J. FRERE
aristotélicienne reste certes, malgré sa nouveauté chez les penseurs
grecs, une terminologie antique. Mais la conception aristotélicienne
d'un corps humain saisi non plus comme objet mais comme sujet est
conception qui annonce déjà ce que, bien plus tard, avec Descartes et
Biran, on allait appréhender comme union vécue de l'âme et du corps,
puis, avec les modernes, comme corps propre. C'est la célèbre
définition de l'âme qu'expose le début du livre II du traité De l'âme
d'Aristote : « L'âme est l'entéléchie première d'un corps naturel
organisé » (412a). Alors que Platon définissait l'âme (la conscience)
par la seule pensée indépendamment de son lien avec le corps,
Aristote définit la conscience, la psyché, en son articulation vécue
avec son corps existentiellement présent.
Si Aristote n'exclut pas que la psyché puisse en tant qu'intellect
purement contemplatif, être en certaines occasions séparée du corps
(ceci comme chez Platon, mais épisodiquement), par contre, pour
Aristote, en ce qui concerne l'intellect ordonnant le sensible ou
ordonnant l'action, en ce qui concerne la volonté, la colère, - le lien
vécu avec un corps existentiellement ressenti est sans cesse affirmé et
décrit.
C'est en ce sens qu'il convient selon Aristote d'opposer, à la
démarche du dialecticien pur, et à la démarche du physicien
étroitement matérialiste, un type d'approche objectif et réaliste, celui
du physicien authentique, disons du physiologiste ou du psychologue
authentique1.
Ainsi Aristote a pressenti cette unité vécue de la conscience et de
son propre corps que la psychologie, longtemps après, allait nommer
« le corps propre ».
C'est sur cet horizon de corps propre, de corps et de conscience en
leur unité existentiellement vécue, que vient se greffer ce que l'on
pourrait envisager comme une phénoménologie aristotélicienne de la
volonté. Phénoménologie du volontaire face au monde envisagée tour
à tour à deux niveaux : 1. celui du mouvement volontaire ; 2. celui
de l'action volontaire, action entendue dans toute son
extension : action technicienne, éthique, politique, artistique, praxis
et poiêsis. Mouvement et action entendus comme « ouverture sur le
monde ». On trouve ici une description psychologique certes pénétrée
d'un intellectualisme sans cesse présent, mais sans cesse débordé
sinon dépassé.
Envisageons ces deux plans connexes du lien entre la volonté et la
fin visée, tels qu'Aristote, en subtil phénoménologue, les a décrits.
C'est avant tout dans une phénoménologie tournant autour des
notions de désir et d'intellect face au monde que se modulent ces deux
descriptions connexes : celle du mouvement volontaire et celle de
1 Texte 1: De l'âme, I, 1, 403a sqq.