UNIVERSITÉPARISDESCARTES
Laboratoired’EthiqueMédicale
etMédecineLégale
Directeur:ProfesseurChristianHERVÉ
MASTER2ETHIQUE
"ETHIQUEMEDICALEETBIOETHIQUE"
ANNÉEUNIVERSITAIRE20142015
«Récitsd’hôpitalenphilosophe»
Seraconter,sedécideretmoinssouffrir
Présentéetsoutenupar
ChristelleNélaton
Directeurdumémoire:MarieFranceMamzer
Nowadays, pain seems to be measured, an object that is both recognized and treated
by physicians and all the people who take care of patients at the hospital. Likewise,
psychological suffering seems to be better recognized than it was in the past, treated by
psychologists, psychoanalysts, and psychiatrists. But can moral suffering be reduced to
psychological suffering? Does illness cause existential questions, new but inescapable issues,
especially when the patient must choose a treatment? What do we want? How far do we want
to go? What are our ethic, and what do they imply? If today, narrative can be considered as a
mean of treatment of moral suffering by physicians, can narrative be written and studied by
philosophers to understand how decisions are made? Can't this new interest in the patient's
autonomy be considered as another way of taking care of him ?
This work can be considered as an introduction to Richard Zaner’s thought. The
intention was not to encourage France to imitate the United States, but to highlight a possible
new relation between philosophy, narrative, decision-making and moral suffering.
Nous pouvons considérer que la douleur des patients, mesurée et objectivée, est
désormais bien prise en charge à l’hôpital. La souffrance psychologique semble aussi mieux
reconnue que par le passé, et prise en charge par les psychologues, les psychanalystes et les
psychiatres. Mais la souffrance morale du malade se réduit-elle à cette souffrance
psychologique ? La maladie ne provoque t-elle pas un questionnement existentiel inédit, et
pourtant incontournable, notamment lorsqu’il s’agit de se décider quant à ses traitements ?
Que voulons-nous ? Jusqu’où voulons-nous aller ? Quelles sont nos options morales
habituelles et vers quoi nous conduisent-elles ? Si la narration peut-être envisagée comme un
outil de prise en charge de cette souffrance morale utilisable par les médecins eux-mêmes, le
récit ne peut-il pas aussi être écrit et/ ou exploité par le philosophe pour accompagner une
meilleure compréhension du processus de décision ? A titre de conséquence, cette autre
attention portée à l’autonomie du patient ne peut-elle pas constituer une nouvelle prise en
charge de la souffrance morale ?
A partir des écrits du philosophe américain Richard Zaner, ce travail ne cherche pas à
élaborer une imitation à la française du modèle américain, mais il tente d’éclairer une
nouvelle relation qui pourrait se tisser entre la philosophie, la narration, la prise de décision et
la souffrance morale.
Sommaire
Introductionp.1
Chapitre1:Lesfondementsd’untravailnarratifduphilosopheauprèsdespatients. p.8
a Lephilosopheetladyadethérapeutique:lavulnérabilitédupatient,lepouvoirdumédecin,
quepeutyfairelephilosophe?p.8
b Delanarrationàlaprisededécision:unemaïeutiquespirituellepourmoinssouffrir?p.13
c Ledouteduphilosopheetl’attitudecritiqueenéthique:accordnaturelauchevetdu
patient…p.17
d L’éthiqueducareàl’hôpital.p.19
e Lecorpsmédical:entreledouteetlebesoin.p.22
Chapitre2:Lespréceptesméthodologiques,desrepèrespourlephilosopheetlecorpsmédical.
p.24
Premierprécepte:répondreàl’appelducorpsmédical.p.24
Deuxièmeprécepte:Ecouterd’abord…p.25
Troisièmeprécepte:parlerdessujetsquifâchentousavoirleséviter…  p.27
Quatrièmeprécepte:êtreunfacilitateurdeconversationpourfaireémergerl’évidence
d’unedécision.p.29
Cinquièmeprécepte:écrirecequidevaitêtreoublié.p.31
Sixièmeprécepte:mettreenrelationdeshistoires,unapportpourlemédecin. p.32
Uneméthodeefficace…p.33
Chapitre3:Lesobstacles:lephilosophe,cetétranger…p.34
a DeséthiciensenFrance?p.34
b Lephilosophe,unirrémédiableétrangeraumondemédical,auxpatientsetàsafamille?
p.36
c Despsychologues,despsychanalystes,despsychiatresàl’hôpital:pourquoifaudraitil
encoredesphilosophes?p.38
d Unobstacleéthique:leproblèmedusecretmédical.p.40
e Desobstaclespratiques:présentationdesoi,rémunérationetassurance. p.42
Chapitre4:avonsnousencorebesoindephilosophie?Identificationdequelqueslieux.p.44
a Al’hôpitalp.44
Ledomainedelatransplantation.
L’autismeetleslimitesdelapsychiatrie.
Laréanimationpédiatrique.
b Aucœurdulienville/hôpitalp.48
Lesmaladesd’Alzheimer.
Lafindevie.
c Ducôtédelapréventionp.50
L’exempledelatransfusionsanguine.
Conclusion:Héritage,inscriptiondanslecontemporainetproposition.  p.53
TableauanalytiquedesinterventionsdeRichardZaneràl’hôpitalp.56
Bibliographiep.57
Indexp.63
1
Introduction
Dante, Tolstoï, Kafka, Shakespeare, Mann, Camus, Hemingway ou encore Conan
Doyle, autant d’écrivains convoqués au chevet des patients et qui ont ainsi prétendu
développer une connaissance par la narration1. Raconter peut faire connaître, et raconter le
vécu du patient peut constituer une source de connaissances précieuses pour le corps médical.
Ce type d’approche permet indéniablement d’aider le médecin à appréhender le discours du
patient et son vécu de la maladie, mais cela peut aussi constituer une aide pour le patient lui-
même qui cherche à s’approprier le discours objectif et scientifique du médecin.
Dans cette perspective, Monagle et Thomasma résument ainsi la singularité de cette
approche :
« Reconnaître l’importance de la littérature pour la médecine contribue à la
promotion d’une nouvelle approche du questionnement éthique. Les médecins
doivent connaître les principes de l’éthique médicale ; ils doivent aussi
apprendre à appréhender la vie de leur patient dans toute sa complexité morale.
L’approche analytique de l’éthique seule réduit les conflits humains à des
problèmes rationnels qui doivent être résolus, tandis qu’une approche narrative
de l’éthique présente les étapes particulières de la maladie avec toutes leurs
contradictions et leurs significations, en vue de leur interprétation et de leur
compréhension. […]. L’éthique narrative met à disposition un genre de savoir
que les néo-kantiens allemands appelaient Verstehen, c’est-à-dire une
appréhension puissante, concrète et riche de sentiments, de valeurs, de
croyances et d’interprétations qui composent la véritable expérience de la
personne malade »2.
Par l’éthique narrative, c’est alors le sens de la maladie pour le patient, et non
seulement les causes et les moyens de la soigner, qui serait appréhendé. Les diverses
tentatives de l’éthique narrative peuvent s’appréhender comme différents moyens de
reconnaître le patient comme personne au-delà de son corps, souvent objet exclusif du soin.
Conscients de l’insuffisance du dualisme cartésien, les médecins eux-mêmes ont proposé des

1 Narrative knowledge en anglais.
2 « Literature and medicine : Contributions to Clinical Practice » in Gaille, Philosophie de la
médecine, Vrin, 2011, Tome I, p. 27.
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