Conf Aurélie Luneau 2012-10 MRDC

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Aurélie Luneau : « Communiquer pour résister ». La radio sous l’occupation, le rôle de Radio-Londres.
Conférence donnée à Bourges, Cher, le 24-10-2012.
Aurélie Luneau est l’auteur d’une thèse sur Radio-Londres.
Remarque préalable d’Aurélie Luneau : communiquer ne se disait pas. On parlait des « nouvelles », des
« informations ».
A propos de la radio : le réseau hertzien va devenir un champ de bataille, entre 3 radios principalement :
Radio-Paris, Radio-Vichy, et la BBC (Radio-Londres).
La radio en 1939.
Les chiffres :
En 1939, 5 millions de postes de TSF en France ; 9 millions en Angleterre ; 13,7 millions en Allemagne.
La radio, arme de guerre.
• La radio, « arme de guerre » pour les Allemands.
Dès 1925, Hitler prétend que la radio est une arme de guerre.
Pendant la « Drôle de guerre », les Allemands ont été précurseurs dans l’utilisation de la radio comme arme de
guerre. Il existe un « poste noir », qui émet depuis l’Allemagne vers la France, en se faisant passer pour un poste
français : il diffuse de la propagande pacifiste, ou d’Extrême-Droite.
En 1940,, un autre « poste noir », Radio-Humanité diffuse une propagande qui vise les ouvriers français, et qui
argue que la guerre est une guerre matérialiste et capitaliste.
Par la suite, la radio la plus connue sera Radio-Stuttgart, qui émet en français, dont le speaker français
« Ferdonnet », Paul Ferdonnet, a pour but désinformation et intoxication des auditeurs de France.
•
Le gouvernement français refuse, lui, de faire une propagande virulente. La radio sert pour lui à informer,
mais avec de la censure !
Les auditeurs français tendent donc à se tourner vers d’autres radios…Vers les radios allemandes ! Ou vers RadioSottens, un poste suisse.
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Les Anglais eux, ont vite réagi devant la menace d’une guerre. Dès décembre1939, ils émettent en 9
langues. (Chiffre qui va aller croissant pendant toute la guerre : en 1945, ils émettent en 45 langues). Ils
émettent déjà en ondes courtes vers l’empire colonial, ils vont utiliser ce système de fréquences. Dès 1938,
il existe une émission en français.
La radio en France occupée.
En juin 1940, les Allemands prennent l’émetteur d’Allouis, dans le Cher, ce qui leur donne une capacité de
diffusion énorme. Ils mettent la main sur Radio-Paris, qu’ils utilisent pour leur propagande et leurs diatribes, tout
en produisant des programmes de divertissement.
Radio-Vichy se met au service du maréchal, et va défendre la collaboration, tout en développant son hostilité aux
Alliés.
La réaction anglaise.
Encore une fois, les Anglais réagissent vite : dès le 19 juin 1940, une émission en français est mise en place : de
20 h 30 à 20 h 45 : c’est « ici la France », avec Jean Masson.
Le 29 juin, elle est reprise par Pierre Bourdain (Pseudonyme de Pierre Maillot », de 20 h 30 à 21 h.
Puis, tout un programme est mis en place, elle prend son nom le 6-9-1940 : « Les Français parlent aux Français ».
Le 7 août 1940, le metteur en scène Michel Saint-Denis (Jacques Duchesne) constitue une équipe diverse :
journalistes, un antiquaire, un homme de cinéma… Leur rôle est d’imaginer slogans, scénettes…
Fin 1943, Pierre Dac s’y joint.
Objectifs :
Soutenir le moral des Français ; informer ; lutter contre la propagande allemande, dénoncer la politique de
Vichy…et dire la vérité, sans forcément tout dévoiler, mais sans mentir.
Le programme :
De 20 h 15 à 20 h 25, c’est le « commentaire des nouvelles ». Certains soirs, Pierre Bourdain commence par « Ce
soir, les nouvelles sont mauvaises ».
De 20 h 25 à 20 h 30, la séquence « Honneur et Patrie » est réservée à la France Libre.
Puis, de 20 h 30 à 21 h, « Les Français parlent aux Français » : l’émission se caractérise par sa créativité et son
humour. Elle propose des scénettes (Ex : tourner en dérision le journal Gringoire), des causeries (« La discussion
des 3 amis », qui débattent entre eux, moyen de contrer la propagande allemande), des témoignages, des chansons
satiriques, des slogans (« J’aime mieux voir les Anglais chez eux que les Allemands chez nous », « Radio-Paris
ment, Radio-Paris est allemand »).
Radio-Paris tente d’ailleurs de contrer Radio-Londres dans certaines émissions, et imite certains programmes :
ex : sur Radio-Paris en 1942, « l’oncle Sam » reçoit son neveu Roosevelt et lui donne des conseils.
Le courrier.
La BBC reçoit du courrier de France, environ 100 lettres par mois, des 2 zones, celles de la zone nord transitant
vraisemblablement par la zone sud. Y sont joints parfois des dessins, des récits, des conseils… (Certaines sont des
lettres de délation sur des collaborateurs).
Leur analyse, supervisée par les services secrets britanniques, permet de « sentir l’opinion publique » de France.
L’émission va donc évoluer en fonction. Ex : ne pas attaquer le maréchal Pétain. Ne pas utiliser de mots grossiers,
ou choquants, comme sur Radio-Paris.
(Nota : Les archives de la BBC contiennent environ 1500 lettres, Aurélie Luneau travaille à leur édition).
Les messages codés.
Le 1er est en septembre 1941, « Lisette va bien ». Il est émis par le SOE (Services secrets britanniques, Spécial
Operations Executive, chargé des opérations en France) du colonel Buckmaster. L’idée a été donnée par des
agents qui sont venus de France, et qui voulaient donner des nouvelles à leur famille, de manière un peu déguisée
Et de Gaulle ?
La séquence 20 h 25 – 20 h 30 est réservée aux Français Libres. De Gaulle parle 67 fois, dans les « grandes
occasions », sinon, c’est Maurice Schuman.
De Gaulle réclame d’ailleurs plus de temps de parole.
Il n’est pas toujours d’accord avec les émissions qui l’encadrent, qui sont faites sous la direction des Anglais. Les
intervenants doivent donner leurs textes à l’avance, ils peuvent être censurés, et de Gaulle aussi, ce qu’il accepte
mal. Il n’obtiendra jamais plus de 5 mn.
Les Français, sur le continent, ne font pas la différence entre la séquence de la France Libre et les autres
émissions ! Ils assimilent la BBC à de Gaulle.
Les Allemands ripostent par le brouillage, et les interdits (A partir de 1941, interdit d’écouter des postes étrangers,
sous peine d’amende, de saisie, ou d’emprisonnement).
De Gaulle va utiliser la radio pour « dynamiser » la Résistance intérieure à la France, pour pousser les Français
dans une Résistance active.
Le 11 novembre 1940, des jeunes se rassemblent à l’Arc de Triomphe, à Paris. C’est le 1er geste collectif connu de
Résistance civile : il comprend que ce genre d’actions est possible.
Les Alliés ne sont pas forcément d’accord avec lui, ils pensent que cela risque d’exposer la population à des
représailles allemandes.
Il demande par exemple aux Français de faire le vide dans les rues le 1er janvier entre 15 h et 16 h.
A certaines dates, il demande aux Français de déambuler devant les mairies..
Le 31 octobre 1941, suite à exécution d’otages, il demande un « garde à vous national » de 5mn.
L’action très connue est la « campagne des V » en mars 1941.
Ces actions ont un certain succès, ce qui montre la force de Radio-Londres.
De plus, elles sont relayées, racontées ensuite, par la presse clandestine. Et reprise par d’autres postes : RadioMoscou, qu’on peut capter en France, « La voix de l’Amérique », Radio-Brazzaville ou Radio-Alger (quand
l’Algérie sort de la sphère de Vichy…)
Ainsi, le 14 juillet 1942, suite à appel, il y a 150 000 personnes dans les rues de Lyon, 100 000 à Marseille, et
30 000 à Grenoble. On signale des manifestations dans 71 villes. Des témoignages montrent des rassemblements
dans de petits villages. Et des querelles de chiffres opposent les estimations faites par les mouvements de
Résistance et celles des Allemands ou de Vichy !
Les manifestants courent des risques. Le préfet de Lyon demande à Vichy « Pouvons-nous tirer à blanc ? ». On
peut être arrêté, déporté.
Les mots d’ordre donnés par les émissions de Londres, les slogans, y sont répétés, pour contrer les risques de
brouillage. On donne la consigne de les prendre en sténo, de les diffuser…
On entend dans les rues des chansons entendues à la BBC qui sont fredonnées comme autant de signes de
connivence.
Vichy dénonce la « dingaullite » : ceux qui sont touchés par la folie de Gaulle.
Mais le succès se poursuit. On écoute la radio en famille. Malgré la répression qui se durcit contre ceux qui
écoutent. (Loi du 18-11-1942, parue en janvier 1943).
Toutefois, le ton général bascule à l’automne 1942.
L’opération alliée sur Dieppe a échoué le 19 août 1942. En 1942-43, le ton n’est plus à la blague ou à l’humour.
Les auditeurs veulent des informations.
Et un malaise se développe : en 1942, les Anglais s’engagent dans une campagne « hasardeuse », en sousentendant qu’un débarquement est proche. Ils lancent des avis, demandant à la population d’évacuer si possible
les zones côtières, de la frontière belge aux Pyrénées.
De Gaulle est hostile à cette « campagne des avis », il pense qu’elle va faire des déçus. Ce qui est le cas. La BBC
est alors fragilisée aux yeux des auditeurs.
Ex : un courrier du 5 avril 1943 : « Vous nous faites espérer depuis un an », « Les français avaient confiance »,
« N’entretenez pas chez nous un rêve chimérique ».
De plus, les Français sont alors confrontés au STO. Des lettres reçues montrent des réactions au slogan « N’allez
pas en Allemagne », répété en cadence du bruit d’un train… Tous sont contre la Relève et ce STO… Mais, en
gros, les auditeurs, confrontés aux difficultés de la vie quotidienne, pensent, « facile à dire » ! Comment se
ravitailler, s’habiller, en cas de désobéissance ?
Radio-Londres, par ses diverses émissions, va alors solliciter autrement les Français :
Elle en appelle à la police, aux gendarmes, aux maires : il faut perdre les listes, faire appel à ceux qui peuvent
cacher des jeunes.
Jusqu’où la radio peut-elle d’ailleurs pousser ? Le maquis des Glières, dans les Alpes, est constitué en 1944. Il est
assailli par la milice et succombera. Mais sur la BBC, les maquisards sont devenus des héros Ils se sentent
soutenus, et ne « décrochent » pas…
Radio-Londres demande aussi aux Français de préserver leurs postes de radio, précieux, fragiles, et dont
l’entretien est cher. Les TSF sont des postes à lampe.
Un poste coûte, d’occasion, entre 5000 et 7000 francs. Une lampe vaut 800 francs. (Quand un OS parisien,
« ouvrier spécialisé », gagne 10 francs de l’heure).
Une campagne est lancée pour que les Français les écoutent ensemble…
Il est en effet important pour les Alliés qu’il y ait suffisamment de radios au moment du débarquement
programmé.
D’autant plus qu’en 1944, les Allemands essaient de saisir les postes dans les régions du nord et de l’ouest de la
France ! (Là où ils attendent le débarquement).
La radio reste un enjeu de pouvoir pendant toute la guerre.
Même au sein du camp allié.
Ainsi, quand les Anglo-Américains débarquent en Afrique du nord en novembre 1942, et qu’ils négocient avec
l’amiral Darlan, de Gaulle, scandalisé, veut s’exprimer sur la BBC : ce qui lui est refusé.
Les Anglais ont par ailleurs créé un « poste noir », Radio-Patrie, qui émet en français depuis l’Angleterre, et qui
est censé parler au nom de de Gaulle, à partir de novembre 1942. L’objectif est d’influencer la Résistance
intérieure française.
De Gaulle tente de faire entendre sa voix, sans censure ou contrôle anglais, sur Radio-Brazzaville, à partir de juin
1943, en émettant vers le territoire de la métropole.
La radio anglaise et ses émissions sont contrées dans de véritables joutes oratoires par certains orateurs de RadioParis : Jean-Hérold Pâquis, ou Philippe Henriot. Ce dernier utilise des formules au vitriol, et contredit point par
point la BBC.
Pierre Dac, depuis Londres, se charge de lui répondre, notamment en évoquant son frère, « mort pour la France »,
à 28 ans en 1915.
La Résistance assassine Henriot le 28 juin 1944 car il est considéré comme très dangereux. (En fait, il était prévu
de l’enlever, il fallait absolument le neutraliser).
En 1944, la BBC entretient la flamme patriotique en vue du débarquement. Elle donne des conseils. Elle pousse à
l’action. Elle cherche aussi à coordonner et à calmer les esprits, de Gaulle ne souhaite pas non plus de révolution
ou de soulèvement !
Le 18 août 1944, Radio-Paris cesse ses émissions… Elles reprennent le 20, avec cette fois la Marseillaise ! Ce qui
marque le début de la reconstruction de la radio en France.
Le 26 août, c’est la fin de Radio-Vichy.
Conclusion : la radio, et la BBC en particulier, ont été un fer de lance pour la Résistance.
La nouvelle radio française rend d’ailleurs un hommage « aux camarades de la BBC » le 25 septembre 1944.
Pour le musée de la Résistance et de la Déportation du Cher
Catherine Poncelet, professeur-relais. Novembre 2012.
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