Construction sociale de l`opinion sur le réseau Twitter en contexte

Construction sociale de l’opinion sur le réseau Twitter en contexte électoral : retour sur une
recherche pluridisciplinaire (2012-2014)
Nos travaux, conduits en interdisciplinarité1, portent sur les processus de construction sociale de
l’opinion sur le réseau social Twitter, au delà des interactions de type dialogique, dans le champ
politique, notamment lors des campagnes électorales.
À partir de plusieurs corpus de tweets échangés à l’occasion de la campagne pour l’élection
présidentielle 2012 puis de l’élection européenne 2014, nos recherches ont, dans un premier temps,
porté sur la mesure de l’intensité des flux de messages en fonction d’un calendrier événementiel,
indicateur de la sensibilité de l’opinion à un « événement », et sur le contenu de ces flux pour saisir leur
transformation en flots, significatifs d’une opinion socialement organisée. Après identification des
communautés politiques et des réseaux d’acteurs à partir de leur activité éditoriale sur Twitter, nous
avons analysé leurs interrelations et la structuration de leurs dispositifs de communication en ligne.
Nous avons, dans un second temps, entrepris l’analyse linguistique des énoncés partant de l’hypothèse
que les messages échangés sur Twitter lors d’une campagne électorale sont principalement des vecteurs
d’émotion.
Sur un plan méthodologique, nos travaux ont porté sur la création de corpus de qualité par le
prétraitement et la normalisation des messages ainsi que la fiabilisation des outils d’analyse TAL autour
notamment de l’étiquetage morphosyntaxique et du marquage d’éléments structurants comme le
discours rapporté ou les entités nommées spécifiques au contexte ; la performance de la classification
automatique des tweets dépendant très largement de la qualité du corpus.
À l’issue d’un travail de repérage et de caractérisation de marqueurs linguistiques d’affects lexicaux et
non lexicaux (typographie, émoticônes, ponctuation, casse des caractères, etc.), nous avons conclu à
la faible lexicalisation des émotions sur Twitter : l’analyse des émotions politiques à partir d’une
approche lexicale ou basée sur le recours aux émoticônes a montré une faible valeur heuristique du
moins dans ce contexte politique. De même, les algorithmes de détection de la subjectivité et de la
polarité des messages se sont avérés peu satisfaisants. La définition et le calcul d’une intensité
émotionnelle véhiculée par le tweet, calculée à partir des marqueurs précédents, est la piste suivie
actuellement.
Nous avons également établi une catégorisation fine des acteurs dans le champ étudié (analyse des
biographies et catégorisation des messages).
À ce stade de nos travaux, l’étude des relations entre structure énonciative du message et contexte de la
communication, d’une part, et la catégorisation de l’usage des hashtags et de leur position dans les
messages pour la compréhension du message, d’autre part, ont confirmé la nécessité d’une analyse
contextualisée des énoncés. Cette contextualisation est à la fois interne et externe à l’espace de débat.
En particulier, l'interprétation de l'intensité et de l'orientation émotionnelle des flux sur Twitter
nécessite la prise en compte de la structure des réseaux affinitaires qui s'y expriment. Pour aller au-delà
de l'interprétation émotionnelle associée à une publication isolée et pour aborder la part collective de
celle-ci dans la construction d'un discours commun support et expression d'une conviction / "pathos"
(Aristote) partagée, il nous faut pouvoir distinguer la nature incitative et prescriptive des messages et
identifier les rôles d'acteur influenceur ou de prescripteur qu'endossent les partisans et les acteurs de la
1 Ce projet PEPS a associé des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, sciences
politiques, socio-linguistique, TAL, informatique et statistique issus d’UMR des Universités de Grenoble,
Montpellier et Paris 13.
communication stratégique des groupes, plus ou moins institutionnalisés, et de leurs leaders. D’après
nos premières études empiriques, la méta-structure (RT, position des hashtags, citations, …), du tweet
semble porteuse d’indices forts qui seront certainement à compléter par des informations de natures
plus syntaxiques et lexicales.
Si nos travaux débouchent sur une meilleure articulation des différents niveaux d’analyse soit : l’activité
éditoriale sur Twitter, les réseaux de relations, les acteurs et les contenus, il reste nécessaire de
développer des méthodologies et des outils d’analyse de flux et de corpus de tweets afin de produire
des connaissances pertinentes sur les dynamiques de construction de l’opinion.
À l’issue d’un premier projet exploratoire interdisciplinaire (2013-2014) consacré principalement au
développement d’outils et de méthodes nécessaires à la mise en œuvre d'un étiquetage des affects
portés par les constituants du message, nous avions identifié trois difficultés ou verrous principaux :
la spécialisation de l’analyse des énoncés en raison notamment de la spécificité du langage et des
usages sur Twitter ;
2° la nécessaire prise en compte du contexte d’énonciation : cadre événementiel et interactions ;
la capacité à intégrer ces informations pour l’analyse de la dimension affective de la formation de
l’opinion.
L’équipe Grenobloise, par conséquent, a entrepris de formaliser la mise en « contexte interactionnel »
de l'activité de publication, via notamment la conception d’une toile de fond événementielle macro et
micro, dans l'objectif de mettre au point des modèles et méthodes d'analyse contextuelle et
synchronique des flux de messages.
Nous avons plus particulièrement travaillé sur :
- l’analyse de l’intensité des flux de tweets et des temporalités de publication en fonction d’un calendrier
événementiel, ou d’un micro événement médiatique, ainsi que des contenus afin de conduire la
comparaison;
- l’identification automatique de communautés politiques (fouille de textes, réseaux de relations). À
partir de l’analyse des catégories d’énonciation, soumises à une analyse lexicale et lexicométrique, nous
avons cherché à repérer, caractériser et inscrire leurs auteurs dans un réseau de relation pour ensuite
définir leur stratégie de communication.
Nous avons recouru aux outils statistiques et informatiques d'investigation de la Twittosphère associée
à l'événement étudié, afin de mettre en regard : des représentations associées aux réseaux de relations
interpersonnelles (exprimées dans les messages et dans les abonnements) avec des représentations de
discours agrégeant les publications individuelles. L'utilisation des adresses comme référence aux
individus mentionnés dans les messages génère des marqueurs qui permettent d'associer à chacun des
messages un ensemble de relations interpersonnelles : ces relations s'agrègent dans un graphe associé à
l'événement dont on peut suivre l'évolution structurelle, en dégager les formes instantanées marquantes
et caractériser ces dernières par une analyse statistique de l’information attributaire et/ou lexicale de ses
acteurs constitutifs.
Les méthodes de l'analyse des réseaux sociaux nous ont aussi permis a posteriori de mettre en évidence
les propriétés remarquables de ces graphes notamment dans ce qu'ils rendent compte d'affinités
partisanes et d'enjeux partagés.
Nos interrogations portent aujourd’hui sur le repérage de ces éléments au fil de l'eau et sur la
dynamique de structuration des relations associée à l’activité éditoriale. Il s'agit notamment de vérifier si
les indicateurs que nous avons dégagés sur des historiques complets par une approche synchronique,
restent pertinents sur des corpus en constitution, relevant donc d’une approche diachronique. Une
question corollaire porte sur la prédictibilité de ces résultats et de l'anticipation des structures profondes
de relations. Un des enjeux est d'identifier au plus tôt et dans les conditions de réalisation de
l'événement, les fonctions des différents acteurs, d'en inférer si possible leur rôle dans l'espace public de
communication sur Twitter et ainsi d'analyser les réseaux de relations agissantes dans celui-ci.
Enfin, le constat du caractère hybride des tweets associant des contenus textuels à des contenus
iconiques (vidéos, photos) ou, via des URL, à des références du web ouvre de nouvelles perspectives de
recherche pour rendre compte de cette dimension iconographique des messages.
Ce sont ces démarches et questionnements que nous souhaitons mettre en débat lors de ces journées
d’études.
AUTEURS :
DENNI B., PAPA F., PONTON C., d’AUBIGNY G., MOINE M., ABDALI A., ZAMPA V.,
FRANCONY J-M., GROSSMANN F., CAVALLA C.
RÉSUMÉ :
Nos travaux portent sur l’analyse des processus de construction sociale de l’opinion sur le réseau social
Twitter dans le champ politique lors des campagnes électorales 2012 (élection présidentielle) et 2014
(élections européennes). Notre démarche de recherche tente d’articuler, dans une perspective
pluridisciplinaire, l’étude de l’activité éditoriale sur Twitter, des réseaux de relations, des acteurs et des
contenus, par la combinaison de méthodes diverses. Elle ouvre sur des questionnements nouveaux que
nous souhaitons mettre en débat lors de ces journées d’étude.
MOTS CLÉS :
Twitter, campagne électorale, opinion
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