(du pluralisme) est que toutes les conceptions morales
« globales » raisonnables ont une intersection non vide : la
justice politique. Comme chez Aristote, qu’il cite, la justice est
« la plus belle des vertus (…) plus belle même que l’étoile du
matin ». Le libéral tient qu’il existe une morale minimale
cohérente, le sens de la justice, isolable des croyances
métaphysiques, et qui puisse être partagée par l’athée,
l’agnostique, le croyant, le matérialiste et le spiritualiste, le
mystique raisonnable et le rationaliste, celui qui croit au ciel et
celui qui ne croit que le fait que « deux et deux sont quatre », etc.
C’est tout le « consensus par recoupement ». L’objection ne peut
venir que de ceux pour qui il va de soi qu’il n’y a de valeurs que
religieuses, ce qui apparaît plus ou moins clairement chez
MacIntyre et Taylor. Ce qui est en cause, ce n’est rien de moins
que la laïcité. D’où vient cette petite musique que l’on entend
souvent, et selon laquelle il n’y aurait pas de « morale laïque » ni
de « morale libérale », et qu’il faut « ajouter du sens », comme si
par définition un athée n’avait pas de conception du Bien,
comme s’il n’était qu’un nihiliste ? Un libéral, fût-il croyant, doit
combattre cette propagande.
Revenons aux conséquences. Nous devons à Pettit une
distinction importante 3: face à une valeur que je fais mienne (le
patriotisme, la justice, la vie, la véracité), je peux vouloir
l’honorer4, et, dès lors, peu importe les conséquences de mon
acte, pourvu qu’il l’exemplifie, ou je peux vouloir la
promouvoir, et alors se pose avec force la question de la prise en
compte des conséquences de l’acte du point de vue même de la
valeur qu’il illustre, mais aussi du point de vue d’autres valeurs.
Si je veux promouvoir la justice, je ne dois pas seulement
« témoigner » en sa faveur par mon exemple, quels que soient les
3 Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, M. Canto-Sperber éd., PUF,
« Conséquentialisme ». Voir aussi M. Canto-Sperber et R. Ogien, La philosophie morale,
PUF, ch. III, 1.
4 Le patriotisme prête particulièrement, comme les valeurs chevaleresques (l’honneur), à
l’attitude purement déontologique : Emilie dans Cinna veut agir comme doit le faire une
Romaine : « Nos deux âmes, seigneur, sont deux âmes romaines », dit-elle à Cinna hésitant
(IV, sc. III). Auguste évoque en revanche les conséquences prévisibles de son éventuel
assassinat par Cinna : tu ne dois ta popularité qu’à moi, et les Romains ne pourront « souffrir
que tu règnes sur eux » (V, sc. I). Ce sera la guerre civile.
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