logues parlent de l’aspect émancipatoire de l’intérêt pour la connaissance,
lorsque les journaux parlent de l’importance du principe de consensus, il
s’agit – quand bien même serait-elle diffractée – de l’influence d’Apel, et il
est parfaitement possible de dire qu’au fil du temps, certaines de ses idées
sont devenues des principes pour l’opinion publique, et que certains de ses
concepts ont pénétré le vocabulaire quotidien. Comme c’est presque néces-
sairement le cas dans un processus de ce genre, les arguments ont coutume
de s’effacer, et il ne persiste plus que de minces résultats. Il me paraît d’au-
tant plus important d’examiner ces arguments quant à leur portée. C’est ce
que je ferai ici, d’une façon qui se veut également accessible au profane cul-
tivé et intéressé ; ce livre ne s’adresse pas uniquement aux spécialistes de la
philosophie, et c’est à dessein que – à la différence d’autres écrits – j’ai
renoncé à un appareil critique trop lourd.
Il existe une troisième raison susceptible d’expliquer l’importance du
pragmatisme transcendantal, c’est qu’Apel est pratiquement le seul philo-
sophe à avoir étudié à fond la philosophie actuelle dans presque toutes ses
manifestations, et à s’être efforcé de servir d’intermédiaire entre des posi-
tions opposées. Il n’existe pas beaucoup de penseurs capables d’appréhen-
der avec autant de compétence la tradition analytique et herméneutique,
le pragmatisme américain et le marxisme, et l’abord de son œuvre prend
nécessairement l’ampleur d’une prise de position par rapport aux
approches les plus différentes de la philosophie du vingtième siècle, et
même à la critique d’un grand nombre de catégories et de formes de
conscience de l’esprit du temps, semblable à celle à laquelle je m’essaie
dans la première partie de ce traité. La quatrième raison décisive suscep-
tible d’expliquer cette monographie, c’est que le pragmatisme transcen-
dantal ne se contente pas d’être une théorie influente en dialogue avec un
grand nombre d’autres approches : il présente également un degré d’ex-
haustivité et de cohérence avec lequel seules peu de philosophies actuelles
peuvent rivaliser. Si la philosophie a quelque chose à faire avec la fonda-
tion, si la question de l’inconditionné, de l’absolu et de l’ultime est le pro-
blème philosophique par excellence, celui qui assure à la philosophie une
autonomie inaliénable face à toutes les tentatives d’absorption par les
sciences particulières, alors le pragmatisme transcendantal peut prétendre
être une philosophie au meilleur sens du terme. Beaucoup pourront trou-
ver obsolète la question de la fondation ultime ; cette impression est par-
faitement acceptable, mais c’est peut-être justement parce que le pragma-
tisme transcendantal s’est peu préoccupé des modes qu’il a pu obtenir des
résultats substantiels. En outre, Apel – une des rares grandes personnalités
philosophiques de notre temps, dont l’objectivité et le sérieux moral exer-
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