H i g H l i g H t s 2 010 : pat H o l o g i e La fusion génique TMPRSS2-ERG dans le cancer de la prostate Marqueur tumoral de nouvelle génération? Kirsten D. Mertza, Mark A. Rubinb, Gieri Cathomasa a b Kantonales Institut für Pathologie, Liestal Weill Cornell Medical College of Cornell University, NewYork, USA Kirsten D. Mertz Le Dr Rubin a découvert la translocation licensée pour le diagnostic et la thérapie. Quelque 5600 hommes développent chaque année en Suisse un cancer de la prostate, mais plus de trois quarts d’entre eux décèderont d’une cause indépendante de ce cancer. La recherche de marqueurs pronostics fiables et de stratégies thérapeutiques efficaces est dès lors d’une importance clinique extrême. L’hétérogénéité molé­ culaire du cancer de la prostate constitue cependant un gros défi pour le développement d’approches diagnos­ tiques, pronostiques et thérapeutiques adéquates. Les paramètres diagnostics actuellement disponibles (anti­ gène prostatique spécifique [PSA], screening, stade de Gleason, volume tumoral dans le matériel de biopsie) ne suffisent pas à une évaluation individualisée du traite­ ment et du pronostic. La caractérisation des modifications chromosomiques contribue de manière très significative à l’appréciation du risque individuel et au développement de nouveaux traitements contre le cancer. On pensait jusqu’ici que les modifications chromosomiques sous forme de transloca­ tions étaient l’apanage quasiment exclusif des leucémies, des lymphomes et des sarcomes. L’exemple le plus connu est la translocation des chromosomes 9 et 22 (au­ trement dit le «chromosome de Philadelphie») avec la fusion correspondante des gènes BCR et ABL1 propre à la leucémie myéloïde chronique (LMC). La découverte du chromosome de Philadelphie a révolutionné le traite­ ment de la LMC avec le développement de l’imatinibe, un inhibiteur spécifique du produit de la fusion génétique BCR­ABL1. Les translocations spécifiques à certains types de cancers ont toujours été considérées comme rares, mais la découverte, en 2005, de fusions géné­ tiques dans le cancer de la prostate a complètement bou­ leversé la conception de la biologie des tumeurs épithé­ liales [1]. La translocation la plus fréquente dans le cancer de la prostate est une fusion du gène modelé par les andro­ gènes TMPRSS2 avec un gène de la famille des facteurs de transcription ETS [1]. De tous les facteurs de trans­ cription ETS, le gène ERG est le partenaire de fusion le plus fréquent du TMPRSS2. Cette fusion se détecte de la façon la plus fiable à l’aide d’une hybridation par fluo­ rescence in situ (FISH) (fig. 1 x) [2]. Malgré l’identifica­ tion constante de nouveaux partenaires de fusion de la famille des ETS, la fusion génétique TMPRSS2­ERG est considérée aujourd’hui comme un marqueur représen­ tatif des fusions génétiques ETS dans le cancer de la prostate [3]. Compte tenu de la prévalence élevée du can­ cer de la prostate dans le monde, la fusion génique TM­ PRSS2­ERG est devenue la translocation la plus fré­ quente d’une manière générale dans les tumeurs malignes. La fusion des gènes TMPRSS2 et ERG est pré­ sente chez environ la moitié des patients avec cancer de la prostate. Pour que les patients atteints d’un cancer de la prostate puissent cependant véritablement tirer profit de la dé­ couverte de cette fusion génique, il faut parvenir dans une seconde étape à l’application de cette nouvelle ac­ quisition en pratique clinique. Entre­temps, la transcrip­ tion fusionnelle TMPRSS2­ERG peut être mise en évi­ dence dans l’urine des patients avec cancer de la prostate [4]. A l’inverse du PSA, qui est certes spécifique du tissu prostatique, mais pas du carcinome prostatique, la fusion génique TMPRSS2­ERG n’a été isolée à ce jour que dans des cellules néoplasiques. Cette translocation est donc nettement plus spécifique que le PSA. La spéci­ ficité et la sensibilité peuvent encore être augmentées en combinant la détermination de la fusion TMPRSS2­ERG, le screening du PSA et la mesure d’autres biomarqueurs. Un test urinaire détectant la présence de la fusion gé­ nique TMPRSS2­ERG sera très prochainement dispo­ nible sur le marché et permettra de simplifier le dépis­ tage précoce du cancer de la prostate. La fusion génique TMPRSS2­ERG a pu être mise en évi­ dence chez près de 20% des cas de néoplasie intraépi­ théliale prostatique de haut grade (PIN), à vrai dire au voisinage immédiat de cancers de la prostate invasifs [5]. Ces lésions PIN TMPRSS2­ERG positives semblent consti­ tuer de vrais précurseurs des cancers invasifs. Il paraît donc intéressant de déterminer plus particulièrement le status fusionnel dans les cas où les biopsies de la pros­ tate montrent des PIN de haut grade et/ou des glandes prostatiques atypiques. Dans les PIN isolés, la détermi­ nation du status fusionnel pourrait cependant aussi être utile dans les cas où un cancer invasif de la prostate aurait été manqué lors des biopsies. La présence dans ces cas d’une fusion TMPRSS2­ERG ouvre de nouvelles possibilités thérapeutiques. Le phénotype des tumeurs peut suggérer l’existence d’al­ térations moléculaires sous­jacentes. Des critères mor­ phologiques ont par exemple été décrits pour le cancer colorectal non polypeux héréditaire et pour les cancers du sein associés au BRCA1 et au BRCA2. Le cancer de la prostate TMPRSS2­ERG est associé à une constellation spécifique de propriétés morphologiques (modèle de croissance cribriforme, mucine bleuâtre, cellules en ba­ gue à chaton, macronucléoles, prolifération intracana­ laire) [6]. Il y a déjà un certain temps que la plupart de ces critères morphologiques a été mise en relation, indé­ pendamment des fusions géniques ETS, avec une évolu­ tion clinique agressive du cancer. En raison de données encore contradictoires, on ne peut pour l’heure répondre à la question de savoir si les fu­ Forum Med Suisse 2011;11(1–2):18–19 18 H i g H l i g H t s 2 010 : pat H o l o g i e Figure 1 Fusion génique TMPRSS2-ERG dans le cancer de la prostate. Les gènes spécifiques de la prostate TMPRSS2 et ERG à régulation androgénique sont distants d’environ trois mégabases sur le chromosome 21 (a). La fusion de ces gènes survient par délétion des régions du DNA situées entre ces deux gènes (b). Une alternative est l’insertion de ce fragment de DNA dans un autre endroit du génome, situé en-dehors du chromosome 21 (c). Représentation schématique des résultats FISH correspondants avec une sonde ERG verte de 5’ et une sonde ERG rouge de 3’ de l’ERG avec des images FISH représentatives (d). La co-localisation des sondes ERG 5’ et 3’ se trouve dans les cellules sans translocation et apparaît en jaune. sions géniques ETS ont une valeur pronostique permet­ tant une stratification des patients en groupes de traite­ ment. Une étude sur un collectif de patients avec cancer de prostate non traité (attitude d’observation – watchful waiting) indique cependant que les cancers TMPRSS2­ ERG sont effectivement caractérisés par une évolution clinique plus agressive que les tumeurs TMPRSS2­ERG négatives [7]. Les cancers de prostate surexprimant l’ERG semble avoir un pronostic particulièrement défa­ vorable, à l’instar des cas de leucémie myéloïde avec sur­ expression de l’ERG. Il a en outre été montré à plusieurs reprises que la fusion TMPRSS2­ERG est plus fréquente dans les cancers de prostate de haut grade tumoral. Les fusions ETS ne sont pas seulement des biomarqueurs spécifiques potentiels, mais aussi des cibles structurelles intéressantes pour les interventions thérapeutiques dans le cancer de la prostate. Les modifications morpholo­ giques typiques et l’évolution potentiellement plus agres­ sive propres aux carcinomes prostatiques TMPRSS2­ ERG positifs parlent pour la présence d’un nouveau sous­groupe moléculaire dans ces tumeurs. On a ainsi pu identifier un profil d’expression génique spécifique aux cancers prostatiques TMPRSS2­ERG [8]. Il en est ressorti que la fusion TMPRSS2­ERG n’est pas seulement régulée par des androgènes, mais aussi par des œstrogènes. La région promotrice TMPRSS2 peut être stimulée par l’in­ termédiaire du récepteur œstrogénique a et inhibée par l’intermédiaire du récepteur œstrogénique b [8]. Ce type d’enclenchement et de déclenchement de fusions TM­ PRSS2 ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques. La régulation œstrogénique pourrait aussi expliquer comment sont régulées et exprimées certaines fusions géniques comme celles observées dans les cancers de la prostate indépendants des androgènes. Les hommes at­ teints d’un cancer de la prostate TMPRSS2­ERG andro­ gène­dépendant profitent probablement dans une plus grande mesure d’un traitement anti­androgénique. Il est probable que les fusions géniques ETS joueront un rôle de plus en plus important dans les années à venir pour le diagnostic, l’évaluation du pronostic individuel et la prise en charge des patients avec cancer de la pros­ tate. La première application clinique des fusions ETS dans le cancer de la prostate interviendra vraisembla­ blement dans le diagnostic précoce non­invasif et dans le support au dépistage par biopsies. Nous pensons que des cancers prostatiques seront bientôt classés, comme les leucémies, en sous­groupes moléculaires caractérisés chacun par un pronostic et des traitements spécifiques bien définis. Correspondance: Prof. Gieri Cathomas Chefarzt Kantonales Institut für Pathologie Mühlemattstrasse 11 CH-4410 Liestal [email protected] Références 1 Tomlins SA, Rhodes DR, Perner S, Dhanasekaran SM, Mehra R, Sun XW, et al. Recurrent fusion of TMPRSS2 and ETS transcription factor genes in prostate cancer. Science. 2005;310:644–8. 2 Mertz KD, Setlur SR, Dhanasekaran SM, Demichelis F, Perner S, Tomlins S, et al. Molecular characterization of TMPRSS2­ERG gene fusion in the NCI­H660 prostate cancer cell line: a new perspective for an old model. Neoplasia. 2007;9:200–6. 3 Pflueger D, Terry S, Sboner A, Habegger L, Esgueva R, Lin PC, et al. Discovery of non­ETS gene fusions in human prostate cancer using next­generation RNA sequencing. Genome Res. 2010, in press. 4 Laxman B, Tomlins SA, Mehra R, Morris DS, Wang L, Helgeson BE, et al. Noninvasive detection of TMPRSS2:ERG fusion transcripts in the urine of men with prostate cancer. Neoplasia. 2006;8:885–8. 5 Mosquera JM, Perner S, Genega EM, Sanda M, Hofer MD, Mertz KD, et al. Characterization of TMPRSS2­ERG fusion high­grade prostatic intraepithelial neoplasia and potential clinical implications. Clin Cancer Res. 2008;14:3380–5. 6 Mosquera JM, Perner S, Demichelis F, Kim R, Hofer MD, Mertz KD, et al. Morphological features of TMPRSS2­ERG gene fusion prostate cancer. J Pathol. 2007;212:91–101. 7 Demichelis F, Fall K, Perner S, Andren O, Schmidt F, Setlur SR, et al. TMPRSS2:ERG gene fusion associated with lethal prostate cancer in a watchful waiting cohort. Oncogene. 2007;26:4596–9. 8 Setlur SR, Mertz KD, Hoshida Y, Demichelis F, Lupien M, Perner S, et al. Estrogen­dependent signaling in a molecularly distinct subclass of aggressive prostate cancer. J Natl Cancer Inst. 2008;100:815–25. Forum Med Suisse 2011;11(1–2):18–19 19