le zèbre, à l’image de Frankie, est source de respect et d’envie. Non seulement le caractère de
l’animal et celui de son équivalent humain se répondent presque identiquement, l’animal
semble d’une façon générale plus humain, plus civilisé, que son interprète.
Si la pièce présentée au Quat’Sous, Le Royaume des animaux, est l’histoire d’une troupe
d’acteurs sur le déclin, la pièce qu’ils jouent, Au Royaume des animaux, est l’histoire d’une
communauté animale marquée par la déchéance. Cette dernière, plus spécifiquement, retrace
diverses formes d’être en commun, des plus anciennes aux plus récentes. Du côté de la troupe,
on voit divers acteurs confrontés à leur propre déchéance et prisonniers de la logique du marché
qui gouverne aujourd’hui le milieu des arts.
« ISABEL. A m’a pas reconnue. Ça veut dire quoi négocier, a m’a même pas reconnue, ça veut dire
quoi négocier, a sait même pas que j’travaille ici. / Et qu’avez-vous fait ces dernières années, elle
m’a demandé. / Qu’est-ce que vous voulez dire – / Oui, ce que vous avez fait ces dernières années
– / Mais voyons vous me connaissez, vous connaissez pourtant mon contrat – vous savez bien ce
que j’ai fait pendant les dernières années, la genette, c’est ça que j’ai fait les dernières années. »
(acte 1, scène 3)
Un des enjeux centraux de la pièce constitue le processus de négociations : les cinq acteurs
veulent continuer à travailler, mais Le Jardin des choses, prochaine production à laquelle
participera la troupe, n’est écrite que pour quatre interprètes. Un d’entre eux se retrouvera
donc techniquement sans emploi, du moins le pensent-ils, ce qui donne lieu à une question qui
revient de manière récurrente : « qu’arrive-t-il à ceux avec qui on ne négocie pas ? » Il n’est
à cet égard pas futile de souligner que les rôles pour lesquels ces acteurs négocient, ce sont
des objets de consommation journalière : un toast, un moulin à poivre, une bouteille de
ketchup et un œuf miroir. Comble de dégradation que de passer de l’humain animalisé à
l’humain chosifié, post-humain au sens le plus plat et aliénant qui soit. Le Jardin des choses,
élaboré par le metteur en scène Chris, porte en lui une critique de la situation actuelle du marché
de l’art, articulée au moyen d’un dispositif tenant de la dramaturgie de l’image. Chris dit au sujet
de sa pièce que « les gens comprennent pas ça en lecture, ça là, faut que les gens le voient, pas
qu’y l’entendent. » (acte 2, scène 3) Toutefois, comme c’est souvent le cas avec les œuvres d’ar-
tistes happés par leur propre succès et leur institutionnalisation, la critique finit par se dissoudre
derrière l’immédiateté de l’image représentée et soudain, elle n’est plus.
La tradition critique de la dramaturgie allemande est ainsi fortement présente dans le texte.
En élaborant des situations où les personnages sont placés face à leurs propres contradictions,
l’auteur crée un théâtre à caractère dialectique. C’est là l’objet de la parabole que nous avons
mentionnée plus haut. De nombreuses scènes de la pièce constituent le miroir d’une autre, et
les scènes jouées par les personnages constituent elles aussi le miroir de ce qu’ils vivent dans
les coulisses, de sorte que le caractère dialectique et critique se trouve inscrit dans la structure
même de la fable. Les quelques répliques que nous avons ici placées en exemple montrent en
outre qu’il n’est pas uniquement décelable du point de vue de la structure globale, mais aussi
dans sa microstructure.
THÉÂTRE DE
QUAT’SOUS
CAHIER
D’ACCOMPAGNEMENT