AH n°201 janvier 2009
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On reconnait ici, dans la distinction entre éthique et morale, entre visée et
norme, l’opposition entre deux héritages, l’héritage d’Aristote et l’héritage de
Kant. Et même si le premier a la primauté sur le second chez Ricoeur, leur
complémentarité est soulignée.
La recherche contemporaine d’un « art de vivre »
Suivons Comte-Sponville dans sa distinction entre éthique et morale :
- la morale correspond à un discours normatif et impératif (« tu dois faire ceci
ou cela ») qui résulte de l’opposition du Bien et du Mal considérés comme
valeurs absolues et universelles. C’est l’ensemble de nos devoirs. La morale
répond à la question « que dois-je faire » ?
- l’éthique correspond à un discours normatif mais non impératif, qui résulte
de l’opposition du bon et du mauvais considérés comme valeurs relatives.
C’est l’ensemble réfléchi de nos désirs, un art de vivre qui tend vers le
bonheur et culmine dans la sagesse. Elle répond à la question « comment
vivre » ?
Pour Compte-Sponville, la morale commande et l’éthique recommande. Il « tire
l’éthique » du côté de l’engagement personnel. Pour lui, l’éthique vaut mieux
que la morale car elle est du côté de la sagesse et même de l’amour. Mais se
justifie la nécessité d’une morale devant la constatation qu’il y a du
« moralement intolérable » dans notre monde. L’injonction du devoir réapparaît
alors, faute de mieux, c’est-à-dire faute d’amour. Tant que l’amour fait défaut, la
morale reste due.
Parce que nous avons compris que vivre humainement, c’est
toujours vivre entre le Bien et le Mal.
Ethique et techno-sciences
Il n’y a pas de limites « technoscientifiques » aux techno-sciences. Mais si on ne
les limite pas, tout ce qui est possible sera fait, pour le meilleur et pour le pire.
C’est la loi, au sens juridique du terme, qui peut a priori apporter cette limite.
Cet ordre juridico-politique est structuré par l’opposition du légal et de l’illégal.
Mais on sait que tout ce qui est légal n’est pas forcément moral. D’où la
nécessité de limiter aussi le juridico-politique.
C’est le rôle de la morale, structurée par l’opposition du Bien et du Mal. Si la
morale est comprise au sens de Compte-Sponville, au sens des normes, elle est
alors nécessaire mais pas suffisante pour entrer dans un art de vivre qui ouvre
au bonheur.
Un complément nécessaire : l’amour
Manque donc un dernier ordre, pour Compte-Sponville, celui de l’amour, celui
de l’éthique. L’ordre de la morale est nécessaire mais il doit être complété par
l’ordre de l’amour, de l’éthique. Et il ajoute, avec Freud : sans la morale, c’est-à-
dire l’interdit, il n’y a pas d’amour du tout, parce qu’il n’y a que l’envie et la
pulsion, lesquels ne peuvent se sublimer en amour que sous la contrainte de la
loi morale.
Compte-Sponville tire l’éthique du côté de l’individu et de l’amour, parlant
même d’amour infini, illimité (on ne pourrait rien souhaiter de mieux, dit-il).
Mais faute de croire en Dieu, il en reste à un amour humain « sans source
transcendante. Chacun est alors livré à lui-même pour trouver la source de
sagesse qui permettra de vivre. Pluralité mais aussi relativisme sont alors
prônés.