temps (tâche dont nous nous acquitterons dans les deux chapitres suivants), elle ne se réduit pas à et
ne s’épuise pas dans cette clarification : encore faudra-t-il expliquer en effet comment, dans la
phénoménalité, il peut y avoir ouverture à l’extériorité radicale du monde. Ce qui veut dire que si la
phénoménalisation implique une proto-temporalisation, elle implique autant une proto-spatialisation
(…) – sans que l’on ne puisse certes présupposer préalablement ni le temps, ni l’espace.7 »
La réflexion richirienne, montre Schnell, s’ancre d’abord à ce sujet dans la méditation merleau-pontyenne de
la question du corps dans sa Leiblichkeit – précisément, en tant que celle-ci constitue une dimension irréductible à
toute analytique existentielle, donc aussi, à toute analytique phénoménologique accordant au temps un privilège par
rapport à l’espace. Richir complique cependant cette problématique en couplant l’analyse de la Leiblichkeit avec
celle de la Phantasia : se basant, en particulier, sur l’étude approfondie du texte n° 16 de Husserliana XXIII, Richir
entend présenter dans toute sa complexité la question des différents modes de « possibilisations », de
« potentialisations », « d’effectuations » du Leib. En effet, explique Richir, c’est l’affectivité qui donne la clef des
modes les plus archaïques de l’incarnation, d’une incarnation toujours déjà clivée. Se repose ici dans toute son
acuité la question du soi – des différentes strates de cette question, de son niveau le plus transcendantal et formel –
que Schnell explicite à la lumière de la thématique fichtéenne de la réflexibilité – à sa concrétion, par condensation
affective, en sujet ipséique, Le moindre mérite de l’ouvrage n’est pas, quant à ce thème complexe, d’exposer de
façon convaincante la généalogie des différents niveaux problématiques mis en œuvre par Richir et à montrer leur
ancrage dans la philosophie classique allemande – toute la subtilité étant ici de retrouver à l’œuvre dans la
médiation richirienne le sel même de la controverse Fichte – Schelling que l’auteur a par ailleurs exposée dans son
ouvrage Réflexion et Spéculation8.
La thématique de l’extériorité, à laquelle ouvre, sans cependant l’épuiser, la question de l’incarnation, est
développée pour elle-même dans le dernier chapitre qui est en quelque sorte le point d’orgue de l’ouvrage. La
conception richirienne de l’extériorité marque en effet pour Schnell le point de rupture radical entre la
phénoménologie de Richir et toute phénoménologie ou pensée de l’immanence (Henry, Deleuze). Malgré – ou
grâce à son scepticisme – la philosophie de Marc Richir apparaît en effet comme une pensée dont le réel est
finalement l’inquiétude principal : le réel dans ce qu’il a à la fois de plus impensable et d’impalpable. Les
explications de Schnell sont particulièrement précieuses pour s’orienter dans le massif des analyses richiriennes sur
la genèse de l’espace, qui mobilisent les outils phénoménologiques husserliens dans leurs plus fines nuances et
subtilités, réactivent les concepts classiques que sont la chora platonicienne, le topos aristotélicien, les discussions
cartésiennes, leibniziennes, sur la nature de l’espace, introduisent enfin ces nouvelles instances que sont l’élément
fondamental et ses transpositions en élément de l’intelligible et en élément de l’imaginaire – instances au statut
complexe, pourtant essentiel à saisir pour qui veut pénétrer la substance de la méditation richirienne, qu’Alexander
Schnell expose de façon éclairante.
7 Ibid. p. 48
8 Réflexion et Spéculation, Grenoble : Millon, 2009