353
Lobjet symbolique sacré
du bouddhisme et son double mode
de communication dimensionnelle :
la pagode et le mandala
Jung-hae kIm1
Comment montrer d’emblée l’ensemble d’un système de connaissances à travers un
objet symbolique ? Comment réunir des unis de signes dans leur cohérence théo-
rique et empirique en un seul objet ? La pagode et le mandala remplissent ces ob-
jectifs : l’une en trois dimensions et l’autre en deux dimensions forment un ensemble
voilant les connaissances que les initiés couvrent par trois modes de lecture,
externe, interne et alternatif. En tant que modèles réduits du cosmos, de lêtre hu-
main, du Bouddha, ce sont des objets médiateurs pour le développement de notre
esprit d’Éveil, au moyen d’une visualisation et d’une concentration mentales. Ce sont
des objets qui moignent de l’efcacité des instruments symboliques qui agissent
directement sur notre conscience.
Mots-clés : pagode, mandala, pluridimension, microcosme, macrocosme, éveil
How can one immediately show the entirety of a knowledge system through a sym-
bolic object? How can one bring together sign units in their theoretical and empirical
consistency in a single object? The pagoda and the mandala meet these objectives:
one in three dimensions and the other in two dimensions form a whole that reveals
the knowledge that the initiated discover through three methods of reading: external,
internal and alternative. As scale models of the cosmos, of the human being and of
Buddha, these objects act as mediators for the development of our spirit of enlighten-
ment, through mental visualization and concentration. These objects demonstrate the
effectiveness of symbolic instruments that directly affect our consciousness.
Keywords : pagoda, mandala, multidimension, microcosm, macrocosm, enlighten-
ment
1 Jung-Hae KIM enseigne à l’Université Yonsei à Séoul en Corée du Sud. Diplomées de la Littérature
française et comparée de l’Université Paris IV-Sorbonne et de lAnthropologie et Histoire des religions
à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris. Elle était chercheuse du groupe E.I.D.O.S. (Etudes de
l’Image Dans une Orientation Sémiotique) et secrétaire adjoint de A.I.S.V. (Association Internationale
de Sémiotique Visuelle).
354
OBJETS & COMMUNICATION MEI 30-31
Un objet architectural sacré
Parmi les objets architecturaux sacrés que lon peut trouver dans tous les temples
bouddhistes, il y a les pagodes et les mandalas que les bouddhistes reconnaissent
comme objet cultuel. Pour les non-initiés, la pagode et le mandala apparaissent
comme deux objets indépendants l’un de l’autre. Mais si la pagode est un édifice
tridimensionnel, il sufrait de regarder la pagode d’en haut pour retrouver la
forme du mandala qui est l’objet bidimensionnel présent dans la pagode. Ces
deux objets symboliques forment nalement un tout. En les associant, la com-
munication des symboles au sein de l’objet devient plus intelligible. Lenjeu de
ce travail consiste à révéler la corrélation existante entre le double mode de com-
munication dimensionnelle de ces objets et leur système symbolique sur le plan
plastique et sur le plan iconique. En même temps, on lira chaque objet selon trois
modes qui en permettront la compréhension intégrale sur le plan de la pratique
symbolique. Dans la mesure ils sont les médiateurs de l’enseignement boudd-
histe, la pratique attachée à ses objets transforme leur symbolique statique en une
dynamique opérationnelle pour la réalisation spirituelle de soi.
La signification confuse attachée à l’objet
Le sens profond de la pagode est très peu connu du public. Celui qui voit une pa-
gode pour la première fois ne verra quune architecture sacrée ou un monument
religieux. Celui qui pratique le bouddhisme connaît au moins la signification la
plus répandue de la pagode: c’est un reliquaire du Bouddha. Le stûpa indien, lori-
gine de la pagode, a été construit pour contenir les reliques corporelles (sarîrad-
tu) du Bouddha. La légende veut qu’à la mort du Bouddha kyamuni au Ve
siècle avant J.-C., ses reliques (sarîra) furent réparties après la crémation entre les
rois présents à la cérémonie. Une fois rentrés dans leur royaume, chacun deux fit
construire un stûpa destiné à conserver les reliques qu’il avait reçues. Par la suite,
on attribue au roi indien Açoka la diffusion du modèle du stûpa en Inde, puisqu’il
en aurait fait construire plus de 84000 au IIIe siècle avant J.-C.
Le stûpa indien avait à l’origine une forme hémisphérique simple, puis, avec la
propagation du bouddhisme en Asie, le stûpa prit différentes formes; et, en par-
ticulier, à travers la doctrine du Grand-Véhicule (mahâyâna) il prend une forme
symbolique plus chargée en repsentant lenseignement bouddhiste. Le mot
français ‘pagode’ vient du portugais ‘paxoda’ au XVIe siècle, lequel venait de la
langue tamoule ‘pagavadam’. Lorigine du mot en sanskrit bhagavatî’ signifie
‘la vénérable’, ’la divinité’. Cette étymologie laisse déjà se dessiner le sens qu’on
donne à la pagode.
En Asie, si un temple ne possède pas une relique du Bouddha à conserver dans la
pagode, on met à sa place les reliques des grands moines ayant résidé au temple,
355
ou bien les textes bouddhistes (sûtra), en tant que symboles du corps dharmique
du Bouddha (dharmakâya). Une autre usage que les bouddhistes font de la pagode
est la circumbulation : il sagit de tourner autour de l’axe de la pagode dans le
sens des aiguilles d’une montre (pradaksinâ). Ceci vient de la tradition en usage
à l’époque du stûpa açokéen, comme nous pouvons le voir aujourd’hui illust
avec le stûpa de Bhârhut ou de Sâñcî dont la forme de grand dôme entouré dune
balustrade permet de procéder à la circumbulation, en tournant dans le sens de
la svâstika, de droite à gauche, ce qui représente l’acte de dévotion et d’offrandes.
Le cas de deux pagodes coréennes : Sukgatap et Dabotap
On commença à ériger des pagodes en Corée dès que le bouddhisme fut devenu
religion d’Etat au IVe siècle. La pagode en coréen se prononce ‘tap’, ce qui té-
moigne de son origine étymologique, en sanskrit ‘stupa. Le ‘s’ de ‘stupa’ devient
muet en pali. En passant par la Chine, il se prononce ‘tapa’ ; ensuite, en coréen,
le ‘tapa’ devient simplement ‘tap’.
Au IVe siècle, la pagode est érigée avec des matériaux en bois ou en brique. Mais
les pagodes en bois de cette époque n’existent plus aujourd’hui, sauf au Japon, à
Nara par exemple où l’on peut voir une pagode de cinq étages en bois, construite
par des artisans coréens au VIIe siècle (restaurée depuis). En Corée, les pagodes
qui subsistent sont souvent en pierre.
Sukgatap © kimyoungsun 2009
(Image 1) Dabotap.© kimyoungsun 2009
(Image 2)
l’OBJET SyMBOlIqUE SACré dU BOUddhISME ET SON dOUBlE MOdE dE COMMUNI-
CATION dIMENSIONNEllE : lA pAgOdE ET lE MANdAlA
OBJETS & COMMUNICATION MEI 30-31
356
Les pagodes coréennes présentes sur les images ci-dessous se trouvent actuelle-
ment dans le temple Bulguk, dans la ville de GyungJou au Sud-Est de la Corée,
la capitale à l’époque du royaume de Silla. Le temple a été construit en 535, et les
deux pagodes ont été construites autour de lannée 751, l’année de l’élargissement
du temple. Les pagodes se trouvent côte à côte dans la cour du timent principal,
la salle du Bouddha. La hauteur de ces pagodes atteint un peu plus de dix mètres.
L’une s’appelle Sukgatap et l’autre Dabotap. Sukga est l’appellation coréenne pour
Sakya, qui désigne le bouddha historique Sâkyamuni, ‘le Sage des Sâkya’. Dabo
signifie ‘maint trésor’, c’est un nom attribué au Bouddha Prabhutaratna2. Le fait
que ces deux pagodes se trouvent au même endroit fait référence à une scène du
Sûtra du Lotus3. Dans le chapitre XI, ayant entendu l’enseignement du Bouddha
Sakya, le Bouddha Prabhutaratna est apparu sous la forme d’une tour pour faire
l’éloge de l’enseignement du Bouddha.4 Dans le Sûtra, le Bouddha explique que
le Bouddha dans la Tour aux trésors (Dabotap) est le corps intégral dun Ainsi-venu
(tatgata), une des appellations du Bouddha. Ici est révélée la symbolique de la
pagode : en effet, elle représente le corps du Bouddha et en même temps sa tour
funéraire (stûpa), selon le Sûtra. Au début de la voie de bodhisattva5, Prabhutarat-
na fait ce vœu solennel : « Si, après que je suis devenu un bouddha et entré dans
l’extinction, en n’importe quel lieu des terres des dix directions se trouve prêc
Le Sûtra du Lotus, afin que je puisse écouter ce Sûtra, ma tour funéraire y surgira
précisément, pour attester de la véracité de ce Sûtra et en louer l’excellence. »6.
Alors que ce bouddha était sur le point d’entrer dans l’extinction, au milieu de la
grande assemblée, il sadressa aux moines : « Après mon entrée dans l’extinction,
si certains veulent faire des offrandes à mon corps dans son intégralité, qu’ils
érigent alors une grande tour »7. Le Sûtra de Lotus afrme ainsi que le corps du
Bouddha, la Tour (la pagode) et la tour funéraire (stûpa) sont identiques.
2 Le terme ‘bouddha’ signifie ‘celui qui a atteint à l’Éveil suprême’. Les autres bouddhas ont fait leur ap-
parition sur terre avant le Bouddha Sâkyamuni. Un des bouddhas du passé connu s’appelait Dîpanka-
ra, et le Maitreya est le bouddha à venir. Le Bouddha Prabhutaratna est un des bouddhas déjà apparus.
3 Le Sûtra de Lotus est l’un des textes fondamentaux du mahâyâna, le bouddhisme du Grand-Véhicule.
4 « A ce moment, devant le Bouddha, une tour ornée des sept trésors, […], surgit de terre et resta suspen-
due dans les airs. », Servan Schiriber, S. et Albert, M. (2007). Le Sûtra du Lotus, pour la traduction
française de la traduction américaine de Watson, B. ; Les Indes savantes, Paris, 171.
5 Le boddhisattva est un être qui, ayant atteint l’Éveil, retarde son entrée au nirvâna (auquel le bouddha
est arrivé et quitte le cycle de la transmigration (samsâra)) afin d’aider les autres êtres.
6 En 1966, pendant la restauration de la pagode, les contenants des sarira et un texte bouddhiste (trésor
nationale 126) ont été découverts à l’intérieur de la Sukgatap. Le texte bouddhiste imprimé qui fut
découvert est considéré comme le plus ancien imprimé xylographique au monde, s’il date bien de 751.
7 La forme de la goutte symbolise la substance concentrée dans les centres énergiques, à l’intérieur du
corps. Si la goutte est située au somment de la hampe, elle signifie plus particulièrement l’essence de
l’Éveil.
357
En outre, la scène de la rencontre des deux Bouddhas montre quils disposent de
pouvoirs d’émanation omniprésents, sans limite spatiale et temporelle.
Un objet symbolique du corps cosmique et du corps humain
Le Sukgatap8 représente donc en une forme simplifiée des éléments qui forment
le corps humain, en même temps que ceux du corps cosmique. La forme care
du soubassement se décompose en plusieurs étages, représentant les éments
de l’Espace, de l’Air, du Feu, de l’Eau et de la Terre. Il y a ensuite cinq étages
cars dans les toitures : les trois plus grands, un étage plus petit au-dessus, et
enfin un autre étage encore plus petit situé avant le commencement des éléments
symboliques de la hampe.
Ensuite, la partie hampe représente l’axe central du monde ou la colonne ver-
brale de l’homme, constituée des formes des anneaux, de lombrelle, de la lune, du
soleil, et de la goutte9 ou de la perle. La pagode conserve les éléments qui ornaient
le stûpa, là où l’on mettait la hampe en porte-parasol, signe royal de la naissance
d’un prince du clan Sakya. La hampe en porte-parasol est entourée d’une sorte de
petite boîte (harmikâ). Ces différents éléments concrets du stûpa sont transformés
dans la pagode en éléments symboliques comme le soleil, la lune, l’ombrelle, etc.
Quant à Dabotap10, elle se différencie de la Sukgatap, laquelle a une forme plus
simple. Le type de la Dabotap est un exemple unique dans le style de la pagode
coréenne. Elle se distingue par la présence de balustrades à chaque étage. Dans
le Sûtra du Lotus, il est mentionl’apparition d’une tour ornée qui « comptait
plus de cinq cents balustres, … ». Ces balustrades nous rappellent aussi la balus-
trade (vedikâ) du stûpa de Bhârhût ou de Sâñcî de l’Inde. Ce qui distingue encore
la Dabotap est la présence de quatre escaliers, dont les deux piliers posés à leur
commencement nous rappellent les portiques (torana) du stûpa. Aux entrées des
points cardinaux, les quatre lions sont présents en tant que gardiens des portes11.
Le premier étage de la Dabotap est carré, le deuxième étage est de forme octogo-
nale, et les symboles des éléments montés sur la hampe sont presque identiques
à ceux de la Sukgatap; quelques éléments manquent cependant ici.
8 Pendant l‘occupation japonaise, à l’occasion de la restauration de la Dabotap en 1925, le contenant
des reliques et les textes bouddhiques ont disparu.
9 Les trois statues de lion ont disparu, une seule fut retrouvée et elle est actuellement conservée au British
Museum.
10 Tous les bouddhas sont les manifestations du bouddha primordial.
11 Les images sont tirées du livre de Brauen, Martin (2004). Mandala, cercle sacré du bouddhisme ti-
bétain, avec des photographies de Peter Nobel et Doro Röthlisberger. Traduit de l’allemand par Jean-
Daniel Pellet, Favre, Paris, Lausanne. [édition originale (1992). Der heilige Kreis im tantrischen Budd-
hismus, Dumont, Cologne], p. 113 les documents sont reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteur.
image 3 : Peter Nobel, Doro Röthlisberger et Martin Brauen
image 4 : objet : Pema Namdol Thaye et Ngawang Namgyal Sherpa(1990) photo : Peter Nebel
image 5 : dessin : Andreas Brodbeck et Peter Nebel
image 6 : dessin : Andreas Brodbeck et Pema Namdol Thaye
l’OBJET SyMBOlIqUE SACré dU BOUddhISME ET SON dOUBlE MOdE dE COMMUNI-
CATION dIMENSIONNEllE : lA pAgOdE ET lE MANdAlA
1 / 10 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !