Localisation et identification de défauts dans les cellules mémoires EEPROM par Microscopie Electronique en Transmission E. Petit, M. Putero et Ch. Muller Laboratoire IM2NP, UMR CNRS 6242, Aix-Marseille Université 13397 Marseille, France E. Petit et L. Fares STMicroelectronics Avenue Celestin Coq 13106 Rousset, France Email : [email protected] Résumé Les avancées technologiques dans le domaine de la microélectronique imposent de réduire constamment les dimensions des cellules mémoires tout en conservant leur niveau de fiabilité. Cette intégration croissante implique l'adaptation des techniques de caractérisation permettant l'observation de défauts à des dimensions de plus en plus faibles. La microscopie électronique en transmission permet d'atteindre l'échelle atomique primordiale pour la caractérisation de ces nouvelles technologies mémoires. L'observation de cellules mémoires en coupe transverse est possible à condition de rendre les échantillons transparents aux électrons. Cet article détaille les étapes délicates de la préparation d'échantillons pour ce type d'observations ainsi que l'apport de la microscopie en transmission pour la localisation et l'identification de défauts dans ces technologies produites industriellement. 1. Introduction Les cellules mémoires EEPROM, (ElectricallyErasable Programmable Read-Only Memory) font partie de la famille des mémoires non-volatiles qui conservent l'information en l'absence d'alimentation électrique. Ces cellules sont constituées de deux transistors : un transistor de sélection permettant ou non l'accès au second transistor dit d'état où est stockée l'information sous forme de charges électriques (fig. 1). La présence ou non de charges donne les états binaires correspondant aux états écrit ou effacé. effacement de la cellule. Ces opérations se font par injection et retrait des charges dans la grille flottante par effet tunnel de type Fowler-Nordheim. Cet effet n'est possible qu'à condition que l'oxyde soit extrêmement fin (~ 7 nm d'épaisseur) ce qui implique une fragilité de la zone dite tunnel (fig. 1). C'est donc dans cette zone que la microscopie en transmission est particulièrement utile pour la détection, la localisation précise et l'identification de défauts. La Microscopie Electronique en Transmission (nommée TEM par la suite) est une technique de haute, voire ultra-haute résolution, bien adaptée à l'observation de régions de très faibles dimensions tels qu'on en trouve dans les mémoires EEPROM. Cependant, le pré-requis nécessaire à une analyse correcte par TEM est la préparation des échantillons qui doit permettre une localisation précise de la zone d'étude et l'obtention de lames minces (épaisseur inférieure à 100 nm) sans artéfacts susceptibles de dégrader la qualité des images et des mesures. Dans le cadre du travail présenté dans cet article, une attention particulière a été portée sur la préparation de lames découpées dans des mémoires EEPROM industrialisées. 2. Préparation des échantillons 2.1 Réalisation de lames TEM par FIB La préparation des lames pour les observations TEM a été réalisée par FIB (Focus Ion Beam) avec prélèvement in-situ (fig. 2). Figure 1 : Représentation schématique d'une cellule mémoire EEPROM de type nMOS Le transistor d'état comporte deux grilles en silicium polycristallin : une grille pour le stockage d'information dite flottante car isolée électriquement par de l'oxyde et une grille de contrôle qui permet les opérations d'écriture- Figure 2 : Etapes de préparation de lame TEM par FIB "dual beam": 1/ échantillon initial, 2/ découpe du barreau, 3/ pré-découpe de la lame, 4/ prélèvement de la lame, 5/ soudure de la lame sur une grille de microscopie Le FIB "Dual Beam" est un équipement muni de deux colonnes : l'une électronique, l'autre ionique. Cet appareil offre l'avantage d'usiner l'échantillon d'origine tout en contrôlant la découpe de façon non-destructive par Microscopie Electronique à Balayage ou SEM (Scanning Electron Microscopy). Le principe de l'usinage par FIB est d'utiliser la colonne ionique comme "micro-outil" : l'échantillon est bombardé avec un faisceau d'ions lourds accélérés (généralement des ions gallium Ga+) qui va arracher de la matière à l'échantillon. La préparation consiste à découper un barreau (largeur 2 µm) dans l'échantillon et d'y pré-découper la lame. Le prélèvement de celle-ci se fait dans la chambre du FIB à l'aide d'un système d'extraction muni d'une pointe en tungstène asservie en position. La lame est alors soudée sur une grille en cuivre. La dernière étape de préparation est la plus critique et la plus importante puisqu'il s'agît de l'amincissement de la lame afin d'atteindre la transparence électronique (épaisseur inférieure à 100 nm) (fig. 3). Une fois la lame amincie, l'ensemble grille-lame est introduit dans le microscope électronique en transmission pour les observations à forts grandissements. Figure 3 : Amincissement de la lame : a. Section transverse (ou Cross-section), b. Vue de dessus (ou Top-view) 2.2 Influence de l'amincissement à basse tension L'étape d'amincissement est extrêmement délicate. En effet, l'épaisseur à atteindre pour la transparence électronique est d'environ 100 nm. A de telles dimensions, l'usinage ionique induit des imperfections telles que: l'implantation des ions (i.e. Ga+) en surface et l'amorphisation de la lame sur une épaisseur d'environ 20 nm (épaisseur non-négligeable pour des observations en haute résolution). Dans tous les cas, ces imperfections impactent la qualité des images TEM. L'amincissement basse tension (16 kV au lieu des 30 kV utilisés lors de la découpe) permet de limiter ces effets, en réduisant considérablement l'implantation ionique sur l'échantillon et la zone d'amorphisation (~10 nm). Enfin, nous avons montré que la qualité de la lame pour les images TEM en ultra-haute résolution pouvait encore être améliorée grâce à l'utilisation de tensions encore plus faibles, de l'ordre de 5 kV. La figure 4 met en évidence l'influence de la tension d'amincissement sur la qualité des images obtenues [1] : un défaut étendu dans le substrat de silicium est observé après deux amincissements différents à respectivement 30 kV (fig. 4a) et 5 kV (fig. 4b). On observe clairement que la zone d'endommagement (zone entourée) est imagée de manière plus nette lorsque l'amincissement a été fait à 5 kV. Figure 4 : Influence de la tension utilisée lors de l'amincissement : a. 30 kV, b. 5 kV 3. Caractérisation électrique 3.1 Test en endurance Les cellules mémoires subissent des tests électriques afin de valider leur fonctionnement dans leurs conditions d'utilisation. Les deux principaux tests sont : – Le test de rétention qui donne l'aptitude de la cellule à conserver l'information dans le temps ; – Le test d'endurance qui donne l'aptitude de la cellule à supporter un grand nombre de cycles d'écriture/effacement. Ce dernier test consiste en un passage fréquent et répété de charges à travers l'oxyde tunnel qui se dégrade progressivement avec l'apparition de défauts microstructuraux qui impactent le fonctionnement électrique de la cellule en provoquant le déplacement de la tension de seuil de la cellule. La tension de seuil est la tension à partir de laquelle le canal de conduction est créé (il existe une tension de seuil propre à chaque état écrit et effacé). Un grand nombre de cycles peut conduire à la dégradation irréversible de la cellule (claquage diélectrique). 3.2 Fermeture de la fenêtre de programmation Le test d'endurance imposé à la cellule induit une fermeture de la fenêtre de programmation, c'est-à-dire un rapprochement des tensions de seuil (en écriture et effacement) de leur valeur à l'état vierge (fig. 5). Ce phénomène rend difficile voire impossible la discrimination des deux états binaires. Figure 5 : Fermeture de la fenêtre de programmation Les cellules observées lors de la présente étude ont subi des tests d'endurance dont le claquage apparaît après environ 400 000 cycles comme cela est montré sur la figure 6. Figure 6 : Fermeture progressive de la fenêtre de programmation liée à l'application de cycles d'écriture et d'effacement La fermeture de la fenêtre de programmation avant le claquage montre que la cellule, et en particulier l'oxyde tunnel, se dégrade progressivement. Certaines cellules ont été observées dans cette zone de fermeture (avant claquage) afin de déterminer précisément l'origine de ce mode de défaillance. 4. Caractérisation physique Figure 8 : Image TEM obtenue sur une cellule cyclée après claquage (grandissement, x 300 000) 4.2 Etude avant claquage d'oxyde La figure 9 présente une section transverse TEM de la fenêtre tunnel d'une cellule ayant subi 300 000 cycles. Cette cellule, toujours fonctionnelle, présente également une courbure du silicium à l'interface substrat/oxyde tunnel. 4.1 Claquage d'une cellule mémoire Une première cellule a été observée après un test d'endurance mené jusqu'au claquage (~ 400 000 cycles). L'analyse des images TEM montre un défaut apparaissant comme une "bosse" à l'interface silicium / oxyde tunnel, absente sur les cellules non-cyclées (fig. 7). Figure 9 : Image TEM obtenue sur une cellule cyclée avant claquage (grandissement, x 73 000) A plus fort grandissement, on constate le même type de défaut que celui observé sur la cellule claquée. En revanche, même si la largeur de la déformation est toujours d'une trentaine de nanomètres, elle présente ici une épaisseur de seulement 1 nm. Figure 7 : Image TEM obtenue sur une cellule cyclée après claquage diélectrique (grandissement, x 41 000) Observée à plus fort grandissement en mode haute résolution, on constate que la déformation est liée à la croissance d'un îlot cristallin de silicium à partir du substrat. Cette déformation s'étend en largeur sur une trentaine de nanomètres et sur une hauteur de 1,4 nm. Une déformation similaire a également été observée à l'interface oxyde tunnel/polysilicium avec les mêmes dimensions (fig. 8). Figure 10 : Image TEM obtenue sur une cellule cyclée avant claquage, (grandissement, x 230 000) 5. Discussion Les observations faites lors de cette étude peuvent être liées au phénomène dit de DBIE (Dielectric Breakdown Induced Epitaxy) mis en évidence par l'équipe de K-L. PEY et C-H. TUNG [2-5-7-9]. Ce phénomène est décrit comme étant la variation d'épaisseur de l'oxyde tunnel due à la croissance de cristallites de silicium à la surface du substrat. Il est attribué à une croissance épitaxiale du silicium induite par des phénomènes d'électromigration c'est-à-dire le déplacement d'atomes induit par le flux d'électrons circulant dans un conducteur ou semiconducteur Dans la littérature [5-6-8-12], les observations TEM de ce phénomène sont similaires aux observations faites lors de notre étude puisqu'une déformation des interfaces de l'oxyde tunnel avec le polysilicium et le substrat a été observée. De plus, les cycles d'écriture-effacement induisent un flux d'électrons à travers l'oxyde qui pourrait, comme pour le phénomène de DBIE, être responsable de la croissance du silicium dans l'oxyde en direction de la grille en polysilicium. Pour la cellule observée avant claquage, ce phénomène a également été observé. En revanche, l'épaisseur de la déformation avant claquage est environ 45% plus faible que celle observée après le claquage. Cette observation laisse à penser que le défaut apparaît avant le claquage et croît ensuite jusqu'à ce que le champ électrique aux bornes de l'oxyde soit supérieur au champ de claquage. Dans la littérature [4], la croissance par le mécanisme de DBIE est décrite selon trois grandes étapes : – Création de défauts dans l'oxyde, formation d'un chemin de conduction entre le polysilicium et le substrat et augmentation concomitante des courants de fuite ; – Déplacement d'atomes de silicium par électromigration et formation d'îlots cristallins ; – Croissance de ces îlots jusqu'au claquage de l'oxyde. 6. Conclusion Cette étude a mis en avant un défaut microstructural lié à la sollicitation d'une cellule mémoire en endurance (cycles d'écriture-effacement). L'utilisation de la microscopie électronique en transmission couplée à la préparation de lames TEM extrêmement fines et de grande qualité a permis l'observation de ce défaut à l'échelle de quelques nanomètres à l'interface silicium/oxyde. Pour la poursuite de cette étude, nous allons étudier des cellules ayant subi un plus faible nombre de cycles afin de pouvoir mettre en évidence la création progressive des îlots cristallins qui semble être à l'origine de la dégradation puis de la défaillance des cellules mémoires. Ces informations permettront de comprendre le mécanisme de claquage des oxydes et éventuellement de trouver les solutions adéquates pour résoudre ce problème. Les dimensions de ces îlots étant très faibles (quelques nanomètres) nous allons très vite être confrontés au problème de dégradation de l'échantillon par le faisceau électronique lui-même. Une des perspectives à venir pour atteindre les objectifs est d'utiliser une faible tension lors de l'observation des lames en TEM (80 kV au lieu des 200 kV utilisés en moyenne lors des observations standards). En effet, de nombreux artéfacts tels que des dislocations peuvent être créés lors des observations à 200 kV et peuvent masquer les défauts recherchés. L'optimisation des conditions de préparation (amincissement des lames) et d'observation est donc primordiale pour pouvoir caractériser par TEM, les défauts expliquant la défaillance des cellules mémoires EEPROM. Références [1] Petit E. "Etude par Microscopie Electronique en Transmission des défaillances des cellules mémoires", Stage de fin d’étude, ESIL, Université de la Méditerranée, 2010 [2] Pey K-L. et al., "Dielectric breakdown induced epitaxy in ultrathin gate oxide - A reliability concern", IEEE Int. Electron Devices Meeting, p. 163 (2002) [3] Pey K-L. et al., "DBIE shape and hardness dependence on gate oxide breakdown location in MOSFET channel", 41st Annual IEEE Int. Reliability Physics Symposium, p. 584 (2003) [4] Pey K-L. et al., "Gate dielectric degradation mechanism associated with DBIE evolution", IEEE Int. Reliability Physics Symposium Proceedings, p. 117 (2004) [5] Pey K-L. et al., "Physical characterization of breakdown in metal oxide semiconductor transistors", SPIE Newsroom., 2007 [6] Tang L-J. et al., "Study of breakdown in ultrathin gate dielectric using constant voltage stress and successive constant voltage stress", Micro. Eng., vol. 80, p. 170 (2005) [7] Tung C-H. et al., "Polarity-dependent dielectric breakdown induced epitaxy (DBIE) in Si MOSFETs", IEEE Electron Device Letters, vol. 23, p. 676 (2002) [8] Tung C-H. et al., "Fundamental narrow MOSFET gate dielectric breakdown behaviors and their impacts on device performance", IEEE Trans. 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