le nombre d’heures ouvrées hebdoma-
dairement, la tarication des heures supplémentaires, et l’interdiction
des châtiments corporels. C’est donc un marché du travail formel qui
est créé. Un employeur qui ne paierait plus de salaire depuis six mois à
un travailleur migrant venu de la campagne, ne pourra plus prétendre
devant un tribunal quil na jamais entendu parler de cette personne.
La retenue sur salaire ou le non-paiement de celui-ci sont doréna-
vant consirés comme des vols. Les sanctions arbitraires et physique
sont interdites, le licenciement sans préavis ni indemnité est illégal.
Lapplication de cette loi a été rapide grâce à la mise en place
dun système national de comités de médiation individuelle. Ceux-
ci donnent aux travailleurs migrants la possibilité de déposer
gratuitement plainte sans obligation de rester dans la province
où ils travaillent, ni de recourir aux services onéreux d’un avocat
du travail. Les plus de 600 000 plaintes annuelles ont mont
lutilité pratique du sysme.
Le syndicat unique chinois, lACFTU (All China Federation of
Trade Unions) a négocié et promu cette loi, mais n’en constitue pas
lagent actif sur le terrain des entreprises. C’est dailleurs, de manière
plus nérale, que son impact savère supérieur sur le contle
réglementaire au plan national que sur les entreprises elles-mêmes.
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en Chine constituent dailleurs moins un véritable plancher qu’un
objectif à atteindre pour les migrants.
Pour répondre à la pénurie de travailleurs, les entreprises enga-
gent également des étudiants. Les lignes de production de biens
dexportation comme les iPod, iPhone ou iTab destinés aux consom-
mateurs occidentaux branchés sont occupées par des travailleurs
qui, dans 99% des cas, y restent moins dune année. Cest de cette
façon que les étudiants les plus pauvres gagnent largent nécessaire à
leur scolarité. Quant aux enseignants, ils conservent leur emploi en
fournissant au recrutement des groupes détudiants à engager en bloc.
Lorsque les 30% des étudiants travaillant au sein de lusine Honda
à Nanhai (province du Guangdong) ont constaque laugmentation
du salaire minimum provincial ne leur était pas appliquée, ils ont
organisé une grève. Bien que relevant du ministère de l’Éducation,
et donc en dehors du périmètre du droit du travail, ils ont réussi leur
grève puisque laugmentation de salaire leur a été accordée. Elle a
dailleurs donné le coup denvoi à une série darrêts de travail, de
manifestations et de grèves dans plus de 1000 entreprises exporta-
trices du Guangdong. Cest également à lextérieur de la province
du Guangdong que les travailleurs ont mené le combat – tout en se
limitant à des revendications dordre économique. La presse leur
a témoigné beaucoup de sympathie et les médias sociaux se sont
chargés de les soutenir et de les relayer.
LACFTU a réagi rapidement à cette occasion de mettre le système
actuel de négociations collectives en surchaue, en exigeant de passer
du droit actuel à linformation en matière de salaires à un système
de salaire négocié entre délégués syndicaux et chefs dentreprise.
Laccord de coopération conclu entre la CSI (Confération syndicale
internationale) et lACFTU y a dailleurs joué un rôle: le savoir-faire
en matière de négociations collectives, de relations industrielles, de
droit de grève, de médiation des conits collectifs, etc. a fait lobjet
dun large échange entre les deux organisations.
Le temps est donc venu de prendre nos responsabilités. Grâce à
lamélioration du partenariat avec des universitaires et des militants
syndicaux chinois, le mouvement syndical international est à me
dobtenir de réels progrès.
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