
845
d) Quel horizon ?
La politique monétaire fait sentir ses effets sur l’économie, en particulier sur l’inflation avec des longs
décalages. Dans les pays industrialisés, on estime en général à environ deux ans le délai qui s’écoule entre le
moment où sont prises les mesures de politique monétaire et celui où elles agissent sur le taux d’inflation.
Des horizons plus courts, un an par exemple, qui ne sont pas rares dans les pays dotés de cibles d’inflation,
peuvent causer bien des problèmes.
1. Le premier problème que pose un horizon trop court a trait à la «contrôlabilité», soit aux « ratages »
fréquents de la cible d’inflation, même quand la politique monétaire est conduite de façon optimale.
2. Le deuxième problème réside dans l’instabilité possible des instruments de la politique monétaire. En
effet, quand l’horizon est court, on peut être amené à modifier trop souvent le niveau des instruments
afin de respecter les cibles.
3. Troisième et dernier problème : un horizon trop rapproché implique qu’on n’accorde pas suffisamment
de poids aux fluctuations de la production dans la fonction de perte de la banque centrale.
La solution au problème consiste à établir les cibles d’inflation deux ans à l’avance, ce qui implique la fixation
de cibles pluriannuelles. Ainsi, la cible de l’année civile en cours serait arrêtée deux ans auparavant et
coexisterait avec celle de l’année à venir, définie elle aussi deux ans à l’avance. Les autorités pourraient faire
varier la cible d’une année à l’autre, pour éviter que les chocs subis par l’économie, spécialement les chocs
d’offre, l’entraînent des fluctuations excessives de la production. En outre, la prise en compte, comme il se doit,
des fluctuations de la production dans la fonction objectif de la banque centrale oblige à adopter une approche
gradualiste dans la poursuite de la cible d’inflation à long terme. D’où l’utilité d’un système de cibles
pluriannuelles, dont l’une puisse différer, même à l’horizon de deux ans, de la cible à long terme si les chocs que
subit l’économie portent le taux d’inflation à s’écarter de celle-ci.
3. Conclusion
On peut faire une comparaison entre les différents résultats des pays qui ont adopté le ciblage de l’inflation. Le
graphique montre la moyenne annuelle de la déviation par rapport à la cible, en points de pourcentage. Les pays
les plus performants sont Le Canada, Le Royaume Uni et La Nouvelle Zélande. La désinflation moyenne en 4
ans suivant l’adoption du ciblage de l’inflation dans les pays développés a été de 6,4% et dans les pays
émergents de 10,2%. La désinflation annuelle moyenne des 5 pays émergents pendant 3 ans a été de 2,3%. On
voit donc des résultats remarquables.
En effet, alors que les années soixante ont connu l’apogée d’un système où les économistes et leurs modèles
réglaient l’activité d’agents économiques dociles, les années soixante-dix tiraient les conséquences de
l’hypothèse d’anticipations rationnelles émise par Muth dès 1960 en insistant notamment sur la clairvoyance des
agents économiques.
Dès lors, la critique de Lucas a jeté un doute, sinon un discrédit, sur tous les modèles ”mécaniques” en vigueur
antérieurement. De la même manière, on a mis en avant l’idée selon laquelle la politique monétaire devait agir
sur les anticipations inflationnistes plus encore que sur l’inflation (constatée) et on a cherché à collecter toute
information sur celles-ci. En particulier, les marchés financiers dont le développement a été foudroyant en
Europe dans les années quatre-vingt ont paru pouvoir fournir en temps réel des indicateurs d’anticipations sur de
nombreuses variables financières et en définitive sur le taux d’inflation.
Grâce à l’adoption de cibles d’inflation au début des années ’90, les banques centrales ont réussis à contenir
l’inflation tout en favorisant une forte croissance économique. On ne peut pas dire encore si le ciblage de
l’inflation est la meilleure solution, parce que elle a été utilisée par des pays assez stabiles (avec quelques
exceptions). La vraie validation sera quand ces pays vont subir un choc exogène très important. Il y a ici un
autre question qui mérite notre attention : est-ce que ces pays n’ont pas eu un choc important grâce à cette
politique ou parce qu’ils ont eu la chance ?
Bibliographie
1. Akerlof, G. A, Dickens, W. T., Perry, G. L., “The Macroeconomics of Low Inflation“, Brookings
Papers on Economic Activity, no 1, pp. 1-59, 1996;
2. Batini, N., Nelson, E. “Optimal horizons for inflation targeting”, Working Papers - Bank of England,
2000;
3. Bernanke, B. S., Mishkin, F. S., “Inflation Targeting: A New Framework for Monetary Policy?”,
Journal of Economic Perspectives, vol. 11, no 2, p. 97-116, 1997;
4. Mccallum, B. T. “Issues in the Design of Monetary Policy Rules” - In: Handbook of Macroeconomics,
vol. 1C, sous la direction de J. B. Taylor et M. Woodford, Amsterdam, North- Holland Publishing
Company, 1999;
5. Mishkin, F. S. “International Experiences with Different Monetary Regimes”, Journal of Monetary
Economics, 43, 579-606, 1999.