
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Finance 99
Dossier II
Financer autrement ?
mai-août 2012
les banques de l’économie sociale vont jouer elles aussi la carte
de l’internationalisation. L’entrée en bourse du groupe ou de ses
filiales et le développement par croissance externe constituent
une forme de rupture avec les caractéristiques majeures du
modèle coopératif bancaire.
La banque coopérative était attachée au cercle de proximité,
au collectif et à la communauté d’intérêts. Le sociétaire (ou
l’adhérent) est en principe le personnage-clé du fonctionnement
coopératif. Avec l’internationalisation des banques, les usagers
ne sont plus tout à fait des sociétaires et s’ils le deviennent, ils
ne respecteront pas pour autant les modèles de base du système
coopératif. Dans le cadre d’une croissance des établissements
qui s’accentue et qui dilue les pouvoirs, comment ces usager–
sociétaires pourraient-ils continuer à exercer leur action lors des
assemblées générales en respectant le principe un individu =
une voix, en particulier lorsqu’il s’agit de définir les orientations
stratégiques de la banque ?
La participation aux votes des sociétaires dans les assemblées
générales des caisses locales dépasse rarement 5 %. Seuls la
Nef et le Crédit Coopératif en France ont un nombre de votants
supérieur à 10 %. Ce taux de participation peu significatif
s’explique par la faiblesse de la capacité des sociétaires à
peser sur les décisions et à percevoir un impact immédiat sur
la situation de chacun (A. Rousseau et Y. Regnard, 2011). De
fait, la démocratie représentative l’emporte nettement sur la
démocratie participative.
Concernant le mode de gouvernement, les fonctions de présidence
et de direction sont dissociées. Les sociétaires participent à
l’élection de leurs représentants, c’est-à-dire les administrateurs,
qui vont ensuite eux-mêmes élire un président. La coopérative
peut également retenir dans ses statuts la mise en place d’un
conseil de surveillance et d’un directoire, formule préconisée
pour les sociétés de capitaux. Ce choix conduit le plus souvent
à la professionnalisation très forte des fonctions de direction
et de contrôle et atténue le caractère démocratique du système
coopératif.
Alors que le président est élu au sein d’une fédération parmi
les sociétaires puis parmi les administrateurs, le directeur est
désigné et il est salarié. Il dirige la structure salariée et organise
les activités nécessaires pour mettre en œuvre les orientations
fixées par la structure politique. Dans le cas des banques
coopératives, le président n’est pas porteur de parts sociales. Il
n’exerce pas une fonction ouvrant droit à une rémunération mais
il peut recevoir une indemnité pour le temps et l’énergie déployés.
Cette approche fondée sur le bénévolat ne correspond pas
toujours à la réalité. Ainsi les montants perçus par le président
du conseil d’administration du Crédit Agricole en 2006 se sont
élevés à 288 000 € de rémunération fixe, 16 500 € de jetons
de présence et 141 000 € d’avantages divers (C. Collette et
B. Pigé, 2008).
Les droits individuels permettent formellement à chaque sociétaire
de faire entendre son point de vue mais ces droits ne lui donnent
pas réellement la possibilité de contrôler les dirigeants salariés.
Ce sont en fait ces professionnels qui disposent d’une grande
liberté d’action. Les représentants des sociétaires ne pourront
exprimer un désaveu à l’égard des professionnels que face à
de mauvais résultats économiques. On peut comprendre que
les dirigeants salariés agissent dans le sens des intérêts des
sociétaires dès lors que les primes sont liées aux performances
annuelles ou pluriannuelles. La « technostructure » salariée
prend néanmoins de plus en plus d’importance au regard de la
hiérarchie « politique ».
Certes les conditions d’attribution des primes dépendent d’objec-
tifs quantifiés et fixés au nom des sociétaires ou par le conseil
d’administration. Elles ne dépendent pas des marchés finan-
ciers.
L’entrée en bourse des groupes ou de leurs filiales va pourtant
introduire une composante actionnariale et des liens plus étroits
avec les marchés financiers. Cela a été le cas avec l’introduction
du Crédit Agricole en 2001 ou avec la création de Natixis, filiale
des Banques Populaires cotée en bourse. Le modèle coopératif
en est déstabilisé car il y a bien introduction d’une société
anonyme et apparition de nouveaux agents, les actionnaires. La
croissance externe, en lien direct avec l’introduction en bourse,
produit de nouveaux comportements et de nouvelles approches
en termes d’organisation, de rapport au client, de portefeuille
de produits proposés et de valeurs.
Dans le prolongement de ces logiques, la question cruciale de
l’évolution des fonds propres des banques coopératives a été
soulignée par Sandrine Ansart et Virginie Monvoisin :
« Les normes réglementaires et les nouveaux accords de Bâle III
n’intègrent pas toutes les spécificités des banques coopératives
et risquent de les plonger d’autant plus dans des exigences et des
comportements similaires aux banques capitalistes » (S. Ansart
et V. Monvoisin, op.cit., p.216).
Pourtant, Philippe Naszályi a justement indiqué que les établis-
sements mutualistes comme le Crédit Mutuel, les Banques
Populaires ou le Crédit Agricole disposaient d’un ratio de solvabilité
(ratio Cooke) supérieur à 10 % alors que la norme fixée est de 8
%. De même, le ratio de solvabilité dit « core tier one », présenté
comme pivot de la réforme Bâle III s’établit à 9% pour le Crédit
Agricole, 10% pour PBCE et 11,5% pour le Crédit Mutuel, soit bien
au-dessus des seuils exigés (Ph. Naszályi, 2011). Cela montre
que la forme bancaire coopérative et mutualiste apporte jusqu’à
ce jour les garanties et les sécurités souhaitables.
L’association Attac et Les Amis de la terre viennent de publier en
novembre 2011 un rapport de notation citoyenne des banques.
Ces dernières sont jugées sur leur comportement dans les cinq
domaines d’impact de leur activité : la stabilité financière, leurs
usages-clients, leurs salariés, l’environnement et les populations
locales et la démocratie.
« Deux petits établissements coopératifs, le Crédit Coopératif
et La Nef (qui n’est pas encore une banque à part entière), se
distinguent par leur fidélité à leurs idéaux coopératifs et solidaires.
L’un comme l’autre sont loin devant le reste des banques,
tant par leur prise en compte des conséquences sociales et
environnementales de leurs pratiques, que par leurs politiques
commerciales et de prise de risques. À noter que ces acteurs
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