LE PRINCIPE DE PASCAL-HUME ET LE FONDEMENT DES SCIENCES PHYSIQUES Ouverture Philosophique Collection dirigée par Dominique Château, Agnès Lontrade et Bruno Péquignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques. Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou... polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Déjà parus François CHENET (textes réunis par), Catégories de langue et catégories de pensée en Inde et en Occident, 2005. Fabien TARBY, Matérialismes d'aujourd'hui, de Deleuze à Badiou, 2005. Fabien TARBY, La philosophie d'Alain Badiou, 2005. Emmanuel FALQUE et Agata ZIELINSKI, Philosophie et théologie en dialogue, 2005. Augustin BESNIER, L'épreuve du regard, 2005. Xavier PIETROBON, La nuit de I (insomnie, 2005. Gustavo JUST, Interpréter les théories de l'interprétation, 2005. Jean C. BAUDET, Le signe de l'humain, 2005. Stéphane VINOLO, René Girard: Du mimétisme à I 'hominisation. « La violence différante », 2005. Howard HAIR, Qu'est-ce que la philosophie ?, 2005. Sylvie MULLIE-CHATARD, De Prométhée au mythe du progrès. Mythologie de l'idéal progressiste, 2005. Raymond PERROT, De la narrativité en peinture. Essai sur la Figuration Narrative et sur le figuration en général, 2005. Robert PUJADE, Art et photographie: la critique et la crise, 2005. Jean-Luc PÉRILLIÉ, Symmetria et rationalité harmonique, 2005. Jean-René Vel'nes LE PRINCIPE DE PASCAL-HUME ET LE FONDEMENT DES SCIENCES PHYSIQUES L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique; FRANCE L'Hannattan Hongrie Konyvesbolt Kossuth L. u. 14-16 1053 Budapest Espace L'Harmattan Fac. .des Sc. Sociales, BP243, Université Kinshasa Pol. et Adm. ; KIN XI de Kinshasa - RDC 75005 Paris L'Harmattan ItaUa Via Degli Artisti, 15 10124 Torino ITALlE L'Harmattan 1200 Burkina Faso logements villa 96 12B2260 Ouagadougou 12 http://www .Iibrairieharmattan. con1 diffusion. harmattan @wanadoo.fr harmattan! @wanadoo.fr cg L'Harmattan, 2005 ISBN: 2-7475-9788-1 EAN : 9782747597883 He.urellX telnps oz.{la science et la pllzlosophie lnarchaient enselnble, et qllel tenlps de.fête qZ.1JOllainlerait revivre. No'us lIe désespérons pas qu'un JOUI;lasse de ressasser sa propre histoire, ICIphilosophie el1treprenne à nouveaz/ de comprendre le n10nde. GEORGES CHARPAK ET ROLAND OMNÈS PRÉFACE Les philosophes se sont exprimés à travers les siècles dans des ouvrages de plus en plus gros. On en a conclu qu'ils devenaient de plus en plus savants et que les livres brefs ne méritaient pas d'être lus. Une telle opinion se justifie dans certains domaines, notamment en histoire de la philosophie. Mais les progrès cruciaux de la phi - losophie se sont souvent traduits dans des textes très brefs, qui n'excédaient pas quelques pages. À une époque où l'on publie de plus en plus de livres, beaucoup d'entre eux gagneraient plus courts. Centrés sur l'essentiel, plus longtemps à ce qu'ils apportent. ils permettraient à être de réfléchir RÉSUMÉ Le sens commun considère l'existence de la matière comme une évidence, parce qu'il voit dans les objets matériels la cause de nos perceptions. Lorsque connaissance commence Hume montre que nous n'avons pas de a priori de la causalité, une partie des philosophes à penser, à la suite de Kant, que la matière n'existe pas, qu'elle est une simple projection de notre esprit et que l'or - dre manifesté par les lois de la physique résulte d'une nécessité intérieure à la pensée elle-même. Ce bref ouvrage prétend fait, Kant s'appuie montrer qu'en raisonnant implicitement comme il le sur un principe rationnel qu'on pourrait dénommer principe de probabilité a priori et qui s 'appa - rente étroitement au principe sur lequel Pascal fait reposer le cal cul des probabilités. remment à l'existence Mais ce principe permet de conclure indiffé de la matière ou à celle des catégories l'entendement. Dès lors le choix entre la philosophie et l'idéalisme transcendantal est fonction de ces deux systèmes dans l'explication de matérialiste de l'efficacité de nos perceptions. relative - INTRODUCTION La pensée contemporaine est marquée par le divorce profond qui oppose la conception philosophique du monde à la conception scientifique. Tandis que les sciences de la nature, de l'astronomie à la biologie, supposent des atomes doués d'une existence propre, indépendante de la conscience, la philosophie trouve sa voie dans une analyse de plus en poussée des données de la conscience. Pour reprendre les termes de Kant, la théorie scientifique se développe sur le plan du transcendant et la philosophie sur celui du transcendantal. Une telle dichotomie de la connaissance est-elle satisfaisante pour l'esprit? Ce le serait peut-être si science et philosophie se présentaient comme deux disciplines complémentaires. Mais il est évident que ce n'est pas le cas. Tandis que les sciences physiques pensent trouver dans les objets matériels l'explication des lois naturelles, une grande partie des philosophes semble considérer une telle explication comme non valide, soit qu'ils rejettent purement et simplement l'existence de la matière, soit tout au moins qu'ils la considèrent comme inconnaissable et non susceptible dès lors de fournir une explication quelconque. 14 LE PRINCIPE DE PASCAL-HUME Deux conséquences essentielles résultent de cet état de fait. Tout d'abord la science physique se trouve d'une certaine façon discréditée, non pas sans doute dans son énoncé des lois naturelles qui sont fonnulées à partir de nos perceptions et confinnées par elles mais dans toute sa partie théorique où se trouve inévitablement évoquée l'existence d'objets matériels. Pour beaucoup de philosophes la théorie atomique - et avec elle toutes les conséquences qu'elle entraîne - n'est qu'une représentation fictive de l'Être dont nous ne pouvons nous faire une idée authentique que par une méditation sur les données de la conscience. Les philosophes seraient ainsi les seuls à détenir une connaissance authentique du réel. Mais on peut également se demander si, en rejetant toute explication des lois physiques par l'existence d'objets matériels, on ne se prive pas de la seule voie possible d'explication; et si cette explication, que tant d'esprits cherchent ou ont cherché désespérément et à laquelle la science physique tente de donner une fonne, ne répond pas à une exigence intellectuelle insunnontable et irrévocablement justifiée. Faut-il rejeter définitivement de la philosophie la question du « pourquoi », qui a constitué de tout temps le moteur essentiel de la philosophie rationaliste, soit que l'on considère sa solution comme au-dessus des forces humaines, soit qu'on la déclare illusoire, le seul problème pratique étant celui du « comment» ? Ce bref ouvrage poursuit un double but: il est de montrer que l'on peut donner une démonstration rationnelle de l'existence de la matière, différente de la preuve par le principe de causalité qui a été si longtemps invoquée. Il est également de développer une INTRODUCTION 15 conception de la raison plus large et plus souple que dans la philosophie classique, où celle-ci n'est plus réduite à la nécessité, telle qu'elle apparaît dans la déduction géométrique, mais porte également sur le possible. Comme il arrive si souvent, cette solution est loin d'être entièrement nouvelle, puisqu'elle trouve sa source dans l'esprit de deux des plus grands philosophes des temps modernes, Pascal et Hume et qu'elle était d'une certaine façon écrite en pointillé dans leurs œuvres. Il suffit d'un simple changement d'éclairage pour en modifier profondément la portée. Une fonction primordiale de la philosophie de la connaissance est d'établir un pont aussi solide que possible entre le monde de la perception et le monde de la matière. CHAPITRE 1 LA CRITIQUE DE L'IDÉE DE CAUSE En 1748 David Hume publie l'Enquête sur ['entendement humain. Cet ouvrage va exercer jusqu'à nos jours une influence décisive sur l'évolution de la philosophie. Le point capital de la pensée humienne réside dans sa critique de l'idée de cause. Jusqu'alors le principe de causalité était considéré comme évident a priori, au même titre que le principe de contradiction ou les autres principes logiques. C'est en s'appuyant sur lui que le sens commun affirme l'existence de la matière: celle-ci serait la cause de nos perceptions. Et le principe de causalité tenait une place essentielle dans la philosophie cartésienne, où les effets sont censés résulter des causes selon une nécessité analogue à celle qui unit 1'hypothèse et la conclusion dans la déduction géométrique. Hume montre que nous n'avons aucune connaissance a priori de la causalité. Il semble en résulter que nous n'avons aucune connaissance non seulement de la nature de la matière mais même 18 LE PRINCIPE DE PASCAL-HUME de son existence et, d'une façon plus générale, que nous ne pouvons avoir aucune connaissance certaine d'objets extérieurs à la conSCIence. La critique de l'idée de cause La critique de la causalité, la thèse de Hume la plus considérable par ses conséquences, ne tient dans son œuvre qu'une place fort réduite. Elle n'en occupe au total que quelques pages. Mais il n'était pas nécessaire d'écrire plus long et nous n'en retiendrons ici que le paragraphe le plus démonstratif, celui où s'exprime l'argument le plus décisif de sa pensée. Quand je vois, par exemple, une boule de billard qui se meut en ligne droite vers une autre [...] ne puis-je pas concevoir que cent événements différents pourraient aussi bien suivre de cette cause? Les billes ne peuvent-elles toutes deux rester en repos absolu? La première bille ne peut-elle retourner en ligne droite ou rebondir de la seconde dans une ligne ou une direction quelconque? Toutes ces conceptions sont cohérentes et concevables. Alors pourquoi donner la préférence à l'une d'elles qui n'est ni plus cohérente, ni plus concevable que les autres? Hume s'oppose ici à Descartes pour qui les lois du choc peuvent être déterminées a priori: selon ce dernier la quantité de mouvement reste constante et se transmet d'une boule à l'autre en vertu d'une nécessité rationnelle. On peut donc prévoir par le seul raisonnement le mouvement des deux boules postérieur au choc. LA CRITIQUE DE L'IDÉE DE CAUSE 19 Le premier caractère du raisonnement humien est qu'il nous fait changer de plan. Descartes suppose une quantité de mouvement dans des corps matériels qui existeraient en dehors de la conscience, hors de toute appréhension directe. Hume fait remarquer que tout ce que nous connaissons, ce sont des boules en mouvement qui nous apparaissent sous la forme de perceptions successives. La notion de cause change ainsi de nature. La cause n'est plus considérée comme un pouvoir qui serait logé dans un corps matériel. mais comme le mouvement apparent qui précède le choc et qui est suivi par un autre mouvement apparent, celui des boules après le choc. Par un curieux retournement de l'histoire, Hume utilise ainsi contre Descartes la méthode même de Descartes. La seule réalité qui nous soit connue directement et avec certitude, ce sont les perceptions. C'est d'elles qu'il nous faut partir pour réfléchir sur la causalité. La quantité de mouvement invoquée par Descartes et où celui-ci situe le pouvoir causal est une construction de l'esprit et échappe à l'observation. Nous n'en avons pas de connaissance directe et certaine. Une fois opéré ce changement de plan Hume nous fait remarquer que nous sommes capables d'imaginer une multitude de mouvements différents qui succéderaient au choc et que tous ces mouvements nous apparaissent comme possibles. C'est précisément la raison pour laquelle nous n'avons pas de connaissance a priori de celui qui va effectivement se produire. Puisque nous ne pouvons pas prévoir par la seule imagination l'enchaînement des perceptions, qui constituent la seule réalité connaissable directement, nous n'avons aucune connaissance a priori de la causalité. C'est 20 l'expérience LE PRINCIPE DE PASCAL-HUME qui nous l'enseigne, en nous montrant que les événe- ments se succèdent toujours selon les mêmes lois. Enfin et c'est là le troisième caractère de la démonstration humienne, tous les mouvements que nous pouvons imaginer après le choc nous apparaissent comme également possibles. C'est là un point essentiel de la démonstration, car si l'un de ces mouvements nous apparaissait comme plus vraisemblable que les autres, nous ne serions pas surpris qu'il se produise et nous aurions une connaissance a priori de la causalité, hypothèse que Hume s' efforce précisément de ruiner. Cet aspect de la pensée humienne, par lequel Hume s'oppose à Descartes est évidemment d'une grande importance. La démarche de Hume est plus rigoureuse que celle de Descartes et constitue de ce fait un progrès essentiel de la connaissance philosophique. Toute la philosophie ultérieure va tirer de la démonstration de Hume une conséquence considérable et qui va s'avérer de plus en plus considérable à mesure que l'on aura eu le temps d'y réfléchir plus profondément. C'est que nous ne possédons aucune preuve solide de l'existence de la matière. Pourquoi croyons-nous, en effet, à l'existence de la matière? Parce qu'elle nous apparaît comme la cause de la perception. Descartes nous a montré avec beaucoup de rigueur que, quand nous percevons un objet, une table par exemple, les qualités sensibles que nous prêtons à cet objet, telles que la couleur notamment, sont des aspects de notre pensée et non des propriétés d'un objet matériel. Mais l'analyse cartésienne ne ruine en rien la croyance dans l'existence de la matière, car elle laisse subsister la croyance dans la causalité. LA CRITIQUE DE L'IDÉE DE CAUSE 21 Oublions, en effet, la démonstration personnelle de Descartes, selon laquelle celui-ci pense prouver l'existence de la matière et qui repose sur la véracité divine. Pour l'immense majorité des hommes, autrement dit pour le sens commun, un tel détour n'est pas nécessaire. Celui-ci fait directement appel au principe de causalité et ne met pas une seconde en doute que nos perceptions sont causées par des objets matériels. Si un nombre important de philosophes estime aujourd'hui qu'une telle croyance est illusoire, que les objets matériels n'ont pas d'existence réelle mais qu'ils sont une simple projection de notre esprit, c'est parce qu'ils sont convaincus que l'idée de cause ne peut pas être utilisée valablement dans ce sens transcendant, qu'elle ne permet pas de conclure de nos perceptions à des objets extérieurs qui en seraient le pouvoir producteur. C'est ainsi que l'une des convictions les plus profondément enracinées et les plus universellement partagées de l'humanité se trouve apparemment ruinée par un texte philosophique. Le changement de plan opéré par Hume apparaît tellement légitime et les conséquences qu'il entraîne tellement rigoureuses qu'il va déclencher l'une des révolutions les plus importantes de l'histoire de la philosophie. Le rationalisme virtuel de Hume Il peut sembler étrange de voir dans la pensée de Hume l'origine du rationalisme moderne. Hume n'est-il pas considéré comme l'un des plus grands philosophes empiristes de l'histoire? Les textes sont cependant décisifs. Kant ne s'y est pas trompé lorsqu'il écrit: 22 LE PRINCIPE DE PASCAL-HUME depuis la naissance de la métaphysique, si loin que remonte son histoire, aucun événement ne s'est produit qui eût pu être plus décisif pour la destinée de cette science que l'attaque dont elle fut l'objet de la part de David Hume. Il n'apporta aucune lumière en cette espèce de connaissance mais il fit jaillir une étincelle avec laquelle on aurait pu allumer une lumière, si elle avait rencontré une mèche inflammable, dont on eût pris soin d'entretenir et d'augmenter l'éclat. C'est cette mèche inflammable que Kant se propose de nous révéler dans la Critique de la raison pure, permettant ainsi de construire la philosophie authentique, en combinant la question posée par la critique humienne de l'idée de cause et la solution exposée par Kant dans l'Analytique transcendantale. Kant a compris du même coup que Hume posait le problème métaphysique dans les termes dans lesquels il doit être posé et que l'on pouvait construire sur son énoncé la solution qu'il fallait en donner. C'est là une illustration remarquable de ce fait qu'il faut distinguer soigneusement entre une doctrine philosophique et l'argumentation qui la fonde. On considère Hume comme un empiriste parce que la thèse à laquelle il aboutit et qu'il expose longuement dans son œuvre met de toute évidence l'expérience à l'origine de la connaissance. Mais on néglige en même temps un fait capital, que Hume lui-même a négligé. C'est que, pour établir celle-ci, il s'est appuyé sur une constatation essentielle sur laquelle il peut sembler légitime de fonder un nouveau rationalisme.