Un Franc-Maçon peut-il être qualifié de philosophe ? Voici le libellé d’une réflexion à faire proposée par le Journal Alpina en 2011 « Bien que la Maçonnerie ne soit pas un système philosophique en soi, elle n’en propose pas moins une vision de l’humain et du monde, de même qu’elle reflète une certaine manière de vivre et de penser. Dès lors, penchons-nous sur les parallèles entre la Maçonnerie et la philosophie. Voyons les éléments que la première emprunte à la seconde, les influences réciproques éventuelles. » L’affirmation que la Maçonnerie : « …propose une vision de l’humain et du monde… » laisse songeur car, depuis quand la Maçonnerie propose-t-elle une vision de quoique ce soit ? Et si elle en propose une, laquelle est-elle ? La Maçonnerie ne propose rien excepté des Outils, des Symboles et des Rituels qui offrent au chercheur la possibilité de découvrir ce que ses potentialités personnelles, c’est-à-dire résultantes de son application au travail et non de son intelligence, lui permettront de découvrir. Le Maçon enclenche le Processus ou plutôt comme le Processus est depuis toujours enclenché, le Maçon prend ou non conscience de ce dernier. Mais la conscience de ce Processus ne durera que pour autant que le Maçon continue de l’alimenter. L’aliment de la prise de conscience est dans ce cas, son assiduité personnelle à, non pas vouloir travailler, mais à travailler réellement lui-même sur lui-même. Le Processus n’appartient pas au Maçon. Tout ce qui vit est à la fois issu, dans et mû par ce Processus. Seule l’alimentation de la prise de conscience est placée sous la responsabilité du Maçon. Seuls les humains ont cette capacité de prise de conscience. La “ vision ”, s’il peut en existe une, on lui préfèrera l’expression de “ vécu ”, qui résultera de ce travail sera personnelle à chaque Maçon et ne pourra en aucun cas être qualifiée de vision Maçonnique ou commune à tous les Maçons même si, à certains stades de leur progression, les vécus individuels de plusieurs Maçons peuvent avoir de nombreux points communs. Mais cette communauté des vécus ne pourra jamais être figée, ni même dogmatisée car sans cesse en évolution en fonction des progrès personnels de chaque Maçon. Le Rituel est très clair à ce sujet, la seule chose que les Maçons partagent est une Vérité, pas une vision… et encore, le Rituel parle de “ réunir ” des Maçons en évitant de mettre en avant la notion de partage. C’est pour cela qu’il est très courageux de chercher des parallèles entre la Maçonnerie et la philosophie car en fait, ils n’en existent aucun. On pourrait même affirmer que plutôt que de parler de parallèles, on préfèrera le terme de perpendiculaires. La Maçonnerie étant directement à la verticale de la philosophie qui elle serait alors totalement horizontale. Quelles différences Maçonnerie ? existent-ils entre la philosophie et la La philosophie est d’une façon générale un travail de réflexion qui se situe à l’extérieur de la chose étudiée. On peut être un excellent philosophe et 1 être un très mauvais Maçon. Comme l’on peut être un excellent enseignant et un très mauvais praticien de la matière que l’on enseigne. Le contraire par contre en Maçonnerie n’est pas possible et nous allons voir pourquoi. Si l’on s’en tient à la définition classique, nous lisons que : « Le mot philosophie est composé des mots aimer et de la sagesse, le savoir, c'est-à-dire littéralement, l'amour de la sagesse. Ce mot désigne une activité et une discipline existant depuis l'Antiquité et se présente comme un questionnement, une interprétation et une réflexion sur le monde et l'existence humaine, ou encore comme un savoir systématique. » On remarque immédiatement que si le philosophe est amoureux de la sagesse il n’est par contre, pas astreint à être sage lui-même. « Fais ce que je dis mais ne fais pas ce que je fais » est une formule qui s’applique particulièrement bien au philosophe mais qui par contre, ne pourra jamais s’appliquer au Maçon sincère. Le philosophe est un intellectuel, dans le sens qu’il sait utiliser son intellect, souvent muni en plus d’un excellent organe logorrhéique, qui peut lui permettre de débattre, pendant des heures, d’un sujet quelconque sans rarement mettre ses propos à l’épreuve des faits. Peut-on dire que le Maçon possède des points communs avec les philosophes ? Certainement pas… à l’exception de leur capacité de réflexion considérée dans ce cas comme un outil, une façon d’utiliser ses neurones, et non pas comme un résultat issu de ce travail neuronal. Mettez un philosophe et un Maçon côte à côte et vous pourrez avoir l’impression que tous les deux procèdent de la même logique. Mais vous n’en aurez que l’impression car si le philosophe utilise les moyens qu’il a à disposition pour disserter sur l’humain et sur le monde, le Maçon tout au contraire va s’interdire de s’engager dans une telle démarche. Le philosophe compte sur ses acquis personnels, tous plus ou moins égocentrés, pour exprimer sa “ vision ” du monde qui n’intéresse en fait que lui ou que des gens comme lui. Tandis que le Maçon compte sur sa capacité à renoncer à ses acquis, à abandonner les différents formatages imposés par la société, pour trouver la Vérité qui ne concerne en fait que lui. Le Maçon, bien que généralement qualifié de spéculatif, spécule d’une façon radicalement différente de celle du philosophe. Nous pourrions même dire, pour bien marquer la différence, que si le philosophe spécule, le Maçon le fera aussi mais en partant de l’idée que toutes ses spéculations devront aboutir à des opérations. Le Maçon pourrait donc être qualifié d’opératif dans sa démarche tandis que le philosophe restera au stade premier purement spéculatif ce qui, loin de présenter un avantage, démontre que le seul fait de manier des supputations rétrécit considérablement le champ d’investigations puisque je peux spéculer à l’infini et dans le vide sans tenir compte de la réalité, tandis que le Maçon, de par la définition de sa démarche est contraint de ne spéculer que sur ce qu’il mettra à l’épreuve de la Réalité et qui résistera peu ou prou à cette dernière. 2 Mais que ses spéculations résistent ou non à l’épreuve de la Réalité n’a en fait pas d’importance, puisque l’enseignement que le Maçon pourra tirer de ses expériences aura une valeur bien supérieure à celui du philosophe qui ne pourra jamais confronter ses spéculations à la Vérité de la Réalité. Peut-on dire que l’action de philosopher est totalement inutile ? Oui, certainement…, sauf qu’elle permet à certains de s’entraîner à la réflexion et à concevoir de multiples abstractions qui permettront, s’ils en ont le courage et la volonté, de passer ensuite à l’action. Les seuls philosophes qui en vaillent vraiment la peine, d’un point de vue Maçonnique s’entend, sont ceux qui, brisant le cadre de leur enfermement spéculatif, vont avoir le courage d’éprouver leurs spéculations en affrontant la Réalité. Le Maçon met les mains dans le cambouis, le philosophe regarde le Maçon œuvrer en tentant d’extraire de ce qu’il observe une règle ou un principe. Mais comme l’on sait que l’observateur ne serait jamais au centre de la réalité mais seulement sur une circonférence plus ou moins éloignée, il est évident que l’enseignement issu du vécu aura beaucoup plus de valeur que celui tiré de l’observation qui restera, nous le savons également, qu’une interprétation de la réalité, qu’une pure spéculation, qu’une redoutable illusion. D’ailleurs le mot interprétation figure en bonne place dans la définition de la philosophie énoncée plus haut. Il est généralement plus facile de spéculer que d’agir et compte tenu de l’avidité ancestrale des foules à écouter ceux qui les bercent d’illusions, il est rare qu’un philosophe passe à l’action. Le danger serait trop grand pour lui d’échouer et de devoir reconsidérer son point de vue, de devoir se remettre en question en quelque sorte. Il peut le faire, mais dans ce cas, peut-il encore être qualifié de philosophe ou bien acquiert-il un autre statut équivalent à celui du Maçon sincère, c’est-à-dire et par rapport à ce que nous venons de définir, d’opératif ? En fait, cela n’a aucune importance qu’un tel soit spéculatif et que tel autre soit opératif. L’important étant de choisir de quel côté l’on se place et d’éviter, si l’on est Maçon de rester à spéculer en remettant toujours à demain le risque ou la chance d’opérer. Le Maçon peut-il faire l’économie du philosophe et de la philosophie ? Certainement… L’expérience vécue et acquise primera toujours sur la spéculation et permettra au Maçon d’acquérir ou de raffermir son vécu par rapport à la Réalité et lui apportera des informations très utiles pour poursuivre sa progression. Le philosophe qui, restant prisonnier de sa dernière spéculation, n’aura aucune possibilité de vérifier si elle correspond à quelque chose de concret ou de totalement abstrait. La Sagesse ne se spécule pas, elle se vit et sa définition le confirme : « La Sagesse est la connaissance du vrai et du bien, fondée sur la raison et sur l'expérience. » C’est pourquoi la Tradition, plutôt que la philosophie, est la base de la Maçonnerie. La Tradition est non seulement issue de l’expérience et d’un 3 savoir reçu et vécu par les Anciens mais elle est aussi le guide ou le fil conducteur qui peut permettre l’action voir même la progression. Beaucoup de Maçon qui s’ignorent, je pense à la multitude de religieux, de savants, de penseurs de différentes époques, de différents dogmes et de différentes traditions, qui ont eu la curiosité et la volonté de suivre les Impulsions qu’ils percevaient, ont pu découvrir des facettes de la Vérité qu’ils ont ensuite exprimées sous une forme verbale ou textuelle. Souvent à leurs risques et périls d’ailleurs notamment lorsque ces dernières étaient en totale opposition avec les dogmes de l’époque. On a qualifié ces courageux de philosophes alors qu’ils ne l’ont jamais réellement été. C’est leur courage et leur volonté associés qui leur ont permis de dépasser le stade de la spéculation pour se donner corps et âme à leurs convictions. C’est la mise à l’épreuve qui leur a permis de s’enrichir et d’enrichir leur environnement, pour autant que ce dernier ne se contente pas d’apprécier la lettre mais d’abord et avant tout l’esprit de cette dernière. Le qualificatif de philosophes qui leur a été attribué n’est dans ce cas qu’une facilité de langage, malheureusement fausse ou en tout cas fortement corrompue, utilisée par des ignorants qui ne savent pas différencier la théorie de la pratique de la pratique de la théorie. Ignorons les ignorants, pour dire que le monde est composé de deux types d’individus ceux qui spéculent et ceux qui opèrent. Ces derniers pouvant être à tort qualifiés de philosophes par la masse ignorante. Mais sur quoi les opératifs opèrent-ils réellement ? Certainement pas sur l’humain ou sur le monde comme le propose l’énoncé du présent thème de réflexion. L’humain comme le monde ne présentent aucun intérêt pour l’opératif dans la mesure où quoi qu’il fasse, l’opératif sait qu’il n’aura jamais accès à La Connaissance Globale de ces deux entités. L’opératif travaille uniquement sur lui et peut espérer, bien qu’il en ait rarement le loisir, que ses progrès personnels pourront, un jour ou l’autre, avoir une quelconque influence sur son environnement. Mais cela n’a, pour lui, aucune importance… En effet, si l’on regarde tous les opératifs qui ont eu le temps de coucher sur le papier leurs parcours terrestres ou de le transmettre oralement, on se rend compte que la majorité a fini soit sur un bûcher soit, sur une croix soit encore, écartelés ou excommuniés. L’opératif ne peut pas rêver d’hommes ou d’un monde meilleurs. En vivant constamment dans le “ Ici et maintenant ”, la notion de rêve n’existe pas pour l’opératif. Que pourrait-il rêver de plus et de mieux que la Vérité dans laquelle il vit déjà ? En contact direct avec la Réalité, l’opératif sait, d’expérience faite et non pas spéculée, que cette pseudo indignité du monde terrestre, ainsi dénommée par les spéculatifs, est en réalité la Vraie Réalité, celle qui permet au Plan du Grand Architecte de l’Univers de se réaliser et donc de perdurer. La prise de conscience n’étant qu’un abandon de soi-même à la Nature ou à la Logique du Plan du Grand Architecte de l’Univers. Il n’a jamais été dit 4 que le Maçon devait s’occuper des autres. Par contre, en s’occupant de se placer lui-même correctement et naturellement, au sein de cette Harmonie Architecturale, cela pourra peut-être rejaillir sur l’ensemble dont nous même et les autres faisons partie. Mais encore une fois, cela ne peut pas faire partie des préoccupations d’un opératif puisque, dans l’ “ Ici et maintenant ”, aucune préoccupation n’existe. Rêver d’un monde meilleur n’est qu’une façon comme une autre d’exprimer son ignorance, son égocentrisme et souvent, de se trouver de très bonnes excuses pour remettre à plus tard son moment personnel d‘opérer. L’opératif se fera discret, à l’image de moult alchimistes, qui travaillant dans leurs soupentes se sont occupés d’eux-mêmes plutôt que de prétendre s’occuper ou d’aider les autres. Ce comportement autonome que certains pourront qualifier d’égocentrique n’est en réalité qu’égoïste. C’est le seul comportement que peut suivre un Maçon sincère. Comment pourrais-je prétendre changer le monde si je ne suis pas d’abord capable de me changer moi-même. Fais ce que je fais pourrait être la devise du Maçon en ajoutant, et surtout, ne dis rien à personne… « Fais ce que tu dois, advienne que pourra » « Ordo ab chaos » Gérald de Filippis Loge les Frères Inconnus de Memphis 9 octobre 2012 5