LA NÉOLOGIE ET SES MÉCANISMES
DE CRÉATION LEXICALE
*
Daniela DINCĂ
1. Introduction
1.1. La néologie s’avère un domaine qui pose beaucoup de problèmes
concernant généralement les aspects suivants: la définition des principaux concepts
opérationnels, la forme, la fréquence, l’origine et le sémantisme des mots
considérés comme appartenant à la classe des néologismes. En plus, parmi les
autres domaines de la linguistique, elle s’individualise par sa particularité de
désigner, à la fois, ses opérations (les procédés de création) et ses résultats (les
néologismes).
Par conséquent, la dimension polysémique du terme de néologie est plus
qu’évidente car le concept qu’il désigne renvoie à trois démarches différentes: (i)
création de nouvelles unités lexicales par le recours, conscient ou inconscient, aux
mécanismes habituels de créativité linguistique d’une langue; (ii) étude théorique et
appliquée des procédés de formation des mots, des critères de reconnaissance,
d’acceptabilité et de diffusion des néologismes; (iii) activité institutionnelle
organisée qui se propose de recenser, de créer, de diffuser et d’implanter les
néologismes dans le cadre d’une politique de la langue.
Notre contribution se propose de traiter de la néologie sous un double aspect:
les opérations de formation des néologismes (ou les procédés de formation) et les
résultats de la créativité lexicale, néologismes, pour la langue commune et
néonymes, pour les langues de spécialité.
Si les deux domaines envisagés (langue commune vs. langue de spécialité)
disposent de termes spécifiques pour désigner leurs mots/termes, néologismes et
néonymes, le processus de formation des nouveaux mots dans les deux domaines
recouvre lui aussi des termes différents: la néologie, pour la formation des
néologismes de la langue commune, et la «néonymie» (Rondeau 1984), pour les
néonymes des langues de spécialité.
1.2. La dynamique du vocabulaire roumain actuel est mis en évidence par le
fait que le fonds néologique continue de s’enrichir (voir dans ce contexte les
nombreux dictionnaires de néologismes / mots récents parus au cours des dernières
années ou bien les nouvelles éditions mises à jour, révisées et corrigées des
dictionnaires existants déjà, mais qui ne réussissent pourtant pas à tenir le pas avec
l’avalanche des mots nouveaux qui entrent dans la langue). La langue roumaine,
extrêmement accueillante, manifeste de la sorte sa force créative illimitée.
Dans ce contexte, notre article se propose de revisiter quelques acquis
théoriques et méthodologiques en matière d’études néologiques, afin d’atteindre
ses deux objectifs:
Daniela DINCĂ
(i) esquisser une classification générale des différents procédés de la
créativité linguistique dans le domaine de la néologie vs. néonymie
lexicale, en insistant surtout sur l’emprunt en tant que l’un des
principaux mécanismes linguistiques de la création néologique;
(ii) présenter, de manière implicite, la relation qui existe, d’une part, entre
les néologismes vs. néonymes et les procédés de formation, d’autre part.
En ce qui concerne le corpus, nous avons illustré les procédés de formation
par des exemples pris dans le lexique roumain, mais pour la néologie par emprunt,
nous avons pris comme langue source le français, dont l’importance et le rôle dans
la modernisation de la langue roumaine sont incontestables.
2. La néologie en tant que processus de formation lexicale
La créativiest une constante dans le domaine de la néologie lexicale et
témoigne de la dynamique de chaque langue: «Une théorie de la néologie doit
rendre compte du fait d’évidence que la création lexicale est un élément permanent
de l’activité langagière» (Guilbert 1975: 34-43).
Malgré la diversité des typologies existantes, il est plus ou moins admis que
néologismes et néonymes font appel aux mêmes procédés de formation que les
néologues répartissent généralement en trois grands groupes qui recouvrent, à leur
tour, d’autres sous-types :
(i) néologie formelle;
(ii) néologie sémantique;
(iii) néologie par emprunt.
Les trois procédés présentent des moyens propres pour la formation des
nouveaux mots: si les deux premiers reposent sur les moyens internes d’une langue
(dérivation, composition), le troisième utilise des moyens externes de transfert d’un
mot/terme d’une langue source dans une langue cible (emprunt et calque).
Il n’y pas de délimitation stricte entre ces trois procédés de sorte que les
lexicologues se confrontent parfois à la difficulté de classer certains néologismes,
dont la formation relève à la fois de différents procédés (dérivation, emprunt) ou
même d’un seul type. À titre d’exemple, on peut citer Sablayrolles (2000) qui
considère que le verbe français réaliser, au sens de «comprendre», relève à la fois
de la néologie sémantique et de l’emprunt, sous l’influence de l’anglais to realize.
Malgré les superpositions de procédés qui peuvent apparaître, le nouveau
mot doit relever principalement d’une seule classe. Dans ce sens, dans le cadre
d’une thèse de doctorat entièrement consacrée à la néologie, Sablayrolles affirme
que: «les procédés ne seront inclus que dans une seule classe», puisqu’il s’agit
«dans un premier temps d’un simple récapitulatif ordonné et non encore de
l’établissement raisonné d’une typologie» (2000: 211).
2.1. La néologie formelle
Un des procédés les plus productifs de la néologie lexicale, la néologie
formelle, appelée également néologie flexionnelle ou morphologique, insiste sur
La Néologie Et Ses Mécanismes De Création Lexicale
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l’adjonction d’un affixe (termes / mots dérivés) ou d’un autre lexème, en général
non autonome et d’origine gréco-latine (termes/mots confixés). Cela veut dire que
néologismes signifient également mots formés à l’intérieur d’une même langue à
partir de mots existants. L’innovation est donc inhérente à chaque langue et elle
représente un aspect sur lequel les linguistes ont mis moins l’accent.
2.1.1. La dérivation
Les termes/mots dérivés sont préfixés, suffixés ou parasynthétiques
(dérivation multiple). La dérivation est un processus très productif en roumain, qui
dispose de nombreux affixes (suffixes et préfixes), ce qui explique la raison pour
laquelle le roumain fait partie de la famille des «langues de type dérivatif» (Sala
2001: 153).
Pour illustrer cette richesse dérivationnelle du roumain, on peut citer le cas
de beaucoup de verbes formés par dérivation préfixale à partir d’un nom emprunté
à d’autres langues ou hérité du latin. Par exemple, le verbe a îndoctrina qui
combine un affixe, le préfixe în + doctrină, même s’il y a un terme semblable en
français, endoctriner, que le roumain aurait pu emprunter. Le roumain avance sur
la même ligne de la dérivation flexionnellee et propose deux autres mots de la
même famille lexicale, formés, cette fois-ci, par dérivation multiple:
în+doctrin+are et în+doctrin+at. Un autre exemple qui développe tout un
paradigme flexionnel à partir d’une base nominale: a încurajá (în+curaj), d’après
le fr. encourager, încurajare (în+curaj+are), încurajat (în+curaj+at), încurajator
(în+curaja+tor).
Mais il existe aussi des cas la dérivation est remplacée par un autre
procédé, d’ailleurs très productif en roumain, l’emprunt à d’autres langues. Par
exemple, toute la famille lexicale (nom, verbe, adjectif) est entrée en roumain par
filière française: a inventa, invenŃie, inventiv (inventer, invention, inventif), a
ilustra, ilustraŃie (illustrer, illustration) (ilustrat et ilustrativ sont des mots dérivés
sur le verbe roumain a ilustra), a infecta, infecŃie (infecter, infection) ou toute la
serie a aplica, aplicaŃie, aplicabilitate, aplicativ (appliquer, application,
applicabilité, applicatif).
Un autre exemple qui vient illustrer ce mélange entre les procédés internes et
externes de formation des ologismes nous est fourni par le formant anti- , qui
exprime l’opposition. En roumain, le préfixe anti- est soit un élément de dérivation
néologique (antiaccident, antiartistic, antiatom, antibacterian, antobronşitic,
anticanonic, anticar), soit, dans beaucoup d’autres cas, un élément de formation
interne: antibiotic, anticameră, anticiclon, anticlerical, anticolonialist,
anticonstituŃional, etc.
Un trait qui distingue ces mots dans les deux langues (français et roumain)
est leur orthographe. Anti- a une double orthographe en français: il est soudé au
nom (antibasculement, antidébordement, antidérapant, antiasphyxiant,
antidiffusant, antinucléaire, antigiratoire, antidétonant) ou bien il garde encore le
signe de la composition (anti-corrosif, anti-aérien, anti-atomique, anti-éblouissant,
anti-gluant, anti-oxydant, anti-sous-marin). Par rapport au français, le roumain
présente une seule orthographe, la forme soudée du formant anti-.
Daniela DINCĂ
Le roumain et le français sont des langues tellement rapprochées que les
locuteurs roumains prennent pour des mots français des unités qui sont des
créations autochtones comportant pourtant un formant français, que celui-ci soit la
racine, un suffixe ou un élément de composition. Ces mots sont appelés
«pseudofranŃuzisme propriu-zise» Hristea (1979: 492) que nous illustrons par les
exemples fournis par le même auteur: «la racine (pic-aj), le suffixe (şantaj-eur) ou
un élément de composition (grandomanie ( Hristea 1979: 492).
2.1.2. Les termes/mots confixés
Contrairement aux termes/mots préfixés, les termes/mots confixés ou les
termes-syntagmes correspondent au regroupement de deux ou plusieurs mots qui
représentent une seule unité conceptuelle. Il suffit de l’apparition d’un seul élément
nouveau dans une expression pour que l’on parle de néologisme : «Dès lors qu’un
élément nouveau surgit dans ces associations plus ou moins figées, elles deviennent
néologiques» (Sablayrolles 2000:155).
«Ces nouvelles alliances» (Idem: 156), caractérisées par une perte de leur
sens compositionnel au profit d’un sens unique, combinent le plus souvent la
structure déterminé + déterminant : fisurare la cald (fente de chauffage), fisură de
compresiune (fente de compression), fereastră de control (fente de contrôle), fantă
de citire (fente de lecture), canal de plantare (fente de plantation), fantă de
radiaŃie (fente de rayonnement), fantă de răcire (fente de refroidissement), fantă de
contracŃie (fente de retrait), fisură de ruptură (fente de rupture), fisură de ieşire
(fente de sortie), etc.
Un autre trait distinctif entre les deux procédés de formation lexicale
(dérivation vs. composition) concerne leur domaine de manifestation. Soulignant la
spécificité des néonymes par rapport aux ologismes, A. Goosse (1975) traduit
cette différence par les procédés de formation de ces deux classes: les néologismes
privilégient la création morphologique par préfixation et par suffixation tandis que
les néonymes favorisent la création syntagmatique.
Il est évident que ce procédé de formation des termes nouveaux se montre
comme l’un des procédés les plus fréquents pour former les néonymes car les
dénominations qu’il permet de former sont caractérisées par leur brièveté, leur
aspect international et leur précision sémantique.
Même dans le cas des termes formés à partir d’éléments de composition,
nous avons relevé un aspect récurrent qui pose des problèmes aux lexicologues. Il
s’agit de l’origine des termes confixés en roumain, emprunté au français ou dérivés
avec des moyens internes. Par exemple, le formant bio- veloppe deux types de
paradigmes:
(i) termes calqués, le plus souvent, sur le français: bioamplificator
(bioamplificateur), bioastronautic (bioastronautique), biobibliografíe
(biobibliographie), biocenotic (biocénotique), biocenoză (biocénose), biochimie
(biochimie), biochimist (biochimiste), biocibernetic (biocybernétique), bioclimatic
(bioclimatique), bioclimatolog (bioclimatolog), bioclimatologie (bioclimatologie),
biocompatibil (biocompatible, etc.
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(ii) termes formés en roumain quand le français n’a pas de tels mots / termes:
bioacumulare, biobibliografic, biocomplex, bioconşiiínŃă, biocurent, biodetector,
biodeteriorare, etc.
3. La néologie sémantique
3.1. L’évolution sémantique des mots peut être ramenée à plusieurs causes
principales: historiques, sociales, linguistiques et psychologiques. Selon les
changements de nature sociale, politique et culturelle qui apparaissent dans la
société contemporaine, la néologie sémantique crée de nouveaux termes ou mots
par l’adjonction d’une nouvelle acception à une dénomination déjà existante dans
les deux classes envisagées: néologismes et néonymes.
La spécificité de la néologie sémantique en tant que procédé de formation
interne consiste dans la multiplication du sens pour une même unilexicale: «Il
s’agit de néologie quand un mot déjà existant dans une langue ajoute un autre sens»
(Sablayrolles 2000: 150).
Pour illustrer la néologie sémantique, nous prenons le cas du mot cancer. Du
point de vue de son origine, il est calqué sur le français cancer avec deux sens: (i)
tumeur maligne due à une multiplication anarchique des cellules d'un tissu
organique et (ii) quatrième constellation du Zodiaque située dans la partie la plus
septentrionale de l'écliptique. Depuis trois ans, ce mot a développé un autre sens,
celui de «grand malheur d'origine naturelle ou humaine qui frappe et ravage une
collectivité», sens qui est devenu tellement dominant qu’il est presque considéré
comme un «développement sémantique parallèle» (Dimitrescu 1994: 224).
Mais l’adjonction d’un nouveau sens a parfois des répercussions sur l’emploi
d’un mot qui, par déformation de son sens initial, devient un barbarisme
(Mihailovici 2005:27). Pour illuster la même déformation du sens d’un mot par
l’adjonction de signifiés qui sont en contradiction avec le sens initial, Hristea
(2000: 338-339) cite deux exemples: le mot doleanŃă (< fr. doléance avec le sens
de «plainte») a aussi le sens de «désir» et colloque (< lat. colloquium) avec le sens
de «entretien, conversation» apparaît dans des syntagmes du type colocviu scris
(colloque écrit).
3.2. Sablayrolles considère pourtant que «les deux grandes voies reconnues
de la néologie sémantique sont la métaphore et la métonymie» (Sablayrolles 2000:
155), procédés qui reposent sur la similitude entre deux référents.
Par exemple, pour les néonymes, l’une des sources vivantes de création
néologique est la lexicalisation des métaphores. Par ce procédé, les parties du corps
peuvent acquérir de nouvelles acceptions dans des domaines technico-scientifiques
différents: (i) machines: braŃ articulat (bras articulé), bretelele elevatorului (bras
d’élévateur), talpa de fixare (bras de fixation), braŃ de ghidaj (bras de guidage);
voitures: braŃele ştergătorului de parbriz (bras d’essuie-glace), braŃ de frânâ (bras
de frein); (iii) navires: braŃ de ancoră (bras d’ancre), braŃul vergii mari (bras
grand), braŃ de ridicare (bras de levage).
3.3. Moyen linguistique pratique et économe, le procédé de siglaison fait
aussi partie des mécanismes linguistiques de la création néologique car la forme
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