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Tel n’est absolument pas le cas en philosophie où rien n’est jamais acquis-prédonné, ni dans son
objet -de quoi doit parler le philosophe : du monde, de l’homme ou de dieu et desquels au juste, étant
entendu qu’il en existe une multiplicité de formes ?-, ni dans sa méthode -comment faut-il qu’il en
parle, en usant de quel instrument : de l’intuition, du sentiment ou de la raison ?-, ni dans sa fin
–quel but poursuit-il : la connaissance ou la pratique ?-, autant de questions qu’on ne saurait trancher
par avance, sous peine de tomber dans l’arbitraire. C’est dire l’impasse dans laquelle nous nous
engagerions d’entrée en voulant philosopher, impasse soulignée par Hegel tant au début de son
Introduction à la Science de la Logique, consacrée au " Concept général de la Logique ", que et surtout
au commencement même de celle à l’Encyclopédie des sciences philosophiques
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Contrairement aux autres sciences qui acceptent par avance l’existence des objets dont elles traitent :
l’espace ou le nombre pour la mathématique, les corps pour la physique, la vie pour la biologie etc.
–soit ceux-là mêmes que lui offre la représentation-, et le moyen dont elles usent pour en parler :
déduction axiomatique pour l’une, induction expérimentale pour les autres –dans les deux cas
" une façon lemmatique [hypothétique] "-, la philosophie ne saurait se permettre de présupposer quoi
que ce soit, faute d’objet et de méthode immédiatement accordés.
"
La
philosophie
est
privée
de
l’avantage dont profitent les autres sciences de pouvoir présupposer ses objets,
comme accordés immédiatement par la représentation, ainsi que la méthode de la connaissance
-pour commencer et progresser-, comme déjà admise."
Nul être concret / particulier ou représentable, qu’il soit d’ordre matériel (inerte ou vivant) ou spirituel
(homme ou société) ne peut au demeurant lui être assigné, dans la mesure où tous les étants sensibles
ou humains font déjà l’objet d’une discipline constituée / déterminée. Partant on n’y dispose de nulle
méthode qui aurait déjà fait ses preuves.
Autant les matières scientifiques se passent de toute interrogation préalable sur leur possibilité,
puisqu’elles reposent sur des préliminaires indiscutés et indiscutables par et pour elles-mêmes et
considérés comme " bien connus " ou familiers.
" Une science de ce genre n’a pas à se justifier au sujet de la nécessité de l’objet même dont elle traite ;
à la mathématique en général, à la géométrie, à l’arithmétique, à la science du droit, à la médecine, à la zoologie,
à la botanique, etc., il est concédé de présupposer qu’il y a une grandeur, un espace, un nombre, un droit,
des
maladies,
des
animaux,
des plantes, etc., c’est-à-dire qu’ils sont admis par la représentation comme existant là
;
on n’a pas l’idée de douter de l’être de tels objets, et de demander qu’il soit prouvé à partir du concept qu’il doit
nécessairement y avoir en et pour soi une grandeur, un espace, etc., de la maladie, l’animal, la plante."
Autant notre « science » exige une justification qui en valide l’existence même. C’est dire la situation
très inédite/spécifique dans laquelle nous nous trouvons ici et le besoin impérieux qu’éprouve(ra)
forcément tout candidat à la Philosophie d’une « Introduction » sérieuse.
"
Les
sciences
philosophiques
sont
celles
qui
ont le plus besoin d’une introduction, car dans les autres sciences on connaît aussi
bien l’objet que la méthode : c’est ainsi que la science naturelle a pour objet la plante ou l’animal ; la géométrie, l’espace.
L’objet d’une science naturelle est donc quelque chose de donné, qui n’a pas besoin d’être défini et précisé.
Il en est de même de la méthode qui est fixée une fois pour toutes et admise par tous. Dans les sciences, au contraire,
qui portent sur des produits de l’esprit, le besoin d’une introduction, d’une préface se fait sentir davantage."
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Certes on peut intuitivement reconnaître à la philosophie une parenté avec la religion, si l’on
convient que, comme celle-ci, celle-là a affaire à la Vérité –et non à telle ou telle vérité- et donc
partage avec elle la croyance en une vérité absolue, c’est-à-dire en Dieu. Toutes deux n’envisagent
d’ailleurs tout le reste (monde et homme) que dans leur rapport à Elle / Lui, censé(e) être leur source.
"
Elle
a, il est vrai, ses objets tout d’abord en commun avec la religion. Toutes deux ont pour objet la vérité,
et cela dans le sens le plus élevé, -dans celui selon lequel Dieu est la vérité et lui seul est la vérité.
Ensuite, toutes deux traitent en outre du domaine du fini, de la nature et de l’esprit humain, de leur
relation l’un à l’autre et à Dieu comme à leur vérité."
Ainsi lorsqu’elles se penchent sur le fini (nature et esprit), c’est pour y déceler les traces de l’infini
(l’Absolu, l’Esprit ou Dieu) et non pour l’étudier en lui-même, comme les sciences positives.
N’appartiennent-elles pas du reste avec l’art à la sphère de L’Esprit absolu
7
?
5
Texte in op. cit. Introd. § 1
6
S.L. Introd. C.G.L. p. 27 (cf. égal. I. C.S. p. 64) ; E. 1
ère
éd. Introd. § 1 R. et Esth. Introd. chap. 1
er
2
pp. 13-14
7
E. III. 3è Sec. ; cf. égal. H.Ph. Introd. II. II. p. 46