Dynamique de spin dans les
semiconducteurs :
Vers des applications en micro et
optoélectronique
Arnaud Bournel, Vincent Delmouly, Philippe Dollfus
Institut d‘Électronique Fondamentale, UMR CNRS 8622, Université Paris Sud
Bât. 220 , F-91405 Orsay cedex
bournel@ief.u-psud.fr
RÉSUMÉ. L’électronique de spin est une thématique de recherche en plein développement
depuis un peu plus de 10 ans. Si les études dans ce domaine ont initialement porté sur des
dispositifs métalliques, la dynamique de spin dans les semiconducteurs et ses applications
possibles en micro et optoélectronique induisent aujourd'hui un intérêt croissant. Après avoir
rapidement décrit les principes de l'électronique de spin dans les métaux puis les mécanismes
qui régissent la dynamique de spin dans les semiconducteurs, nous présentons deux exemples
de structures à semiconducteurs étudiées : le spin-FET et le commutateur optique à spin.
Nous discutons enfin du problème crucial des contacts entre matériaux ferromagnétiques et
semiconducteurs.
ABSTRACT. Spintronics is an emerging research topic for a little more than 10 years. If the
studies in this area have initially concerned metallic devices, the spin dynamics in the
semiconductors and their applications in micro- and optoelectronics induce now a growing
interest. After briefly describing the spintronics principles in metals and the mechanisms
driving the spin dynamics in semiconductors, we present two examples of studied
semiconductor structures: the spin-FET and the optical spin switch. We finally discuss the key
problem of the ferromagnet/semiconductor contacts.
MOTS-CLÉS : spin, couplage spin-orbite, commutateur optique, transistor à effet de champ,
contacts ferromagnétique/semiconducteur.
KEYWORDS : spin, spin-orbit coupling, optical switch, field effect transistor,
ferromagnet/semiconductor contacts.
Nano et microtechnologies. Volume 1 – n° 3-4/2000-2001, pages 353 à 384
Nano et microtechnologies. Volume 1 – n° 3-4/2000-20012
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1. Contexte
L'électronique de spin, ou « magnétoélectronique » [PRI 99], est une nouvelle
thématique de recherche en plein essor depuis la fin des années 80. Les premières
structures étudiées dans ce domaine ont été les multicouches magnétiques, puis les
jonctions tunnel magnétiques. Leurs principes de fonctionnement sont basés sur des
propriétés de transport dépendant fortement du spin dans les métaux
ferromagnétiques : les spins sont filtrés en fonction de leur alignement avec le
moment magnétique du matériau. De tels dispositifs sont déjà utilisés au niveau
industriel en tant qu'élément de tête de lecture pour disque dur, ou sont appelés à
l'être bientôt dans le cas des mémoires RAM magnétiques.
Durant ces quatre dernières années, des groupes travaillant dans le domaine des
composants à semiconducteurs se sont également intéressés aux propriétés relatives
au spin de l'électron [BOU 00a]. En effet, des études récentes ont montré qu'il est
envisageable d'agir sur le spin des porteurs de charge et d'utiliser cette grandeur pour
modifier les propriétés électriques et optiques de structures à semiconducteurs.
Dans cet article, nous décrirons d'abord brièvement les principes régissant
l'électronique de spin dans les métaux, puis quels sont les mécanismes qui peuvent
permettre d'agir sur le spin dans les semiconducteurs. Nous détaillerons ensuite deux
exemples de composants à semiconducteurs étudiés dans le cadre de l'électronique
de spin : le commutateur optique à spin et le transistor à rotation de spin ou
spin-FET. Enfin, nous évoquerons le problème important des contacts entre
matériaux magnétiques et semiconducteurs.
2. Les principes de l'électronique de spin dans les structures métalliques
2.1. Structure de bandes électroniques des ferromagnétiques
Il y a une douzaine d'année, l'électronique de spin s'est d'abord développée dans
le cadre des dispositifs à couches minces ferromagnétiques. Les principes de ces
structures résultent des propriétés relatives à la polarisation en spin des bandes
électroniques dans les métaux ferromagnétiques tels que Fe, Co, et Ni. La Figure 1
représente les allures des densités d’états dans des ferromagnétiques forts (a : cas du
Co ou du Ni) et ferromagnétiques faibles (b : cas du Fe) pour les deux directions de
spin, et . Dans la bande de conduction des métaux ferromagnétiques, on
distingue deux types d'états, d'une part les états de type « s » à spin indifférencié, et
d'autre part les états « d » qui se situent dans une gamme d'énergies plus resserrée
que celle de la bande s, et à des niveaux énergétiques différents suivant l'orientation
de spin qui leur est associée. Dans les métaux à ferromagnétisme fort, les états d à
spin sont tous occupés alors que les états à spin ne le sont que partiellement. Au
niveau de Fermi EF, les électrons d sont largement majoritaires. Dans les
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3
ferromagnétiques faibles, les états d ne sont pas tous occupés et les électrons
correspondants sont légèrement majoritaires au niveau de Fermi.
Ce déséquilibre en spin induit deux propriétés importantes. D'une part, les
électrons à spin étant globalement majoritaires, le moment magnétique du métal
est non nul. Il est à noter qu'en appliquant un champ magnétique suffisamment grand
on peut retourner l'orientation de spin majoritaire et donc le moment magnétique
global. D'autre part, les électrons présents au niveau de Fermi et les états libres au
dessus de celui-ci correspondant majoritairement à une orientation de spin plutôt
qu'à l'autre, on peut s'attendre à ce que les porteurs de charges dans ces métaux
subissent des effets fortement dépendant de leur spin pendant leur transport.
D(E)D(E)
Energie E
EF
(a) FM fort
D(E)D(E)
Energie E
EF
(b) FM faible
d
d
s
Figure 1. Allure schématique des densités d'états D en fonction de l’énergie E
pour les deux directions de spin
et
dans les métaux ferromagnétiques (FM). EF
indique la position typique du niveau de Fermi. En (a), cas de fort ferromagnétisme
et (b) cas de faible ferromagnétisme.
2.2. Magnétorésistances géantes
Des effets de transport polarisés en spin ont ainsi été reportés à partir de 1988
dans des bicouches [VEL 88,BIN 89] ou multicouches [BAI 88] ultraminces
formées par une alternance de métaux ferromagnétiques et paramagnétiques. Leur
principe de fonctionnement est illustré sur la Figure 2, il repose sur les différences
de résistivité des multicouches vis-à-vis des spins ou . Dans la configuration
pour laquelle tous les moments magnétiques des couches ferromagnétiques sont
parallèles, les électrons à spin majoritaire traversent la multicouche en étant peu
diffusés alors que les électrons à spin minoritaire le sont fortement (cf. Figure 2a).
Dans la configuration pour laquelle les moments magnétiques sont antiparallèles, les
électrons des deux populations subissent des nombres équivalents d'interactions
diffusives durant leur transport dans la multicouche (cf. Figure 2b). Si les
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dimensions de la structure sont suffisamment faibles pour qu'il y ait peu de
relaxation de spin, la résistance de l'ensemble est beaucoup plus grande dans le cas
antiparallèle que dans le cas parallèle, on a ainsi une magnétorésistance « géante »
(en intercalant une couche de Cr [GEO 94] ou utilisant des alliages particuliers
comme FeV [REN 96] on peut également aboutir à l'effet inverse : résistance
« parallèle » plus grande que résistance « antiparallèle »). Les variations relatives de
résistance dépassent 65% à la température ambiante [PAR 91], ce qui permet de
concevoir des capteurs de champ magnétique de haute sensibilité puisque le champ
magnétique externe influe sur la configuration magnétique de la multicouche.
La différence de conductivité entre les deux « canaux » de spin possibles pourrait
s’expliquer d’après un modèle de bandes rigides par le plus grand nombre d’états
disponibles lors des collisions pour les électrons à spin minoritaire que pour ceux à
spin majoritaire. En fait, les impuretés et les défauts présents dans les multicouches
conduisent à des processus de diffusion dépendant fortement du spin qui jouent un
rôle important, voire prédominant, dans les variations de la magnétorésistance,
[VOU 99]. Les interactions liées à la présence d'impuretés comme Cr et V
expliquent ainsi l'obtention possible d'une magnétorésistance inverse.
Il est à noter que l'effet dit de magnétorésistance géante (ou GMR selon le sigle
anglais), découvert en France en 1988 [BAI 88], a trouvé un débouché industriel en
moins de 10 ans avec les premières têtes de lecture de disque dur à GMR [IBM 98].
L’introduction de ce type de tête de lecture a été particulièrement importante dans le
développement de disques durs aux capacités de plus en plus grandes : la densité
d’informations augmentant sur un disque dur, le champ magnétique induit par un bit
stocké diminue, et il faut alors utiliser des capteurs de champ de plus en plus
efficaces [THO 00].
Co
Co
Au
S
S
(a) (b)
Figure 2. Principe des magnétorésistances géantes. La résistance d'une
multicouche métallique comme (Au/Co)n est plus grande pour la configuration
antiparallèle des moments magnétiques que pour la configuration parallèle.
Dynamique de spin et applications 5
5
RØØ
ØØØØ
ØØ < RØ×
Ø×Ø×
Ø×
1
M
r
2
M
r
1
M
r
2
M
r
FM1FM2
I
Figure 3. Principe des jonctions tunnel magnétiques. FM1 et FM2 sont des
électrodes ferromagnétiques de moments magnétiques respectifs 1
M
r et 2
M
r, et I un
isolant ultramince. La conductance est plus faible pour la configuration
antiparallèle des moments magnétiques que pour la configuration parallèle.
2.3. Jonctions magnétiques à effet tunnel
Après la réalisation des premières magnétorésistances géantes, on s'est intéressé
aux propriétés de jonctions magnétiques à effet tunnel, constituées par deux
électrodes ferromagnétiques séparées par un isolant ultramince (les premières
jonctions magnétiques « tunnel » avaient été étudiées en 1975 [JUL 75]). Leur
principe de fonctionnement est illustré sur la Figure 3. Si les moments magnétiques
des deux ferromagnétiques sont parallèles, il y a beaucoup d'états disponibles dans
l'électrode de droite pour les nombreux électrons à spin présents au niveau de
Fermi dans celle de gauche. Si en revanche l'aimantation de l'électrode de droite est
retournée, et celle de gauche inchangée, il y a très peu de places disponibles pour le
transfert d’électrons par effet tunnel à travers la jonction, et la conductance de
celle-ci est plus faible que dans le cas précédent.
La Figure 4, qui présente des résultats expérimentaux de Moodera et Kinder
[MOO 96] illustre que l'on peut faire évoluer continûment la conductance de la
jonction entre ces deux états extrêmes, si le moment magnétique d’une des deux
électrodes tourne par rapport à l’autre. Cela est possible en appliquant un champ
magnétique d’amplitude suffisante pour imposer le sens de l’aimantation de la
couche ferromagnétique « douce », mais pas assez important pour modifier celle de
la couche ferromagnétique « dure ».
Dans les jonctions tunnel réalisées actuellement, les variations relatives de
magnétorésistance dépassent 40% à température ambiante, dans des gammes de
résistances « raisonnables » (60 m2) obtenues grâce à des couches d'oxyde de
très faibles épaisseurs (< 1 nm) et de très bonne qualité [PAR 99,IBM 00].
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