Imaginons quâil y ait plusieurs sacs : le
premier contient 99 billes blanches et
1bille noire ; le deuxiĂšme 50 billes
blanches et 50 billes noires ; le troisiĂšme
1bille blanche et 99 billes noires. Com-
ment savoir Ă quel sac appartient la bille
blanche que jâobserve ? Sâil nâexiste
aucune autre information disponible, lâhy-
pothĂšse la moins risquĂ©e est dâinfĂ©rer que
la bille appartient au premier sac. Ce type
de raisonnement est le plus immédiat, le
plus facile. Bien quâaboutissant Ă un rĂ©sul-
tat satisfaisant un peu moins de deux fois
sur trois, il présentera réguliÚrement le
mĂȘme risque Ă©levĂ© dâerreur. Imaginons
quâil sâagisse dâune enquĂȘte (judiciaire,
journalistique, diagnostic médical). Un tel
raisonnement correspondra au niveau zéro
de la dĂ©marche. Si lâenquĂȘteur reste sur ce
plan, il aboutira réguliÚrement à des
erreurs judiciaires, à une désinformation
journalistique, à des catastrophes médi-
cales. Par exemple, la multiplication des
procĂšs mĂ©dicaux aux Ătats-Unis nâest
peut-ĂȘtre pas indĂ©pendante de lâignorance
de démarches abductives conséquentes
dans lâĂ©tablissement dâun diagnostic et la
mise en Ćuvre de la dĂ©marche thĂ©rapeu-
tique la plus correcte (ou, Ă dĂ©faut, lâune
des moins incorrectes).
Si lâon tente de diminuer les risques dâer-
reur, il est nĂ©cessaire de chercher dâautres
informations, dâexplorer divers contextes
qui permettront dâĂ©clairer la situation sin-
guliĂšre rencontrĂ©e. Il sâagira, par exemple,
de prendre connaissance de lâhistoire des
sacs et de la bille observĂ©e, dâinterroger
leurs propriétaires, de comprendre les
modes dâutilisation des billes, etc. Lâen-
quĂȘteur pourra comparer diverses carac-
téristiques de la bille observée et des billes
dans les sacs (par exemple, leur taille, leur
texture, leur degrĂ© dâusure ou de blan-
cheur, etc.). Le rĂ©sultat de lâenquĂȘte
nâaboutira pas Ă coup sĂ»r Ă une vĂ©ritĂ© abso-
lue, mais plutÎt à une présomption plus ou
moins forte pour une hypothĂšse qui sera
Ă©ventuellement trĂšs Ă©loignĂ©e de lâhypo-
thĂšse statistique initiale.
Lâabduction est utilisĂ©e Ă chaque fois quâil
sâagit de comprendre une situation parti-
culiĂšre, dont les contextes de survenue ne
sont pas connus a priori (11). Câest la
façon dont opÚre la psychologie populaire,
mais aussi les disciplines qui nécessitent
un travail dâenquĂȘte. En faisant une hypo-
thĂšse, voire en comparant plusieurs hypo-
thĂšses, lâabduction recherche un ou plu-
sieurs systĂšme(s) dâappartenance, ou
encore une intersection de plusieurs sys-
tĂšmes dâappartenance, qui permettent de
comprendre un cas unique qui Ă©chappe
aux généralisations. Bien souvent, en se
laissant entraĂźner par lâintuition immĂ©-
diate, la gĂ©nĂ©ralisation risque dâinduire en
erreur, en brouillant les pistes ou les cartes
qui mĂ©riteraient dâĂȘtre examinĂ©es mĂ©tho-
diquement. Et si lâon cherche Ă dĂ©duire
uniquement la solution Ă partir des signes
directement observés, on risque de partir
de prĂ©misses fausses. En ce sens, lâab-
duction se garde de prendre les prémisses
dâune situation, câest-Ă -dire ses contextes
Ă©vidents, comme argent comptant. Dans
le champ clinique, les inférences abduc-
tives se révÚlent pertinentes dans la
démarche médicale courante, dans le tra-
vail dâinterprĂ©tation psychanalytique, dans
lâĂ©laboration dâhypothĂšses en thĂ©rapie
systémique, et sans doute dans bien
dâautres modalitĂ©s dâinterventions psy-
chothérapeutiques, qui sont ainsi autant de
multiples pistes de nature abductive.
SĂ©miologie et nosologie en
médecine et en psychiatrie
à partir des signes constatés cliniquement
(sĂ©miologie), le diagnostic positif sâĂ©la-
bore en faisant lâhypothĂšse que ces signes,
éventuellement réunis dans un syndrome
plus ou moins typique, correspondent Ă
une maladie répertoriée (nosologie). Le
diagnostic positif nâest ni une dĂ©duction
(raisonnement tautologique), ni une induc-
tion (gĂ©nĂ©ralisation Ă partir dâune rĂšgle ou
dâune loi dĂ©jĂ connue). Il repose sur une
abduction, câest-Ă -dire un raisonnement
conjectural, qui doit ĂȘtre confirmĂ© ou
infirmé par deux démarches complémen-
taires :
â le diagnostic diffĂ©rentiel, qui permet de
comparer cette premiĂšre hypothĂšse Ă
dâautres hypothĂšses renvoyant Ă dâautres
maladies, Ă©galement envisageables ;
â le diagnostic Ă©tiologique, qui prĂ©cise, par
une sĂ©rie dâexamens complĂ©mentaires, si
le choix qui a été fait est ou non le bon.
Deux autres démarches complÚtent le rai-
sonnement :
â lâĂ©laboration dâun pronostic, avec et sans
traitement, qui permet dâĂ©valuer, sur un
mode statistique, lâĂ©volution de la mala-
die ;
â la mise en Ćuvre de traitements, dont les
effets contribuent à confirmer, infléchir ou
infirmer le diagnostic initial. En cas
dâĂ©chec de la thĂ©rapeutique habituelle-
ment efficace, il peut sâagir soit dâune
forme résistante de la maladie correcte-
ment diagnostiquĂ©e, soit dâune erreur Ă©tio-
logique, soit mĂȘme dâune erreur concer-
nant le diagnostic positif.
Lâapplication de ce modĂšle mĂ©dical en
psychiatrie est présente ou non selon les
Ă©coles et se trouve plus ou moins
congruente Ă la nature des troubles consta-
tés. Elle correspond à la méthode ana-
tomo-clinique de Laennec, qui caractérise
la tradition française de lâenseignement
médical. Elle apparaßt pertinente dans le
cas des dĂ©pressions, oĂč un mĂȘme syn-
drome peut renvoyer Ă plusieurs maladies
différentes et à plusieurs étiologies. Il peut
sâagir, par exemple, dâune maladie
maniaco-dĂ©pressive, dâune dĂ©pression
rĂ©actionnelle, dâune hypothyroĂŻdie, dâune
tumeur cérébrale, etc.
Deux types de troubles viendront remettre
en cause, non le principe du raisonnement
abductif, mais le cadre imposé par la dis-
tinction entre sémiologie et nosologie.
Lâ h ystĂ©rie de conversion (et par exten-
sion, la phobie, ou hystĂ©rie dâangoisse, et
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mise au point
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