ABB identifie le «tueur de transformateurs»

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Des transformateurs bien huilés
ABB identifie
le «tueur de transformateurs»
Les efforts conjoints de spécialistes ABB de la chimie et de la technologie des transformateurs de puissance mettent en évidence l’importance
du choix de l’huile utilisée dans les transformateurs. Leurs travaux
débouchent sur une meilleure compréhension des phénomènes survenant dans les transformateurs immergés dans l’huile. Les propriétés chimiques de l’huile isolante jouent un rôle bien plus important sur la
durée de vie du transformateur que ne le suggéraient les connaissances
antérieures, notamment lors des transitoires répétitifs provenant, par
exemple, du très grand nombre de défauts en ligne dans une liaison
CCHT. Ainsi, de nouveaux critères de choix et méthodes de diagnostic
aideraient tous les utilisateurs à éliminer une cause auparavant mal
connue des claquages des transformateurs.
Jan Hajek, Mats Dahlund, Lars Pettersson, Gunnar Bennstam
Parmi les différents phénomènes à l’origine des claquages des transformateurs de
puissance, ABB s’est intéressé de près à
l’un d’eux, certes peu fréquent, mais
dont l’apparition est fonction de la nature des matériaux et des conditions de service. Avec un nombre très élevé de transformateurs installés sur les réseaux en
courant alternatif (CA) et en courant
continu à haute tension (CCHT), et un
retour d’expérience considérable, ABB a
pu analyser de manière approfondie ce
type de défaillance peu courant des
transformateurs et survenant dans des
zones géographiques limitées.
Certaines similitudes furent observées
entre les transformateurs en question, à
savoir:
– des phénomènes transitoires fréquents
et d’amplitude élevée,
– des défaillances en cours de fonctionnement normal, peu de temps après
des transitoires externes. Toutefois,
aucune origine externe directe du claquage n’était identifiée,
Figure 1 – Partie d’un enroulement avec dépôts de
sulfure de cuivre à la fois sur l’isolant du conducteur
et sur un intercalaire.
– des claquages entre spires des bobinages,
– aucun chemin disruptif à la terre dans
les transformateurs.
Partant de ces observations, l’étude fut
lancée avec un seul mot d’ordre: trouver
le «tueur de transformateurs»!
L’étude
Première étape: identifier d’éventuels
défauts de fabrication ou de conception.
Un examen minutieux des enroulements
ne révéla aucun élément dans la zone
du claquage indiquant un défaut de
fabrication. La conception fit l’objet
d’une analyse approfondie en utilisant
les outils les plus modernes. Le comportement sur transitoires de tension des
enroulements fut évalué à la fois par des
calculs et des mesures par oscillation
aux chocs récurrents, ces deux méthodes donnant approximativement les
mêmes résultats. La tenue de l’isolation
aux transitoires répétitifs fut également
vérifiée par expérimentation. L’isolation
entre spires fut soumise à une série de
transitoires de tension de forme d’onde
semblable à celle provoquée par les
défauts en ligne. Aucun claquage ne se
produisit au cours de l’étude expérimentale, alors même que la tension crête des
transitoires était deux fois plus élevée
que la valeur mesurée avec, en outre, un
nombre de transitoires correspondant à
plusieurs millions de défauts en ligne.
Les enroulements doivent résister à ces
transitoires avec une marge considérable. On en conclut qu’aucun défaut
d’exécution n’était à l’origine des claquages.
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Dépôts de sulfure de cuivre
En démontant spire par spire un enroulement défectueux, on découvrit en certains endroits un dépôt brillant sur les
intercalaires et sur l’isolant des conducteurs, plus particulièrement sur les cales
entre l’intercalaire et le conducteur (figure 1), dépôt constitué de sulfure de cuivre, Cu2S.
Influence sur la rigidité
diélectrique
La conductivité électrique du Cu2S est
notablement plus élevée que celle du
papier et de l’huile. Cela signifie que la
présence de Cu2S est susceptible de
modifier la distribution du champ électrique et donc de diminuer la tenue diélectrique à l’intérieur des enroulements.
Pour vérifier cette hypothèse, une série
d’essais sur des modèles entre spires fut
réalisée. Les intercalaires d’un enroulement déclassé furent examinés et des
matériaux à la fois contaminés au Cu2S et
sains furent testés.
Les essais, réalisés sous tension alternative, ont permis d’enregistrer à la fois la
tension d’apparition des décharges partielles (DP) et la tension de claquage.
Les résultats de ces essais montrent que:
– la tension d’apparition des DP et la
tension de claquage du matériau
recouvert de Cu2S sont nettement inférieures à celles du matériau (figure 2),
– l’isolant non contaminé présente la
même rigidité qu’un isolant neuf.
Par ailleurs, ils indiquent que le seuil
d’apparition des DP, en utilisant des
matériaux enrobés, était ramené à des
niveaux comparables à ceux survenant
lors des transitoires de tension.
Impact des transitoires
Même si le Cu2S abaisse le seuil d’apparition des DP, les dépôts de sulfure de
cuivre sur les enroulements ne suffisent
pas pour créer un court-circuit ou une
décharge partielle entre deux spires. Pour
qu’un de ces phénomènes se produise,
l’isolant doit par ailleurs être dégradé par
des transitoires répétitifs qui surviennent
dans les réseaux CCHT.
Un transformateur de réseau CCHT est
soumis à un processus de commutation
lorsqu’il y a transfert de courant d’une
phase à l’autre. Une élévation subite de
la tension aux bornes pendant ce proces-
Figure 3 – Transitoire de tension pendant un fonctionnement à 90°. La forme
d’onde est semblable à un choc de foudre normalisé entre l’isolant sain (série A) et
l’isolant dégradé par des dépôts de Cu2S (série D).
Figure 2 – Courbes de Weibull du seuil d’apparition des décharges partielles. La
série A concerne l’isolant sain alors que la série D montre le comportement d’un
isolant contaminé au Cu2S.
sus provoque des transitoires rapides de
tension dans les enroulements imposant
des contraintes locales sur l’isolant.
Même si ces phénomènes transitoires
sont préjudiciables en exploitation, les
contraintes qu’ils imposent aux enroulements sont très nettement inférieures à
celles subies au cours des essais de rigidité diélectrique d’un transformateur
avant sa livraison.
L’angle de commande (angle d’amorçage) a est un facteur critique de la gravité
des transitoires. La tension d’amorçage
introduit des transitoires proportionnels
au sine .
En régime continu normal, les tubes
redresseurs sont amorcés à ≈ 15° et la
contrainte de tension est faible.
Cependant, les convertisseurs CCHT
peuvent fonctionner en continu à des
angles de commande supérieurs. Un événement exceptionnel et grave est un
fonctionnement à 90° qui impose des
contraintes très fortes à l’isolation entre
spires. Ce fonctionnement survient, par
exemple, pendant les défauts en ligne,
phénomènes rares et de courte durée (figure 3). Ainsi, le processus de claquage
peut s’expliquer de la manière suivante:
une décharge partielle est amorcée dans
l’isolant contaminé au Cu2S pendant les
transitoires, décharge qui ne s’éteindra
pas. En fait, elle persistera à la tension de
service normale jusqu’au claquage de
l’isolant entraînant un défaut entre spires.
Formation du Cu2S
Le cuivre est présent en grandes quantités
dans un transformateur, mais la question
est de savoir d’où provient le soufre avec
lequel il réagit. Avant de pouvoir y répondre, quelques mots sur la chimie des huiles s’imposent. L’huile utilisée dans les
transformateurs est le plus souvent de
l’huile minérale hautement raffinée,
constituée principalement d’un mélange
d’hydrocarbures, composés contenant
uniquement de l’hydrogène et du carbone. Mais on y trouve également des composés oxygénés, azotés et soufrés. La plupart des composés soufrés peuvent réagir
avec le cuivre dans des conditions extrêmes. Mais seuls les mercaptans réagissent de manière significative dans des
conditions normales et facilement avec
de nombreux métaux, comme le cuivre,
pour former des mercaptides. Certaines
propriétés chimiques des mercaptans ont
fait l’objet d’études approfondies et peuvent expliquer nos découvertes. Selon
nous, c’est la réaction en chaîne suivante
qui aboutit à la formation du sulfure de
cuivre:
1) L’huile dissout l’oxyde de cuivre;
2) le cuivre dissous réagit avec les mercaptans pour former des mercaptides
de cuivre solubles dans l’huile;
3) les mercaptides de cuivre sont
transportés par l’huile et, lorsque les
conditions sont propices, se décomposent pour former du Cu2S et un résidu organique soluble dans l’huile.
Les principales réactions peuvent être
représentées comme suit:
Cu2O + 2RSH => 2 CuSR + H2O
(étapes 1 et 2 supra)
2 CuSR => Cu2S + RSR
(étape 3 supra)
où RSH est un mercaptan et R n’importe
quel alkyle ou autre radical hydrocarboné. Il existe, bien sûr, de nombreux R différents. Ces réactions peuvent, dans une
certaine mesure, se produire dans n’importe quel transformateur. Les problèmes
surviennent, toutefois, lorsque des huiles
faiblement raffinées de type non inhibées
ou contenant des traces d’additifs sont
utilisées.
Si toutes les étapes 1 à 3 interviennent à
proximité immédiate du conducteur en
cuivre, on trouvera du sulfure de cuivre
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uniquement sur le papier le plus profond.
Par contre, si un peu de cuivre est
transporté à distance de la surface cuivrée, la décomposition finale peut intervenir ailleurs. Dans ce cas, des composés
de l’huile autres que les mercaptans entrent en jeu. Les composés azotés de base
et les premiers produits de l’oxydation,
comme les peroxydes, contribuent au
déplacement du cuivre. En général, les
huiles faiblement raffinées contiennent
non seulement plus de mercaptans que
les huiles de première qualité, mais également beaucoup plus de ces autres
composés préjudiciables. La précipitation du sulfure de cuivre, semblable à
celle trouvée dans certains transformateurs démontés, a été reproduite en laboratoire à partir d’une huile riche en mercaptans de même qu’en ajoutant directement du mercaptide à l’huile. La teneur
en mercaptans des huiles neuves pour
transformateurs est très variable, allant de
0,2 à 10 ppm. Elle est nettement réduite
dans l’huile d’un transformateur en service depuis plusieurs années du fait de leur
réaction avec les métaux.
En plus de l’huile, d’autres sources
potentielles de sulfure de mercaptan
dans un transformateur ont été étudiées.
Les expériences dites de «lixiviation» ont
montré que seules des quantités insignifiantes peuvent être trouvées à l’état de
traces. Cela nous amène à conclure que
seule une huile vierge faiblement raffinée
peut être à l’origine du «tueur de transformateur» qu’est le Cu2S.
Méthodes de diagnostic
Mesure de la teneur en mercaptans
La mesure de la teneur en mercaptans de
l’huile se fait par simple analyse chimique. Cependant, elle n’est significative
que pour l’huile vierge car les mercaptans sont consommés dans le temps.
Identification de l’huile
On ne connaît pas toujours le type
d’huile utilisé dans un transformateur.
Toutefois, plusieurs techniques d’identification permettent d’établir «l’empreinte» de différents produits. Les huiles pro-
blématiques peuvent être identifiées de
même que celles réputées de bonne
qualité.
Mesure DFR
Une méthode d’essai importante utilisée
pour diagnostiquer l’isolation des transformateurs est la mesure de la Réponse
en Fréquence Diélectrique (RFD), qui
découle de la méthode traditionnelle du
facteur de dissipation diélectrique ou de
mesure de la tangente de l’angle de pertes (tan ). Au lieu de se cantonner à la
fréquence industrielle, les capacités et les
pertes sont mesurées sur une large plage
de fréquences, en général entre quelques
mHz et 1000 Hz.
La mesure RFD est sensible à l’humidité
dans la cellulose et à la conductivité de
l’huile, mais peut également servir à
détecter la contamination à la surface de
l’isolant cellulosique. Même si elle ne
permet pas de déceler directement la
contamination au sulfure de cuivre à l’intérieur des bobines d’enroulement, elle
indiquera si des dépôts de sulfure de cuivre ont contaminé le transformateur en
d’autres endroits. La présence de contamination apparaîtra dans le spectre RFD
avec un profil caractéristique. Pour inter-
préter au mieux les résultats de la mesure RFD, il importe de connaître la
conception et les propriétés diélectriques
des matériaux isolants. Dans le domaine
de la modélisation et de la compréhension des mesures RFD, ABB dispose d’un
savoir-faire inégalé.
En parallèle, ABB s’efforce en permanence
de mieux servir ses clients en faisant progresser ses méthodes de conception/fabrication et ses services de diagnostic/maintenance sur site.
Bilan
Le mécanisme de claquage se résume
ainsi:
– Les huiles agressives produisent du sulfure de cuivre.
– Celui-ci dégrade l’isolant.
– Les transitoires répétitifs accentuent la
dégradation de l’isolant. Dans les
réseaux CCHT, les transitoires découlant du fonctionnement à 90° ou
d’un régime continu à MVAR élevé
suffisent à l’apparition des décharges
partielles.
– Une décharge partielle (DP) dans l’isolant dégradé persiste.
– Lorsque l’isolant est suffisamment
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dégradé, la DP se maintient aux seuils
de tension de service normaux.
– Une DP provoque un défaut entre spires et le claquage du transformateur.
Par rapport aux études et recherches
antérieures sur les huiles agressives, nous
sommes aujourd’hui en mesure d’expliquer le processus chimique de dégradation plus en détail. De surcroît, nous
savons maintenant pourquoi certaines
conditions de service combinées à des
huiles inadaptées accélèrent la dégradation de l’isolant.
Nous pouvons donc en conclure que
c’est la qualité de l’huile qui fait toute la
différence.
Jan Hajek
Mats Dahlund
Lars Pettersson
ABB Power Technologies AB
Transformateurs de puissance
Ludvika (Suède)
[email protected]
Gunnar Bennstam
ABB AB
Ludvika (Suède)
Source: Revue ABB 3/2004
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