Telenovela et identités musulmanes au Brésil 245
internationale est aujourd’hui, surtout à partir du réseau Globo, un produit
d’exportation pour un nombre de pays qui va bien au-delà du monde
lusophone, représentant la plus importante source de profit des diffuseurs,
promouvant une série de produits dérivés tels que les livres, bandes
originales de film, etc.
S’impose alors un bref commentaire sur l’histoire locale des telenovelas
pour comprendre le processus qui a abouti à la nationalisation définitive de
la fiction télévisée. La première telenovela quotidienne, au Brésil, fut
présentée en 1963 par la TV Excelsior. Pendant ces années, le genre était
clairement un produit importé : les diffuseurs locaux adaptaient les séries
d’auteurs cubains, argentins ou mexicains et le soutien des productions était
loin des possibilités de l’industrie récente4.
À la fin des années 1960, la telenovela devint le produit à travers lequel les
chaînes se faisaient concurrence et tous les diffuseurs de l’époque
l’incluaient dans leur programmation5 ; néanmoins, ce n’était pas encore la
TV Globo qui monopolisait le succès d’audience. Son leadership fit partie de
l’ultérieur processus de nationalisation du genre, à la fin des années 1960. À
partir de la « brésiliennisation » de la fiction télévisée, les textes, les
thématiques et aussi les auteurs, furent Brésiliens ; l’adaptation de produits
d’autres pays d’Amérique latine fut pratiquement éliminée6.
Certains auteurs analysent ce changement en rapport avec les influences
réciproques de la société et de l’État des débuts de la décennie 1970 (Ramos
& Borelli 1989 ; Fadul 1999). Les facteurs qui aident à comprendre la
transformation et la nationalisation de la série sont variés : d’une part, la
complexification de la société marqua la production de la télévision, dès lors
tournée vers un ample marché où la mise en relief des thèmes de la vie
quotidienne garantissait l’attraction de l’intérêt du public ; d’autre part et
4. Pendant cette période et jusqu’aux années 1970, les firmes de savon et de dentifrice, parmi
lesquelles Gessy-Lever, Colgate-Palmolive et Kolynos-Van Ess, ont soutenu les séries.
Comme les chaînes ne possédaient pas encore le capital suffisant pour réaliser des
productions autonomes, ces agences de propagande, qui formaient un réseau latino-
américain, étaient « propriétaires » des programmes, allant jusqu’à décider des acteurs, des
adaptateurs et des réalisateurs des telenovelas. La circulation de textes, à travers l’Amérique
latine, adaptés ensuite dans les milieux locaux, était facilitée par la position privilégiée des
agences mentionnées (Ramos & Borelli 1989 : 60).
5. C’est le réseau Tupi qui introduit la telenovela au Brésil. La chaîne, la plus importante
d’Amérique latine, fut créée en 1950 et disparut définitivement de l’antenne en 1980. La TV
Excelsior, neuvième chaîne de São Paulo, commença sa trajectoire en 1960. Au début, elle
appartenait au groupe Simonsen, agglomérat d’entreprises lié à l’exportation de café,
concessionnaire du port de Paranaguá et propriétaire de la Panair du Brésil, responsable de
la première injection massive de capital dans l’industrie de la télévision de l’époque.
L’Excelsior a souffert une grande crise économique à partir de 1964, année où les militaires
prirent le pouvoir. Sous le nouveau régime, le groupe Simonsen, responsable de la chaîne,
perdit la concession du port de Paranaguá et la Panair à cause d’une intervention fédérale.
Face à seize demandes de faillite, en 1969, le groupe Simonsen tenta de vendre la chaîne,
mais il en fut empêché par le gouvernement. C’est ainsi que la chaîne disparut. Record
commença en 1953, Globo en 1965, Bandeirantes en 1967, SBT en 1981, Manchete en 1983,
CNT en 1992. Le réseau Manchete, aujourd’hui également disparu, a été la propriété de la
famille Bloch. En 1999, les dettes de l’entreprise amenèrent le groupe Bloch à chercher
d’autres issues ; devant l’impossibilité de renouveler la concession, la chaîne fut vendue au
groupe TeleTV, de l’entrepreneur Amilcare Dellevo, professionnel du telemarketing. À partir
de ce moment, la chaîne s’appela Rede TV ! Actuellement, la Rede Globo possède la
suprématie dans la production de telenovelas dans le pays. Il existe aussi deux chaînes
publiques, la TV Cultura et la TV Educativa, lesquelles, avec la CNT, sont les seules à ne pas
produire de telenovelas.
6. Pour connaître le tableau de la production de telenovelas des différentes chaînes, entre les
années 1963 et 1969, et le leadership de la TV Tupi e Excelsior, voir Memória da telenovela
brasileira, São Paulo, Brasiliense, 1987 (reproduit in Ramos & Borelli 1989 : 62).