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La crise actuelle s’inscrit dans la longue histoire des crises financières. Elle participe de la
logique des cycles financiers endogènes mis en évidence par Kindleberger (1996). La phase
cruciale où la fragilité financière s’insinue dans les structures à l’insu de tous est l’euphorie.
Le crédit s’emballe et les prix des actifs, en l’espèce immobiliers, s’élèvent à l’unisson.
L’emballement vient d’un changement du régime de crédit au cours du cycle. Après la
consolidation qui met fin au cycle précédent, la prudence est de mise. Les demandes de crédit
sont évaluées à partir des perspectives de revenus des emprunteurs. Au contraire, lorsque les
marchés d’actifs se réaniment, les crédits sont accordés sur la base de la valeur de marché de
la richesse anticipée. Lorsque la valeur de marché de la richesse progresse plus vite que le
crédit, les emprunteurs peuvent dégager une equity value qui leur permet de demander plus de
crédit indépendamment de leurs revenus. Le poids de la dette s’élève par rapport au revenu,
même s’il baisse par rapport à la valeur de marché de la richesse.
La combinaison du « mark-to-market » des actifs et de l’évaluation du risque de crédit selon
le principe de la Value-at-Risk (VaR) produit une puissante dynamique pro-cyclique. Lorsque
la valeur de marché des actifs portée par l’engouement collectif se détache de toute estimation
raisonnable de la valeur fondamentale, cette valeur de marché conjecture des promesses de
revenus qui n’engagent que ceux qui les croient. Cette fragilité reste cependant cachée tant
que la bulle gonfle. L’évaluation du risque de défaut des dettes fondée sur la valeur de marché
des actifs en collatéral sous-estime de plus en plus la probabilité de défaut puisque la distance
au défaut (valeur de marché des actifs - valeur faciale des dettes) ne cesse d’augmenter.
Lorsque le prix des actifs se retourne, la probabilité de défaut bondit d’autant plus vite que la
chute est brutale. La crise du crédit structuré a poussé ce processus au paroxysme.
1/ L’essor de la titrisation
La titrisation s’est développée parce que les changements de régime du crédit sont allés
jusqu’à transformer le modèle bancaire. Celui-ci est passé du principe « initier les crédits et
porter le risque » au principe « initier et vendre le risque ». Les banques prétendaient faire du
profit sans risque et économiser du capital grâce à la titrisation. Exploité à l’extrême sans
aucune précaution prudentielle, ce modèle dégrade l’information tout au long de la chaîne des
transferts de risques et suscite l’aléa moral et les conflits d’intérêt. Il amplifie l’offre de crédit
et en diminue la qualité. Lorsque le prix des actifs se retourne, il incorpore des pertes
jusqu’alors dissimulées aux acheteurs des crédits titrisés. L’imbrication des banques, des
intermédiaires de marché non régulés et à levier très élevé (conduits, SIV, hedge funds) et des
investisseurs institutionnels provoque un risque de contrepartie généralisé sur des marché de
gré à gré. Celui-ci donne à la crise son caractère dramatique. L’ignorance de l’ampleur et de
la localisation des pertes entraîne la réticence à faire circuler la liquidité. Crise de valorisation
et crise de confiance vont de pair.
Pour bien comprendre les problèmes de valorisation inhérents à la titrisation des produits
dérivés complexes vendus qui viennent amplifier la sous-évaluation des risques sur les crédits
initiaux, il faut donner quelques indications sur l’agencement de la titrisation.
La titrisation est une transformation des crédits en titres financiers selon un processus
composé de trois opérations : le pooling, le offloading et le tranching. Le pooling est
l’opération par laquelle une banque d’investissement rachète à ses initiateurs des crédits
homogènes ou hétérogènes. Il en résulte différents types de crédits structurés : MBS
(« Mortgage Backed Securities »), ABS (« Asset-Backed Securities »), CDO (« Collateralized
Debt Obligations ») qui sont les produits d’une titrisation au second degré. Le offloading est