1 A. TEXTE. Le mot Philosophie, pris dans son sens le plus vulgaire

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A. TEXTE.
Le mot Philosophie, pris dans son sens le plus vulgaire, enferme l’essentiel de la
notion. C’est, aux yeux de chacun, une évaluation exacte des biens et des maux
ayant pour effet de régler les désirs, les ambitions, les craintes et les regrets. Cette
évaluation enferme une connaissance des choses, par exemple s’il s’agit de
vaincre une superstition ridicule ou un vain présage; elle enferme aussi une
connaissance des passions elles-mêmes et un art de les modérer. Il ne manque
rien à cette esquisse de la connaissance philosophique.
ALAIN,
Eléments de philosophie
, introduction, 1941, Gallimard
B. QUESTIONS.
1. Selon Alain, en quoi consiste l’attitude du philosophe? Que recherche-t-il
avant tout et selon quelle voie?
Alain propose ici une définition simple et claire (non savante, technique) de la
philosophie, à partir d’une représentation commune de la figure du
“philosophe. « Aux yeux de chacun », nous dit-il, le philosophe est l’homme qui
reste maître de lui en toutes circonstances. Mais cette maîtrise est le résultat
d’un travail intérieur, fondé sur la compréhension de soi-même et du monde,
qui consiste en «
une évaluation exacte des biens et des maux ayant pour effet
de régler les désirs, les ambitions, les craintes et les regrets
”. Comment une
telle maîtrise est-elle possible? La pensée peut-elle vraiment modifier le cours
des choses ?
a. Image commune du philosophe.
L’image courante du “philosophe” nous le représente maître de lui en toutes
circonstances, favorables ou défavorables, capable de prendre du recul, de
juger des choses avec lucidité et de les affronter courage, qui agit
conformément à la raison et non en suivant aveuglément ses passions...
Comme l’indique le mot même qui la désigne, la philosophie est l’amour de la
connaissance et de la sagesse. En fait, s’agit d’une figure héritée d’une ou de
plusieurs traditions de sagesse (antique et moderne, occidentale et orientale :
Socrate, Epictète, Epicure, Bouddha, Gandhi, yogis indiens, maîtres
zen
d’arts
martiaux...).
b. Définition de la philosophie comme art de juger de la valeur des choses.
Mais une telle attitude, nous dit Alain, n’a rien de spontané; elle est le fruit
d’un effort constant sur soi-même, et d’une volonté inébranlable, qui implique
une évaluation exacte des biens et des maux ayant pour effet de régler les
désirs, les ambitions, les craintes et les regrets.
Est philosophe celui qui sait
prendre l’exacte mesure, la valeur des événements.
Les biens et les maux
désignent les événements tels que nous les qualifions / jugeons positivement /
négativement selon qu’ils nous sont agréables / pénibles, qu’ils sont conformes
/ contraires à nos désirs / intérêts... Le Bien / le Mal sont des valeurs que la
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morale pose comme existant absolument Or,
la valeur
d’une chose (ce qui
l’institue objet de désir) réside-t-elle dans la chose ou dans le regard que l’on
porte sur elle? Il faut, en effet, distinguer l’événement de l’idée que l’on s’en
fait. Etre philosophe, c’est chercher à comprendre pourquoi les choses arrivent
ainsi et non pas autrement (“
connaissance de l’ordre des choses
”), tandis que
l’insensé ne réfléchit pas et se désespère de ce que l’ordre du monde ne
s’accorde pas à ses désirs. La réflexion - et la pratique - permettent la
maîtrise
intérieure
des choses et des événements extérieurs.... Il s’agit donc de
régler
les passions”
, sentiments violents qui déforment notre regard, troublent notre
jugement et notre comportement (colère, amour, haine, orgueil..). Savoir
relativiser nos passions accroît notre puissance ; à l’inverse, s’adonner aux
passions accroît notre impuissance. CQFD
2. Quel rapport Alain établit-il entre connaissance de soi et connaissance
des choses?
a. « Connais-toi toi-même »
On le sait, philosopher consiste à s’interroger sur soi-même et sur le monde
afin de tracer un chemin de vie digne d’être vécue. Socrate fut le premier des
philosophes à introduire la notion de souci de soi. Mais lorsqu’il adopte la
devise inscrite au fronton du temple de Delphes : «
Connais-toi toi-même
»,
Socrate ne désigne pas un genre d’
introspection psychologique
, mais comme
exhortation morale
. Pour lui, il ne s’agit pas, comme nous le croyons à tort, de
chercher à découvrir les secrets de son âme, les traits de son caractère, les
qualités et les défauts, bref de tout ce qui fait de chacun de nous un
être
singulier, différent des autres
. A l’inverse, pour Socrate, l’introspection
consiste en une
exhortation morale
, démarche intérieure qui consiste à
examiner sa conscience, son contenu, ses idées ses connaissances, ses
sentiments, ses désirs afin de les comprendre et de les juger afin de devenir
plus sages dans notre conduite. C’est pourquoi l’injonction ne se contente pas
de dire «
Connais-toi »,
mais elle redouble le prénom personnel « toi » par un
pronom réfléchi : «toi-même ». Ce redoublement peut avoir deux significations :
il est nécessaire de nous consacrer à un type de connaissance dirigé vers soi-
même et non vers le monde extérieur ou vers les autres. De plus, cette
connaissance doit se faire par soi-même et pour soi-même et non à l’aide des
autres ni suivant leurs opinions. Il s’agit avant tout de penser sa vie et de vivre
sa pensée. Or, à l’évidence, la connaissance de soi et celle du monde sont
inséparables.
b. Critique de la superstition.
Sur ce point, l’exemple de la superstition utilisé par Alain en est très
significatif. La superstition, tendance irrationnelle à croire qu’une réalité du
monde naturel renverrait à une réalité surnaturelle voire divine (exemple: un
chat noir porte malheur...) ne peut pas être considérée comme recevable par
le philosophe, et il refuse de se laisser émouvoir par de pareilles chimères ; il
refuse de s’en laisser conter. Le philosophe veut soumettre de telles croyances
à
un examen rationnel
; il veut savoir ce que pourraient être ces forces
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invisibles supposées gouverner le monde et la destinée humaine. Sont-elles les
manifestations d’un monde surnaturel ou seulement les chimères nées de
l’imagination, l’expression de la tendance des hommes à projeter leurs désirs
angoissés sur la réalité objective ? A se faire centre du monde
(
anthropocentrisme
)? A donner forme humaine à des êtres naturels ou divins
(
anthropomorphisme
)? Les prières, les offrandes et les sacrifices animaux et
ou humains n’ont-ils pas pour but d’apaiser le courroux des dieux ou de
s’attirer leurs faveurs?... La
connaissance de l’ordre des choses”
... et celle
des passions humaines”
est nécessaire au philosophe pour ne pas céder à de
telles croyances. Donc, le philosophe doit se livrer à une forme d’introspection
sur lui-même et sur les choses pour savoir s’il doit se soumettre ou, au
contraire, vaincre telle superstition.
L’essentiel de la philosophie se tient là.
Qui a compris cela a commencé de comprendre ce qu’est la philosophie, en
quoi consistent sa démarche et sa finalité.
Il ne manque rien à cette esquisse
de la connaissance philosophique”.
CQFD.
CONCLUSION: Philosopher, c’est penser sa vie et... vivre sa pensée. Ainsi
comprise, l’idéal de la sagesse pourrait s’énoncer ainsi :
tâcher à vaincre ses
désirs plutôt que l’ordre du monde
(Descartes). On le voit, la philosophie est
l’affaire de chacun(e) d’entre nous et de tous les instants. L’existence n’est pas
trop longue pour mettre en oeuvre un tel programme.....
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